La recherche en intelligence artificielle existe depuis plus de 60 ans, et ses applications nous entourent et nous accompagnent depuis une bonne vingtaine d’années. Ces derniers mois, cependant, l’arrivée en force des agents conversationnels de type ChatGPT et des images en « deep fake » ont braqué les projecteurs sur ces technologies. Selon certains, celles-ci annoncent une nouvelle révolution technologique, porteuse – enfin – de véritables progrès de productivité. Selon d’autres, elles représentent un danger pour l’emploi, voire pour l’espèce humaine. Mais quel impact auront-elles, ont-elles déjà sur la formation et le développement des compétences des salariés ?
Sommaire
Qu’est-ce que l’intelligence artificielle ?
Que fait-elle déjà pour la formation ?
Améliorer l’ingénierie pédagogique et la gestion des compétences
Des progrès souvent cachés
Quels sont les prochains aspects de la formation qui seront affectés par l’IA ?
IA et gestion de la formation et des compétences
IA et génération de contenus de formation
ChatGPT et conception : un exemple
IA et innovation formation
Qu’est-ce que l’intelligence artificielle ?
Il y a un malentendu sur l’expression « intelligence artificielle ». On lit beaucoup, notamment sur des sites en français, l’idée selon laquelle l’intelligence artificielle serait une imitation par la machine de l’intelligence humaine. La page Wikipédia consacrée au sujet commence même par cette définition du Larousse : « intelligence artificielle : ensemble de théories et de techniques mises en œuvre en vue de réaliser des machines capables de simuler l’intelligence humaine ».
C’est pourtant un contresens, corrigé sur la page Wikipédia anglo-saxonne : l’intelligence artificielle désigne en réalité, tout simplement, la façon dont les machines raisonnent. L’adjectif « artificielle » est là précisément pour distinguer l’IA de l’intelligence humaine. Par essence, l’IA fonctionne différemment de nous : c’est tout son intérêt. Nous lui confions des tâches que nous ne pouvons pas effectuer, ou que nous faisons moins bien.
La machine sait faire beaucoup de choses, et en apprend de nouvelles chaque année. L’algorithme de recherche de Google, la reconnaissance vocale, les voitures sans conducteurs, les systèmes de recommandation de contenu sont autant d’applications de l’intelligence artificielle. Nous avons tendance à « sortir » les applications qui nous sont les plus familières du domaine de l’IA : c’est ce que l’on appelle « l’effet IA ». Dans tous les cas, il s’agit cependant de tâches complexes réalisées par des machines en autonomie.
Que fait-elle déjà pour la formation ?
L’intelligence artificielle a déjà commencé à révolutionner la formation et le développement des compétences dans les entreprises, même si nous ne nous en rendons pas toujours compte.
Améliorer l’ingénierie pédagogique et la gestion des compétences
Dans le contexte RH et formation, l’IA intervient déjà dans nos LMS et LXP, pour analyser les compétences, personnaliser les formations, proposer des contenus adaptés.
- Analyser les compétences: l’IA est capable d’analyser les productions écrites d’un salarié ou d’un candidat (CV, lettre de motivation, écrits professionnels…) afin d’en extraire les compétences de manière synthétique. Elle peut les comparer à un référentiel compétences donné et identifier les écarts entre les compétences maîtrisées et celles qui sont requises pour tel ou tel poste.
- Proposer des contenus adaptés: en fonction des écarts identifiés, mais aussi en fonction des appétences et des attentes de chaque individu, l’IA peut puiser dans une banque de contenus pour proposer des formations susceptibles d’intéresser chaque collaborateur. Les critères peuvent tenir compte aussi bien du projet professionnel de chacun que des besoins en compétences de l’entreprise.
- Personnaliser les formations: une IA conversationnelle peut recueillir auprès de l’apprenant les éléments qui vont lui permettre d’individualiser à la fois le contenu et les modalités de la formation. En tenant compte également de l’analyse préalable des compétences maîtrisées, l’IA peut insister sur tel ou tel aspect du contenu et passer plus rapidement sur d’autres. Elle peut également construire un parcours pédagogique alliant synchrone et asynchrone, distanciel et présentiel en fonction des appétences de l’apprenant.
Toutes ces tâches peuvent être faites par l’humain, mais l’intelligence artificielle apporte à la fois la rapidité de calcul, la capacité à embrasser beaucoup de données d’un coup, l’indépendance de l’analyse. Elle permet également de procéder à un recueil d’informations convivial et rapide, économisant le temps des professionnels et ajoutant de la souplesse au processus.
A tous les stades, cependant, l’intervention humaine reste nécessaire. L’IA peut certes détecter des corrélations qui nous échappent, mais elle peut aussi oublier des aspects essentiels. Elle complète et enrichit notre action, sans jamais vraiment la remplacer totalement.
Des progrès souvent cachés
Il n’est pas facile de mesurer l’importance des progrès liés à l’IA dans la formation, comme dans beaucoup de domaines, pour au moins deux raisons.
La première est que la formation en entreprise est un domaine des ressources humaines. L’analyse de textes, dans les RH, se heurte au flou inhérent à tout ce qui relève de l’humain : les mots n’ont pas toujours le même sens suivant la personne qui les emploie et le contexte dans lequel ils interviennent. Il faut, de la part de l’IA, une capacité à déceler le non-dit, à comprendre la situation, qui n’est pas facile à modéliser ni à apprendre – même pour nous. Les progrès sont donc nécessairement plus lents et la fiabilité plus faible que dans des domaines comme les sciences ou le droit.
La seconde raison tient au caractère progressif de l’innovation en IA. Les premiers traducteurs automatiques remontent à plus de 20 ans. Ils étaient si peu fiables qu’on les utilisait surtout pour rire de leurs erreurs. Aujourd’hui, la traduction par IA n’a pas encore atteint la perfection littéraire, loin de là. Mais elle permet déjà largement à des individus de langues totalement différentes de communiquer par écrit, ou de comprendre dans ses grandes lignes le contenu d’un article. Un traducteur peut s’en servir de base, qu’il améliore ensuite.
Les promesses de l’IA sont telles que leur réalité nous déçoit souvent. Pourtant, l’IA a déjà transformé nos activités en général et la formation en particulier, et elle continue à progresser dans sa façon de nous aider. Les algorithmes se perfectionnent, les machines apprennent à mesure qu’elles gagnent en expérience et en quantité de données traitées. Mais ces avancées sont relativement lentes et ne nous donnent pas l’impression d’une brusque révolution.
Quels sont les prochains aspects de la formation qui seront affectés par l’IA ?
L’intelligence artificielle n’a pas fini de transformer le monde de la formation. Nous évoquons rapidement quelques domaines dans lesquels nous pouvons nous attendre à d’importantes innovations.
IA et gestion de la formation et des compétences
Il est probable que l’intelligence artificielle épaulera demain le responsable formation dans la définition du plan de développement des compétences, et plus largement dans la stratégie de formation à long terme de l’entreprise. Selon Cyril Le Mat, ancien directeur Data Science chez Cornerstone, aujourd’hui chez Sunrise, « La visualisation des compétences à l’échelle de l’entreprise permettra d’accompagner la décision RH, de faire du Strategic Workplace Planning. Il s’agit de faire en sorte que les RH ne soient plus dans la réaction (on constate un manque, on embauche) mais dans un positionnement stratégique d’anticipation : analyser les écarts de compétences (Skills Gap Analysis) et donc les besoins de formation et de recrutement futurs pour atteindre les objectifs de l’entreprise, identifier les opportunités de développement à partir des poches de compétences… Ces visualisations permettent aux DRH d’aller voir les décideurs, les leaders business avec une vision RH des compétences et des possibilités offertes à l’entreprise ».
Quelle forme pourraient prendre ces visualisations ? Toujours selon Cyril Le Mat, « Nous disposons d’environ 50 000 concepts de compétences. Dans une entreprise donnée, on va en trouver par exemple de l’ordre de 5 000. Tout l’enjeu est de représenter le nuage des compétences, en faisant des cartographies. Les 1 000 principales compétences vont apparaître groupées par proximité. La visualisation permet de zoomer, de voir chaque compétence dans son contexte près des autres compétences proches, mais aussi de poser des questions, de comparer deux entités… Il va y avoir un développement important de produits de ce type, permettant d’informer les décisions stratégiques globales des entreprises ».
IA et génération de contenus de formation
L’une des raisons qui justifie la « panique » générée par l’IA ces derniers mois tient peut-être au fait que la dernière vague d’outils, de type ChatGPT, semble devoir affecter davantage les métiers intellectuels, et en particulier les métiers de l’écriture. Et donc, en particulier, le métier même de ceux qui écrivent des articles sur l’IA !
Cette inquiétude a été accrue par la publication d’un papier de recherche issu des travaux conjoints d’OpenAI (le créateur de ChatGPT), d’OpenResearch et de l’Université de Pennsylvanie. Le texte porte sur l’impact des LLM (Large Language Models, qui incluent les outils de type ChatGPT) sur l’emploi. Il en ressort en tout cas que les professions intellectuelles seront les premières concernées par cette révolution. Selon l’étude, 80% des travailleurs américains verront au moins 10% de leurs tâches affectées par les LLM. Pour 19% des actifs – les professions de l’écrit surtout – c’est plus de la moitié des tâches qui seront touchées.
Mais ces conclusions ne s’interprètent pas uniquement en termes de pertes d’emploi : elles supposent également des gains de productivité. Et la production de contenus de formation fait partie des tâches concernées. C’est important pour les organismes de formation, mais aussi pour les entreprises : de plus en plus de LMS ou LXP proposent des fonctionnalités de création de contenu par les salariés eux-mêmes. L’idée étant de diffuser le savoir et la compétence détenue en interne via des véhicules pédagogiques adaptés.
ChatGPT et conception : un exemple
Prenons un exemple concret. Le rédacteur de cet article a demandé à ChatGPT de lui proposer une liste des thèmes à aborder dans un article sur le thème « formation et intelligence artificielle ». Voici le résultat :
L’outil peut également développer chacune de ces parties pour préciser ce qu’il entend par là. L’accès à l’information en temps réel renvoie à la possibilité de confier à un ChatBot le soin de répondre aux questions des apprenants. Le 2e point porte sur la faculté de l’IA à proposer des problèmes à résoudre aux apprenants, en s’appuyant sur le corpus des données d’entraînement. Etc.
Il n’y a pas de miracle, ChatGPT n’a pas écrit un article. Mais il a ouvert des pistes qui avaient échappé au rédacteur, proposé des têtes de chapitres, stimulé la réflexion.
Pour un contenu de formation, l’IA pourra procéder de même. Elle pourra proposer un ordre logique d’apprentissage, générer automatiquement des supports de formation, faire une bibliographie ou une liste de ressources. Il ne s’agira, dans tous les cas, que de suggestions. Pourquoi ? Notamment parce que ChatGPT ne dit pas le vrai, mais le vraisemblable. Il peut se tromper, voire inventer des réponses qui lui paraissent les plus probables à partir des informations dont il dispose. Il écrit de plus dans un style très reconnaissable.
Bien sûr, ces points pourront faire l’objet d’amélioration dans des versions ultérieures, ou dans d’autres outils. Quoi qu’il en soit, le formateur, ou le salarié-formateur, devra repasser derrière, compléter, modifier les supports générés… Mais il sera davantage dans le modelage d’une matière existante que dans la création ex-nihilo.
Un aspect intéressant de la création de contenu n’est pas non plus à négliger : c’est la génération d’images. Les outils de type Dall-e (par OpenAI, créateur de ChatGPT) inquiètent légitimement les médias et les fact-checkeurs. Ils posent de passionnantes questions en matière de droit de la propriété intellectuelle et artistique. Mais ils ont le potentiel de devenir également de formidables ressources pour illustrer des contenus de formation.
IA et innovation formation
L’intelligence artificielle intervient également dans la délivrance de la formation elle-même, ainsi que dans son évaluation.
Les agents conversationnels peuvent intervenir tout au long d’un processus de formation, soit entre les sessions synchrones d’une même formation, soit pendant une session asynchrone, pour recueillir le ressenti et les attentes de l’apprenant. Ils utilisent alors ces données pour faire évoluer la formation en temps réel, en insistant sur certains points, en accélérant sur d’autres, en basculant sur une vidéo…
N’oublions pas non plus que la technologie du métavers repose en grande partie sur des applications de l’IA. Celle-ci sera de plus en plus mobilisée à mesure que la formation immersive en univers 3D se fera plus interactive, intègrera davantage de scénarios possibles, s’appuiera sur des corpus de données d’expérience plus importants et s’adaptera mieux au stimuli issus des apprenants.
L’IA permettra enfin de mieux évaluer en temps réel les progrès de l’apprenant, d’aider à l’évaluation finale, puis de suivre dans la durée la mesure de l’intégration au geste de travail des compétences acquises.
L’IA ne sert que si l’on en use : elle s’améliore à mesure qu’on l’instruit. Dans le même temps, les algorithmes sont en permanence renouvelés et ajustés. La révolution de l’intelligence artificielle n’en est qu’à ses débuts. Elle a déjà connu une succession de phases d’accélération. Nous sommes manifestement entrés dans une telle phase. Selon certains économistes, dont l’Américain Robert Gordon, la révolution digitale des années 90 à 2010 n’aura pas généré de progrès de productivité comparables à ceux des deux premières révolutions industrielles. L’explosion de l’IA annonce-t-elle la fin de cette « stagnation séculaire » ? Il est trop tôt pour le savoir, mais une chose est sûre : en matière de formation professionnelle, les entreprises doivent rester aux aguets.
Crédit photo : Shutterstock / Ok-product studio
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