Le projet de loi dévoilé le 6 avril dernier par Muriel Pénicaud apporte un certain nombre de réponses concrètes aux interrogations soulevées lors de l’annonce des grandes lignes de la réforme le 5 mars. La loi n’est pas encore votée, et peut encore évoluer significativement lors des débats. Nous survolons cependant ici les principaux points susceptibles d’impacter les entreprises, à ce stade de l’élaboration de la réforme.
Le financement
Le projet comprend une refonte totale des contributions « formation professionnelle » et « apprentissage ». Le taux global reste inchangé pour les entreprises de 250 salariés et plus, et baisse pour les entreprises situées en-dessous de ce seuil. Les cotisations seront versées désormais à l’Urssaf, à partir de 2021 au plus tard. Le tableau des contributions qui en résulte est sensiblement différent de celui qui était prévu par les partenaires sociaux. Les catégories « 11 à 49 salariés » et « 50 à 249 salariés » fusionnent.
Moins de 11 salariés | 11 à 249 salariés | 250 salariés et plus | |
Contribution unique formation et apprentissage | 0,99% | 1,48% | 1,60% |
Contribution additionnelle versée aux organismes de formation | – | 0,08% | 0,08% |
Total | 0,99% | 1,56% | 1,68% |
Les entreprises de moins de 11 salariés verseront ainsi 0,24% de moins qu’aujourd’hui (elles versent actuellement 0,55% formation + 0,68% apprentissage = 1,23%) ; celles de 11 à 249 salariés verseront 0,12% de moins (1% + 0,68% = 1,68%).
Quelques points cependant :
- Le 1% actuellement versé sur les contrats à durée déterminée pour le congé individuel de formation (CIF-CDD) perdure. Il est destiné au Compte personnel de formation (CPF), sans être précisément fléché vers les formations de reconversion.
- Les entreprises d’Alsace-Moselle conservent un taux de contribution préférentiel de 0,24 points moins élevé ;
- La contribution supplémentaire à l’apprentissage, due par les entreprises de 250 salariés et plus, perdure sous le nom de « contribution supplémentaire à l’alternance ». Son taux devrait varier en fonction de la taille de l’entreprise, comme actuellement.
- Certaines entreprises qui n’acquittaient pas la taxe d’apprentissage y seront désormais soumises – ou plus exactement, elles acquitteront l’intégralité de la contribution formation/alternance, y compris la part dédiée à l’apprentissage. Il s’agit des écoles privées (exonérées jusqu’à présent) et des groupements d’employeurs agricoles. Ces structures verront leurs prélèvements augmenter progressivement jusqu’à 2024. Elles continueront cependant à être exonérées de contribution supplémentaire à l’alternance.
Le passage au nouveau régime se fait progressivement, d’ici à 2024. En l’état, on peut comprendre que cette transition se traduira par une baisse de cotisations entre-temps (la taxe d’apprentissage disparaissant et la contribution unique n’augmentant que progressivement), mais le texte n’est pas suffisamment abouti pour qu’on en soit certain.
[Edit : comme nous l’avons précisé depuis, ces taux n’ont finalement pas été retenus, et le tableau ci-dessus est caduc. Suite au vote de la loi « Avenir Professionnel », la contribution à la formation professionnelle et à l’alternance se répartira comme suit :
Moins de 11 salariés | 11 salariés et plus | |
Contribution à la formation professionnelle | 0,55% | 1% |
Taxe d’apprentissage | 0,68% | 0,68% |
Total | 1,23% | 1,68% |
Toute la partie « financement » de la loi « Avenir Professionnel » a en effet été modifiée par la commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale fin mai 2018].
Pour quels usages ?
L’exposé des motifs annonce une réforme profonde du « financement de la formation professionnelle continue et de l’apprentissage, en identifiant un objet à un financement », mais cet aspect n’est pas si clair. On sait juste que la contribution est divisée en deux parts :
- Une part (0,35% de la contribution des entreprises de moins de 11 salariés, 0,75% de la contribution des autres entreprises) est versée à la nouvelle agence France Compétences, pour financer le CPF, le conseil en évolution professionnelle (CEP), la formation dans les entreprises de moins de 50 salariés et celle des demandeurs d’emploi (cette dernière part est reversée à l’Etat) ;
- Une part va au financement de l’alternance, via les opérateurs de compétences (successeurs des opca), et via, encore une fois, France Compétences, qui fait la péréquation des fonds et finance les régions.
Au total, le fléchage est plutôt moins précis que précédemment.
Les 0,08% acquittés par les entreprises de 11 salariés comme « contribution au développement des formations professionnalisantes » seront versés directement aux écoles et organismes de formation choisis par l’entreprise. Cette contribution remplace l’ancien « hors quota » de la taxe d’apprentissage.
Les opérateurs de compétences
Successeurs des organismes paritaires collecteurs agréés (Opca), les opérateurs de compétences resteront à gestion paritaire, et liés aux branche professionnelles. Leur périmètre devra cependant être revu par négociation entre les partenaires sociaux et rapprochement de branches, d’ici le 1er juin 2019, pour un agrément d’Etat délivré en septembre 2019. Pour obtenir cet agrément, les opérateurs devront prouver qu’ils sont capables d’être présents sur tout le territoire et que leur « champ d’intervention professionnel et interprofessionnel » est cohérent. Il y aura un montant minimal de contributions gérées.
Financièrement, les opérateurs de compétences vont intervenir dans trois domaines :
- Le financement des contrats de formation en alternance (apprentissage et professionnalisation), par versement direct aux centres de formation ;
- Le plan de développement des compétences (ex-plan de formation) des entreprises de moins de 50 salariés ; celles-ci bénéficieront désormais d’une véritable mutualisation des ressources venant de l’ensemble des entreprises.
- La mobilisation du compte personnel de formation en faveur des « projets de transition professionnelles » : on comprend que les opérateurs de compétences vont vraisemblablement reprendre les missions des Fongecif, dont le réseau devra donc se réorganiser suivant une logique de branches et se fondre dans celui des opérateurs de compétences.
Outre ces missions de financement, les opérateurs auront également des missions de conseil, d’accompagnement et d’ « appui technique » sur les domaines suivants :
- La gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences dans les branches qu’ils couvrent ;
- L’élaboration des certificats de qualification professionnelle ;
- L’accompagnement des TPE/PME et de leurs salariés.
Le conseil en évolution professionnelle sera délivré par le service public de l’emploi (Pôle emploi, les missions locales, l’Agefiph) et par des organismes privés sélectionnés sur la base d’un cahier des charges, et qui bénéficieront de financements.
Le compte personnel de formation
Les modifications apportées au compte personnel de formation (CPF) sont conformes aux annonces : passage en euros et suppression des listes d’éligibilité. Toutes les formations inscrites au répertoire national des certifications professionnelles peuvent être financées par le CPF, ainsi que la valorisation des acquis de l’expérience, le bilan de compétences, le permis de conduire, l’accompagnement à la création ou reprise d’entreprise. Des abondements peuvent être sollicités auprès de l’entreprise, de l’opérateur de compétences, de l’Etat, de la Région, de Pôle Emploi, d’une collectivité territoriale, d’une chambre des métiers…
La Caisse des Dépôts et Consignations est désignée pour gérer le CPF et son service dématérialisé, qui devra donner accès non seulement à l’état du compte mais aussi aux formations finançables. Il permettra de gérer les dossiers de formation en ligne, y compris les abondements.
A noter que le montant annuel crédité sur le CPF sera fixé par décret. Les montants annoncés seront bien 500€ par an dans la limite de 5000€ (ce rapport maximal de un à dix est fixé dans la loi), mais il ne sera pas nécessaire de passer par la voie législative pour modifier les montants dans un sens ou dans l’autre.
Le montant que l’entreprise devra verser sur le CPF d’un salarié en cas de non-respect des obligations en matière d’entretien professionnel sera lui aussi fixé ultérieurement. Actuellement, l’entreprise verse 3000€ à l’Opca et le CPF du salarié est crédité de 100 heures.
Autre précision de la loi : le Compte d’engagement citoyen (CEC), qui valorise les actions bénévoles, sera lui aussi alimenté en euros.
Le projet de loi comporte d’autres dimensions intéressantes pour le responsable formation : la définition de l’action de formation est rationalisée, les modalités de la labellisation qualité se précisent, des clarifications sont apportées sur le rapprochement entre apprentissage et professionnalisation. Ces aspects feront l’objet d’un article ultérieur. En attendant, l’impression d’origine se confirme : nous sommes bien en présence, sinon d’une révolution, en tout cas d’une véritable reconfiguration en profondeur du système de formation professionnelle.
Crédit photo : fotolia/Brad Pict
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