En cette fin 2024, nous fêtons un triple anniversaire dans le monde de la formation professionnelle : les salariés français disposent d’un droit personnel à la formation depuis 20 ans (création du Dif) ; ils y ont accès sans accord de l’employeur depuis 10 ans (création du CPF) ; ils peuvent le mobiliser en euros et directement en ligne depuis 5 ans (création de la plateforme Mon Compte Formation). Ce modèle de droit à la formation attaché à l’individu rencontre un grand succès en France et intéresse au-delà des frontières, mais dans quelle mesure est-il durable ? Nous profitons de cet anniversaire pour revenir sur les grandes étapes de l’émergence du CPF, faire le point et tracer quelques perspectives.
Sommaire
Compte personnel de formation (CPF) : où en est-on ?
Qui utilise le CPF ?
D’où vient le compte personnel de formation ?
Quel avenir pour le CPF ?
Compte personnel de formation (CPF) : où en est-on ?
Les acteurs publics et institutionnels de la formation professionnelle se sont réunis le 21 novembre au ministère du Travail pour fêter les 10 ans de la création du compte personnel de formation (CPF). C’est en effet la loi du 5 mars 2014 qui, en suivant pour l’essentiel l’accord national interprofessionnel du 14 décembre 2013, créait le CPF. Celui-ci remplaçait le Dif (droit individuel à la formation) le 1er janvier 2015.
10 ans plus tard, 10,7 millions de dossiers de formation ont été financés, pour un montant total de près de 16 Mds€. En ordre de grandeur, cela représente environ 17% de la dépense désintermédiée des entreprises sur la période (autour de 90 Mds€), apprentissage compris, ce qui est loin d’être négligeable.
Le CPF, c’est aussi :
- 36,7 millions de comptes ouverts et alimentés. C’est davantage que la population active, qui avoisine les 30 millions de personnes (salariés, fonctionnaires, demandeurs d’emploi). Mais c’est moins que les 41,7 millions de Français qui ont entre 15 et 64 ans – sachant qu’un CPF est ouvert pour toute personne de 16 ans et plus, est alimenté dès que l’on travaille et cesse de l’être à la retraite.
- 22,5 millions d’usagers ayant validé les conditions générales d’utilisation depuis le 21 novembre 2019. Ce nombre est le plus significatif : pour valider les CGU, il faut au minimum s’être rendu sur le portail moncompteformation.gouv.fr pour « ouvrir » son compte et consulter ses droits. L’appli smartphone, tant vantée lors de la réforme de 2018, n’est utilisée que par un peu plus d’un bénéficiaire sur 4, avec 6,4 millions de téléchargements.
- 2 218 € en moyenne sur chaque compte dans le secteur privé. Cela représente 4 ans et demi de versement pour un salarié à temps plein. En 2019, au moment de la conversion en euros, le montant médian (et non moyen) était de 1 080 €.
- 14 126 organismes de formation référencés sur la plateforme moncompteformation, proposant 205 544 formations différentes et 3 385 certifications. Les prestations proposées coûtent en moyenne 2 231 €, soit un montant proche de ce dont les bénéficiaires disposent sur leur CPF.
Qui utilise le CPF ?
Le dossier de presse du ministère du travail comporte en outre une série de données très instructives sur l’avant/après réforme de 2018, qui montre à quel point celle-ci a changé la donne pour le CPF.
Le CPF version 2 a donc validé 3 fois plus de dossiers de formation que la version 1, sur une même période de temps (5 ans). Dans le même temps, les financements concernés n’ont fait « que » doubler, ce qui signifie que les formations financées ont été en moyenne moins coûteuses (37% de moins), à 1 428 € au lieu de 2 282.
Un autre objectif de la réforme de 2018 était de rééquilibrer les publics bénéficiaires, au profit des salariés et des moins qualifiés. L’objectif a été atteint pour une large part : la part des demandeurs d’emploi, qui représentait presque la moitié des dossiers en 2015-2019, est descendue à un tiers. La part des non-cadres est passée de 72% à 82% – soit un peu plus que leur part dans la population active (autour de 78%). La proportion de « peu ou pas diplômés » a doublé, pour atteindre 18% – soit davantage que leur part dans la population active. La structure des bénéficiaires par âge n’a pas changé (avec plus de 70% de 25-50 ans), mais le léger déséquilibre en défaveur des femmes a été comblé.
Enfin, la hiérarchie des types de formation suivies a été modifiée. Les langues, qui étaient le premier sujet de formation financé par le CPF avant 2019, sont passées en 3e position. Le poste « transport, manutention, magasinage », qui couvre probablement à la fois le permis de conduire et le Caces, arrive désormais en tête, devant le « développement des capacités d’orientation d’insertion ou de réinsertion sociales et professionnelles », qui renvoie sans doute aux formations « socle de connaissances » de type CléA, et à d’autres dispositifs financés dans le cadre d’actions avec France Travail. L’Informatique et la bureautique perdent une place, et la seule formation proprement « métier » du top 5 porte sur la coiffure et l’esthétique.
Le CPF continue donc à financer prioritairement des formations très transversales, voire générales, qui n’ont pas toujours forcément de rapport direct avec un emploi précis. Cela n’empêche pas nécessairement ces formations de contribuer à l’employabilité de leurs bénéficiaires – le permis, par exemple, accroît significativement le rayon des emplois accessibles à son titulaire. C’est après tout la logique même de cet outil, le compte personnel de formation : il part du principe que l’individu est le mieux à même d’allouer pertinemment la ressource au développement des compétences dont il a besoin pour s’insérer professionnellement.
D’où vient le compte personnel de formation ?
La notion d’un accès individuel et personnalisé à la formation remonte à la création du système de formation professionnelle au début des années 1970, et au congé individuel de formation (Cif). Celui-ci permettait de financer un projet personnel de développement des compétences en étant financé. Mais il s’agissait d’un dispositif sur dossier, sans garantie.
C’est le droit individuel à la formation (Dif) qui attache pour la première fois, en 2004, un droit à un financement formation pour chaque actif. Avec, cependant, une triple barrière :
- Le Dif ne se mobilise qu’avec l’accord de l’employeur. En principe, il est à l’initiative des salariés, mais des entreprises s’en serviront parfois pour financer leurs politiques de formation, demandant aux collaborateurs de ratifier leur accord a posteriori.
- Le Dif est libellé en heures et non en euros. Chaque Opca valorise l’heure de formation en fonction des types de prestations. 1 heure de Dif peut donc avoir des valeurs très différentes.
- En conséquence, le Dif ne peut être mobilisé que par l’intermédiaire de l’Opca.
- Enfin, le Dif, à l’origine, n’est pas transférable d’un employeur à l’autre. Le bénéficiaire perd ses droits lorsqu’il change d’employeur. S’il est licencié, il peut néanmoins les utiliser pour financer une formation ou un bilan de compétences. La raison est simple : le Dif est entièrement décentralisé, c’est l’entreprise qui le finance et le comptabilise.
L’un après l’autre, ces inconvénients initiaux du Dif vont être supprimés.
- La « mini-réforme » de 2009 institue une forme de « portabilité » du Dif. Le salarié qui quitte un employeur (licenciement ou démission) peut utiliser ses droits pendant deux ans.
- Avec la création du Compte personnel de formation, les blocages 1 et 4 sautent : l’accord de l’employeur n’est plus requis pour mobiliser les financements, dès lors que la formation a lieu hors du temps de travail ; et les droits acquis deviennent transférables sans condition. La loi du 5 mars 2014 crée donc véritablement un droit à financement de la formation attaché à l’individu.
- La loi « Avenir professionnel » du 5 septembre 2018 met fin aux blocages 2 et 3 : le CPF sera désormais libellé en euros (500€ par an pour un plein temps, maximum 5 000 €), et il la mobilisation du CPF se fait désormais directement en ligne, sans devoir passer par l’Opca (qui devient Opco pour l’occasion).
La loi de 2018 met également fin à un frein supplémentaire créé par la loi de 2014 : le CPF, à l’origine, ne pouvait financer que des formations éligibles, figurant sur plusieurs listes établies par des autorités différentes. Ce niveau de complexité supplémentaire, inexistant à l’époque du Dif, a été supprimé dans le cadre du CPF nouvelle formule, qui peut financer toute formation sanctionnée par une certification des deux répertoires (RNCP et répertoire spécifique).
La double révolution de la réforme de 2018, monétisation et désintermédiation, s’est aussi accompagnée d’une troisième : celle du système d’information mis en place par la Caisse des dépôts pour centraliser l’ensemble des flux. C’est ce système qui va permettre successivement :
- De mettre le CPF à disposition des bénéficiaires via l’appli et le site Mon Compte Formation à partir du 21 novembre 2019 ;
- D’intégrer directement les abondements de France Travail (Pôle emploi à l’époque) en juillet 2020, des entreprises en septembre 2020, ainsi que les abondements de co-constructions en décembre 2020 ;
- D’accéder à son compte d’engagement citoyen en janvier 2021 ;
- D’accéder aux coordonnées des Conseils en évolution professionnelle (CEP) en février 2021 ;
- D’intégrer l’exigence de la certification Qualiopi pour le référencement des organismes de formation dès janvier 2022 ;
- De lancer le passeport de compétences en mai 2023 ;
- De mettre en place la participation financière obligatoire de 100 € en mai 2024 ;
- De permettre le financement des actions de VAE via le CPF en octobre 2024.
Dans le même temps, le travail de la Caisse des dépôts sur le système d’information a permis de mettre en œuvre successivement les différentes mesures de lutte contre la fraude, comme la procédure renforcée pour l’intégration des organismes de formation ou la connexion des bénéficiaires via France Connect+ (en octobre 2022).
Quel avenir pour le CPF ?
En quelques années, la Caisse des dépôts a donc mis en place un système extrêmement ambitieux, qui rassemble notamment autour de la plateforme Agora l’ensemble des financeurs de la formation professionnelle. En principe, cette centralisation devrait permettre un contrôle accru des dépenses, en même temps qu’une facilitation de l’accès aux financements pour les entreprises, les salariés et les demandeurs d’emploi.
Pour le moment, le CPF continue à encourir les deux mêmes critiques :
- D’une part, le ciblage de la dépense. Pour les partenaires sociaux et les autorités, la prédominance persistante des permis de conduire dans les dossiers financés par le CPF trahit une dérive du dispositif, qui devrait davantage être orienté vers les besoins du marché. Dans son éditorial au dossier de presse de l’anniversaire du CPF, la ministre Astrid Panosyan-Bouvet affirme ainsi que « le CPF, mais plus largement l’ensemble des dispositifs de reconversion, doivent évoluer afin de répondre plus encore aux besoins des entreprises en particulier dans les métiers en tension, pour pourvoir les trop nombreux emplois vacants en France. » Pour ce faire, elle annonce vouloir « faciliter la possibilité, pour les branches professionnelles, de contractualiser avec la Caisse des dépôts », ce qui est pourtant déjà possible. Elle ne veut pas pour autant « supprimer » l’« essence originelle » du CPF, qui est « la liberté de choisir son avenir professionnel. » C’est la quadrature du cercle CPF : orienter la dépense tout en laissant les bénéficiaires aux commandes.
- D’autre part, corollaire du point précédent, le financement du CPF continue à poser problème. En l’état, il est payé par les cotisations des entreprises, auxquelles s’ajoute de fait, au besoin, une subvention d’équilibre versée par l’Etat pour maintenir France Compétences à flots. Mais aucun autre mécanisme ne vient garantir le financement d’une créance formation qui s’accroît d’environ 10 Mds€ par an en flux, et dépasse déjà les 80 Mds€ en stock.
Pour le moment, rien n’interdit de penser que le CPF fêtera ses 20 ans en 2034. Mais il est probable qu’il aura sensiblement changé dans son fonctionnement et son financement – si tant est qu’il ne disparaît pas dans une crise politique et/ou financière avant cela. En attendant, pour le responsable formation, le CPF reste un dispositif potentiellement très utile pour alimenter un politique de montée en compétences co-construite avec les salariés. Mais il faut bien admettre qu’il peut aussi bien faire sans !
Crédit photo : Shutterstock / rafastockbr
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