La réforme de 2018 a transformé le système de formation en profondeur, et notamment ses circuits de financement. Mais elle n’a pas modifié l’enveloppe globale : les entreprises continuent à payer entre 1,23 % et 1,68 % pour financer la formation professionnelle et l’apprentissage. Sans surprise, selon un rapport public datant du printemps 2020, le compte n’y est pas, et le système pourrait s’avérer rapidement déficitaire. Et l’épidémie n’a pas arrangé la situation. Où en est-on ?
Le financement de la formation professionnelle (1) : que paient les entreprises ?
Le financement de la formation professionnelle (2) : à quoi sert la contribution formation ?
D’une logique d’enveloppe à une logique de guichet
Début septembre, l’inspection générale des finances (IGF) et l’inspection générale des affaires sociales (Igas) ont publié un rapport conjoint, daté d’avril 2020, consacré aux « Conséquences financières de la réforme de l’apprentissage et de la formation professionnelle ». L’objectif du rapport est d’évaluer le coût de mise en œuvre de la réforme et de confronter celui-ci aux ressources correspondantes, en effectuant des projections jusqu’en 2023.
Le rapport explicite un point souvent éludé dans les débats sur le système de formation : la nouvelle réforme introduit, pour une partie de la dépense, une logique de guichet, là où prévalait auparavant, au moins dans les faits, une logique d’enveloppe. Avant les réformes de 2014 et 2018, la contribution des entreprises à la formation et à l’apprentissage faisait l’objet d’une répartition entre les OPCA et entre les dispositifs (plan de formation, DIF, CIF…). La logique qui tendait à s’établir était celle du « premier arrivé, premier servi ». Mais la dépense était limitée à l’enveloppe totale.
Avec la réforme de 2018, une partie de la dépense a été sortie de l’enveloppe pour être confiée principalement à deux guichets :
- L’apprentissage, retiré aux régions et confié aux Opco, ne fonctionne plus dans une logique de dotation globale des CFA mais dans celle du « coût contrat ». En gros, le montant total dépensé dépend du nombre d’apprentis que les entreprises décident d’embaucher.
- Le Compte personnel de formation (CPF), retiré aux Opca et confié à la Caisse des dépôts et consignation, peut être mobilisé directement par les salariés. C’était déjà le cas avant la réforme, en principe, depuis la création du CPF en 2015 ; mais l’intermédiation par les Opca et la technicité du système créait de fait une limitation de la dépense.
Dans le même temps, il a été décidé de ne pas augmenter la contribution des entreprises. En pratique, aucun dispositif n’empêche la consommation d’apprentissage et de CPF de dépasser considérablement le montant des recettes. Ce qui se traduira, prédit le rapport, par un alourdissement de la dette de l’Etat, France Compétences ayant un statut public.
Près de 5 milliards de déficit cumulé en 2020-2023
Le calcul à long terme est de tabler sur les gains de productivité et d’emploi engendrés par la réforme pour amortir le coût. En attendant, le nouveau système risque fort d’être victime de son succès. Le rapport contient trois scénarios de projection. Le scénario central prévoit un besoin de financement de 4,9 milliards d’euros en 2023 pour l’ensemble du système.
Ce chiffre est calculé sur la base :
- D’une croissance de 6% par an des contrats en alternance, résultant d’une forte augmentation des contrats en apprentissage en partie compensée par une baisse du nombre de contrats de professionnalisation ;
- De dépenses liées à Pro-A qui s’installeraient à 200 millions d’euros par an à partir de 2021 ;
- D’une montée progressive du nombre de CPF de 676 500 à 1 million par an entre 2020 et 2023.
Dans le même temps, la masse salariale augmenterait de 3% par an. Et le transfert de la collecte aux Urssaf se traduirait par un meilleur recouvrement.
Ces chiffres ont été calculés avant la crise épidémique, et ne tiennent donc pas compte des effets de celle-ci, qu’il est difficile d’estimer. Les recettes vont marquer le pas en 2020, mais on ne peut exclure un rattrapage dans les années qui suivent. Dans le même temps, quelle évolution les dépenses suivront-elles ? On sait que le CPF a marqué le pas pendant le confinement. Mais quel sera l’effet des mesures d’aide à la formation, qu’il s’agisse des subventions du FNE-Formation ou de l’aide à l’alternance ? Ces dépenses pèseront également sur le bilan de la formation professionnelle. Le plan de relance, tout comme la réforme, risque d’être victime de son succès, et aucun mécanisme n’est prévu pour assurer le financement. A l’inverse, le développement du distanciel pourrait contribuer, dans une faible mesure, à réduire la facture.
Dérembourser partiellement l’apprentissage niveau licence et plus
Quelle que soit l’évolution post-crise, il est inévitable que le système soit en déséquilibre à l’horizon 2023, dans des proportions probablement au moins égales à celles qu’anticipent l’IGF et l’IGAS. Ceux-ci ne proposent pas de système de financement pérenne : leur lettre de mission interdisait explicitement de toucher au montant de la contribution formation et alternance des entreprises. En revanche, ils identifient une série d’économies plus ou moins techniques, qui pourraient selon le rapport combler la quasi-totalité du besoin de financement à 2023 (4,8 milliards d’euros).
Les propositions d’économies incluent des mesures de trésorerie et de gestion budgétaire internes au système. Ces mesures n’ont pas ou peu d’impact pour les entreprises, et ce ne sont pas les plus rentables.
Les mesures les plus significatives pèseraient cependant sur les entreprises et les organismes de formation. On pourrait ainsi dégager, d’ici à 2023 :
- 1,6 milliards d’euros (soit un tiers des économies totales) en plafonnant le remboursement des formations en apprentissage conduisant à des diplômes bac+3 et au-delà. Le développement actuel de l’apprentissage s’explique en grande partie par celui de formations de haut niveau, alors que la réforme ciblait plutôt les publics moins qualifiés. La mission propose donc de dérembourser partiellement les formations en apprentissages niveau licence et plus, tout en ayant conscience du risque de réduire la croissance du dispositif.
- Un peu moins de 200 M€ en plafonnant davantage le coût des contrats de professionnalisation, d’une manière suffisamment ciblée et juste pour éviter que les entreprises, là encore, fuient le dispositif ;
- 900 M€ en fixant un objectif de 3% par an de réduction de la prise en charge du contrat d’apprentissage ; ici, ce sont les CFA qui paieraient la note.
- 415 M€ en utilisant une disposition de la loi qui permet de financer les CFA d’apprentissage à un niveau moindre dès lors qu’il y a un autre financement public.
Soit un peu plus de 3,1 milliards d’euros.
Ces économies, dont au moins un tiers pèseraient directement sur les entreprises, suffiraient à peine à combler le besoin de financement pour 2023, dans l’hypothèse centrale du rapport, devenue depuis singulièrement optimiste. Il faudrait donc sans doute recourir a minima à d’autres mesures. La mission propose, « si une inflexion significative de la réforme était assumée », de mettre les individus à contribution, en rendant le CPF moins avantageux : plafonnement des montants pris en charge, ticket modérateur obligatoire, moindre alimentation du compte.
Au total, le rapport donne l’impression d’un flou artistique entourant le financement à moyen et long terme de la formation ; un flou auquel l’IGF/IGAS n’apporte pas de vraie réponse structurée, les contraintes de sa lettre de mission ne lui en laissant pas la possibilité. Une chose est sûre : cette question du financement n’a pas fini d’être soulevée, et il y a fort à parier que les entreprises seront mises à contribution. Il reste à savoir dans quelle mesure cela se fera de façon mutualisée (par une hausse des cotisations) ou individualisée (par une augmentation des dépenses de formation directe des entreprises).
Crédit photo : Shutterstock / rawf8
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