La reconversion des salariés est présentée par tous les acteurs de la formation comme une priorité absolue. Qu’il s’agisse de répondre à un besoin de compétences , de dynamiser des parcours internes ou de gérer des mobilités externes, les changements de métier vont se multiplier. Et les entreprises vont de plus en plus souvent devoir en être les actrices et les accompagnatrices. Les autorités affichent une volonté politique forte sur ce point, et elles ont annoncé une refonte des nombreux outils existants : TransiPro, Transco, Pro-A… En attendant, comment s’y retrouver ?
Sommaire
1 salarié sur 4 pense à la reconversion
Le projet de transition professionnelle (PTP) : l’héritier du CIF
Transco, ou Transitions Collectives : le versant « entreprise » de la reconversion
Pro-A : la reconversion pour les moins qualifiés
Les dispositifs de Pôle emploi
1 salarié sur 4 pense à la reconversion professionnelle
Les deux tiers des salariés envisagent une évolution professionnelle dans les deux prochaines années, selon le baromètre 2022 du réseau EVA sur l’évolution professionnelle. Ils n’étaient que la moitié en février 2020. Parmi ceux qui pensent à bouger, 40% (soit plus du quart de l’ensemble des répondants) se verraient bien quitter le secteur (19%), changer de fonction dans le même secteur (14%) ou créer leur activité (7%). En résumé, 1 salarié sur 4 envisage une forme ou une autre de reconversion (changer de secteur, de fonction ou de statut) à moyen terme.
Les DRH et les responsables formation sont concernés au premier chef par le phénomène, dans trois contextes au moins :
- Le recrutement : la reconversion de salariés ou de demandeurs d’emploi est l’un des moyens privilégiés pour répondre aux besoins de compétences, en particulier sur les métiers en tension ;
- L’accompagnement des parcours : l’employeur est la personne vers laquelle les salariés se tournent le plus souvent pour se renseigner sur les possibilités d’évolution professionnelle, selon le baromètre EVA, devant les collègues et Internet.
- L’accompagnement des départs, dans le cadre des licenciements et des plans sociaux. Depuis le 1e trimestre 2022, il semble que le nombre d’inscriptions à Pôle emploi suite à licenciement économique soit reparti à la hausse, après avoir atteint un plancher historique fin 2021.
Le Conseil en évolution professionnelle restant très peu mobilisé par les salariés (9% y ont eu recours, même si 53% en connaissent l’existence), la fonction RH a un rôle essentiel à jouer en matière d’orientation et de reconversion.
Nous n’abordons pas dans cet article les premières étapes du processus de reconversion : la décision de se reconvertir, l’orientation, la définition du projet. Nous nous intéressons, du point de vue de l’entreprise, aux outils de financement disponibles. Le financement, en effet, constitue le premier obstacle à la reconversion : il faut à la fois payer la formation et, la plupart du temps, remplacer le revenu. Les dispositifs suivants répondent pour l’essentiel à ces deux impératifs.
Le projet de transition professionnelle (PTP) : l’héritier du CIF
Le PTP en chiffres
C’est le dispositif phare de la reconversion. Il a pris la suite, en 2019, de l’ancien Congé individuel de formation (CIF), avec un niveau de dépense sensiblement moindre :
- En 2018, près d’1,25 milliard d’euros ont été dépensés via le CIF pour la formation et la rémunération des salariés et demandeurs d’emplois, soit près de 45 000 dossiers.
- En 2019, la dépense pour le PTP a représenté moins de 400 M€, pour un peu plus de 18 000 dossiers.
- Depuis 2021, si l’on en croit les prévisions budgétaires de France Compétences, on semble se stabiliser autour de 500 M€ de dépenses et 20 000 dossiers, soit moins de la moitié de l’activité antérieure à la réforme.
Source des données : Jaunes budgétaires (2015-2021) et budgets prévisionnels de France Compétences (2022-2023)
Les financements sont donc plus rares et plus difficiles à obtenir qu’auparavant.
Le principe du projet de transition professionnelle
Pour autant, le Plan de transition professionnelle (PTP) reste l’outil de financement de la reconversion le plus intéressant pour le salarié. En effet, il permet de financer :
- La formation elle-même,
- et le salaire de l’apprenant pendant toute la durée du congé.
La durée de la formation n’est pas limitée. La prise en charge du salaire est totale jusqu’à 2 Smic, partielle au-delà. L’employeur peut repousser son accord de 9 mois, mais ne peut pas refuser le départ en formation.
L’entreprise est tenue de réintégrer le collaborateur au terme du congé. En pratique, il existe 3 cas de figure :
- Le projet de reconversion vise une mobilité immédiate après la formation : le salarié quitte l’entreprise au terme de sa formation.
- La formation vise à apprendre un nouveau métier et/ou renforcer son employabilité en vue d’une mobilité future : le salarié reviendra dans l’entreprise.
- Le projet est co-construit avec l’employeur : la formation servira l’évolution professionnelle du salarié dans l’entreprise.
Dans tous les cas, le salarié n’est pas tenu d’annoncer ses intentions.
L’interlocuteur : l’association Transitions Pro de votre région
Les associations Transitions Pro gèrent le PTP. Elles ont remplacé les Fongecif, et il en existe une dans chaque région. C’est auprès de l’association dont dépend l’entreprise que le salarié devra faire sa demande de financement. Il existe un site commun Transitions Pro, qui mutualise l’information et renvoie aux sites régionaux.
Le salarié doit remplir une condition d’ancienneté (salarié depuis 2 ans, dont 1 an dans le même entreprise) et proposer un projet cohérent. Le dossier à monter est complexe et fourni : l’accompagnement d’un Conseil en évolution professionnelle (CEP), bien au fait des subtilités administratives entourant le PTP, peut s’avérer précieuse.
A noter que l’entreprise continue à verser sa rémunération au salarié ; l’association Transitions Pro se charge de rembourser la somme à l’entreprise, en principe dans le mois.
Un dispositif ciblé
Par ailleurs, le PTP diffère sans doute du CIF par son ciblage. Le CIF avait une visée sociale, et ciblait les moins qualifiés – avec succès. Le projet devait être utile socialement et/ou réaliste économiquement, mais ce n’était pas le premier critère.
Le PTP, à l’inverse, vise prioritairement et explicitement les métiers qui recrutent. Le dossier sera d’autant plus facilement accepté qu’il conduit la personne à se reconvertir dans un métier pour lequel des profils sont recherchés dans la région d’installation annoncée.
Le site de Transitions Pro met à disposition une liste régionale des métiers qui recrutent.
Un décollage lent
Le dispositif souffre encore d’un certain déficit d’image. Le CIF, créé en 1971 et financé à partir de 1983, était assez largement connu des salariés. Le PTP commence cependant à sortir de l’anonymat : en 2022, selon le baromètre EVA, 59% des salariés en avaient entendu parler, contre 29% deux ans plus tôt. L’un des problèmes du PTP est qu’on ne sait pas vraiment comment l’appeler. Médiatiquement, on l’a d’abord connu sous le nom de « CPF de transition ». Dans la loi, c’est le projet de transition professionnelle. Certains l’appellent TransiPro, ou Transitions Pro (avec ou sans « s » à « transition »), du nom des associations qui le gèrent. L’usage finira par trancher.
Transco, ou Transitions Collectives : le versant « entreprise » de la reconversion
Un PTP vu de l’entreprise
Elaboré fin 2020 dans le cadre de la réflexion sur le « plan de relance » post-confinement, mis en place officiellement tout début 2021, le dispositif « Transitions Collectives », ou « Transco », vise à financer des reconversions massives en direction des métiers qui ont le plus de mal à recruter. Il s’agit, en somme, d’un PTP à l’initiative de l’entreprise.
Pour l’essentiel, Transco obéit aux mêmes règles que le PTP. Il cible des salariés en poste depuis au moins 2 ans, l’interlocuteur est l’association Transitions Pro de votre région, et il permet de réaliser des formations longues, avec obligation cependant de conserver le salarié s’il le souhaite au retour de formation.
3 grandes différences avec le PTP
Les différences sont de trois ordres :
- Transco est à l’initiative de l’entreprise : celle-ci doit mettre en place un accord de gestion des emplois et des parcours professionnels (GEPP) (sauf dans les entreprises de moins de 300 salariés, où l’employeur peut décider unilatéralement de mettre en place Transco). Au terme d’une phase d’identification des « emplois fragilisés » en son sein, l’entreprise est alors en mesure de proposer aux salariés concernés des actions de reconversion – en vue d’une mobilité interne ou externe. Les salariés, bien sûr, ne sont pas tenus d’accepter, mais l’accord de l’employeur est toujours indispensable.
- Il y a des contraintes supplémentaires : la formation ne peut pas dépasser 24 mois, les remboursements sont moins généreux dans les entreprises de 300 salariés et plus (75% entre 300 et 1000, 40% au-delà de 1000 salariés), le CPF du salarié ne peut pas être mobilisé, la formation doit obligatoirement préparer à un métier identifié sur une liste régionale (plus restreinte que celle proposée en critère aux demandeurs de PTP).
- Le financement est d’origine différente: le PTP est financé par les fonds de la formation professionnelle, Transco par les subventions d’Etat. Pour l’entreprise et le salarié, cependant, c’est la même chose : l’association Transitions Pro reste gestionnaire.
Un dispositif en sursis ?
En l’état, Transco se présente comme une sorte d’offre packagée par l’Etat et les acteurs régionaux de l’emploi-formation, visant à faciliter la reconversion des salariés dont les métiers sont menacés (identifiés au cas par cas au sein de l’entreprise) vers des métiers porteurs (identifiés à l’échelle de la région).
En 2022, souhaitant « simplifier » le dispositif, le gouvernement en a ajouté une nouvelle variante : Transco Congé de Mobilité, qui cible l’accompagnement des ruptures conventionnelles collectives ou des départs négociés via un accord de GEPP. Les conditions sont un peu plus exigeantes.
Intéressant sur le papier, le dispositif ne semble pas avoir décollé. Après avoir prévu 200 M€ d’autorisations d’engagement sur Transco en 2021 puis 150 M€ en 2022, le gouvernement a affiché 50M€ pour 2023. Il est donc possible que l’on s’oriente vers une extinction du dispositif, et que Transco soit l’une des premières victimes de la réorganisation des outils de reconversion annoncée par la ministre Carole Grandjean.
Retrouvez l’interview de la ministre déléguée à la formation professionnelle Carole Grandjean
Pro-A : la reconversion pour les moins qualifiés
L’alternance en poste
La « reconversion ou promotion par l’alternance », issue de la réforme de 2018, a pris la suite de la période de professionnalisation. Il s’agit donc de périodes de formation en alternance destinées aux salariés en poste, et non à de nouveaux embauchés comme pour le contrat de professionnalisation ou le contrat d’apprentissage. Son objectif est de « permettre au salarié de changer de métier ou de profession, ou de bénéficier d’une promotion sociale ou professionnelle » (article L6324-1 du code du Travail).
>> La Pro-A : comment ça marche ?
A la différence de la période de professionnalisation, la Pro-A est réservée aux salariés les moins qualifiés (bac+2 au maximum). En outre, comme pour Transco, la formation doit préparer un à métier identifié par la profession comme étant porteur, ou plus précisément répondant à des « critères de forte mutation de l’activité et de risque d’obsolescence des compétences ». Mais il ne s’agit pas des mêmes listes que pour Transco.
Une ingénierie complexe : les accords de branche
Le dispositif est assez lourd : il suppose que la branche négocie un accord, qui doit être validé et étendu par le gouvernement. Pour connaître les certifications professionnelles éligibles dans votre branche, il faut d’abord vérifier qu’elle a mis en place un accord, puis consulter la liste.
- Le site de Centre Inffo tient à jour le tableau des accords disponibles.
- Par ailleurs, le site service-public.fr met à disposition un outil de recherche permettant de connaître les formations éligibles par branches.
En mars 2023, 109 branches sont couvertes par un accord de Pro-A étendu.
Des financements pour l’alternance en poste en chute libre
La Pro-A permet de bénéficier de financements de l’OPCO, dans les limites définies par chaque accord de branche. Il peut s’agir de montants forfaitaires par parcours. C’est l’un des financements mutualisés qui reste en principe accessible aux entreprises de 50 salariés et plus.
En raison de la complexité du processus de mise en place, le dispositif tarde à décoller. Alors que la période de professionnalisation avait dépassé les 500 000 formations en 2018, pour 623 M€ pris en charges, moins de 5 000 Pro-A ont été financées en 2021, pour 66 M€, dont la moitié dans le cadre des financements exceptionnels du plan de relance. Celui-ci prévoyait 108 M€ de subventions pour la Pro-A en 2021 ; la somme est loin d’avoir été dépensée.
Chiffres : Jaunes budgétaires
Il peut sembler artificiel de comparer les chiffres de deux dispositifs aussi différents dans leur ciblage et leur accès. Concrètement, cependant, nous ne pouvons que constater que les montants mis à disposition pour reconvertir les salariés en poste via l’alternance se sont littéralement effondrés.
Les dispositifs de Pôle emploi
La reconversion des salariés et demandeurs d’emploi en difficulté fait partie des attributions de Pôle emploi. Environ 800 000 demandeurs d’emploi partent en formation chaque année, auxquels s’ajoutent 600 000 départs en formation financés par le CPF en autonomie. Plus d’un sur deux a retrouvé un travail 6 mois plus tard.
Du point de vue de l’entreprise, il existe deux types de dispositifs : les formations liées au recrutement (à l’entrée) et la formation des personnes qui quittent l’entreprise (à la sortie).
A l’entrée : préparer à l’emploi
Pôle emploi a mis en place un certain nombre de dispositifs pour réduire l’écart entre les compétences du demandeur d’emploi et les compétences requises pour le poste visé. Très souvent, ces outils sont utilisés dans le cadre de véritables reconversions (d’un métier vers un autre), même s’il peut aussi s’agir de mise à jour des connaissances. Ces dispositifs incluent :
- La POEI (préparation opérationnelle à l’emploi individuelle, pour les embauches en CDI et CDD de plus d’un an) : 29 000 personnes en 2021 ;
- La POEC (préparation opérationnelle à l’emploi collective, sur des métiers précis définis par l’Opco ou la branche) : 37 000 personnes en 2021 ;
- L’AFPR (action de formation préalable au recrutement, pour les CDD de 6 lois à un an) : 50 000 personnes en 2021 ;
- La PMSMP (période de mise en situation en milieu professionnel, dispositif d’insertion sociale).
>> En savoir plus sur les aides à la formation à l’embauche de Pôle emploi
Les autres dispositifs formation de Pôle emploi drainent davantage de stagiaires : environ 140 000 respectivement pour l’AIF (aide individuelle à la formation, complément versé aux demandeurs d’emploi qui se forment avec leur CPF) et pour l’AFC (action de formation conventionnée, prestations achetées par Pôle emploi et portant sur des métiers en tension dans la région). 350 000 départs en formation se rapportent aux actions des conseils régionaux.
A la sortie : changer d’entreprise et de métier
En cas de licenciement économique, de rupture conventionnelle (individuelle ou collective), de plan social, Pôle emploi met à disposition des outils pour organiser la reconversion des collaborateurs :
- Le contrat de sécurisation professionnelle : il doit être proposé aux salariés en cas de licenciement économique dans les entreprises de moins de 1000 salariés ou en redressement ou liquidation judiciaire. Il consiste en un accompagnement d’un an par Pôle emploi, et qui peut inclure des formations. Pour l’employeur, le coût est au maximum de 3 mois de salaire du collaborateur.
- Le congé de reclassement : il doit être proposé par toutes les entreprises de 1000 salariés et plus. Il inclut un accompagnement et de la formation. Sa durée maximale est de 12 mois, mais il peut être prolongé à 24 mois en cas de projet de reconversion. L’entreprise rémunère le salarié pendant la durée du préavis, puis une indemnité (65% du brut) est versée au collaborateur.
- Le congé mobilité : comme on l’a vu plus haut, ce congé peut être proposé aux salariés dans le cadre d’un accord de GEPP. C’est l’accord collectif qui en détermine les conditions. Comme pour le congé de reclassement, l’entreprise rémunère le salarié pendant son préavis. C’est ensuite elle qui lui verse l’indemnité de 65% du brut, avec des exonérations de cotisations sociales la première année. Il n’y a pas vraiment d’intervention de Pôle emploi dans ce dispositif.
Le discours sur la nécessité d’organiser la reconversion massive d’une partie des salariés vers les activités montantes n’a jamais été aussi présent dans l’actualité RH et les prises de position officielles. Pourtant, nous ne pouvons que constater que les outils « formation professionnelle » dédiés à cet objectif ont vu leurs moyens fondre. C’est le cas du PTP et de Pro-A. La priorité a été mise sur la formation des demandeurs d’emploi, et sur une dépense « désintermédiée » et décentralisée via le CPF. Le calcul n’est pas indéfendable, mais il faudra juger des résultats d’ici quelques années.
Crédit photo : Shutterstock / Darkdiamond67
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