Les élections approchent, et l’ambiance est aux propositions. La formation professionnelle n’est pas aux premières loges, c’est le moins qu’on puisse dire, mais elle n’est pas totalement oubliée. Côté carotte, l’Institut Montaigne a fait paraître en janvier une étude pour promouvoir un « Capital emploi formation » qui remplacerait le CPA, en plus simple et en plus efficace. Côté bâton, en février, la Cour des comptes s’est interrogée dans son rapport annuel sur la bonne façon de contrôler le système de formation. La presse a évoqué ces deux rapports, et bien d’autres aspects de la formation : nous l’avons lue pour vous.
Cour des comptes, Institut Montaigne : deux documents qui partent des mêmes données, celles de la dépense de formation, pour partir dans deux directions différentes.
L’Institut Montaigne : un capital emploi formation pour plus d’autonomie
Depuis de nombreuses années, les débats autour de la formation professionnelle se focalisent autour du concept de « flexisécurité » : flexibilité de l’emploi contre sécurité des parcours professionnels. Partant de ce constat, Bertrand Martinot (économiste et ancien délégué général à l’emploi et à la formation professionnelle) et Estelle Sauvat (directrice générale de Sodie, cabinet de conseil RH) remarquent que ce second volet (la sécurisation) repose essentiellement sur l’indemnisation chômage, la partie « formation et accompagnement à la transition professionnelle » restant peu efficace, et en tout cas mal évaluée.
Sécurisation des parcours : beaucoup de dispositifs, peu de résultats
Beaucoup d’efforts ont été faits dans la bonne direction : mise en place du Fonds de sécurisation de la formation professionnelle (FPSPP) en 2009, du Compte personnel de formation (CPF) en 2015, du Compte personnel d’activité (CPA) en 2017. Pourtant, malgré tous ces dispositifs et une assurance chômage comparativement généreuse, les salariés français figurent en Europe parmi ceux qui ressentent le plus d’insécurité professionnelle.
La sécurisation des parcours professionnelle, telle qu’elle est conçue actuellement, est trop complexe et trop incomplète pour contrebalancer le mouvement vers la flexibilisation de l’emploi. Il y a donc un double enjeu social et économique dans le système de formation professionnelle et d’accompagnement : rendre la flexibilité acceptable ; et rendre la flexibilité efficace (en termes d’allocation des ressources en compétences).
Le raisonnement n’est pas nouveau, mais force est de constater qu’il ne se traduit pas ou peu dans le discours politique, à ce jour. Des déclarations d’intention (« favoriser la formation professionnelle » se lit beaucoup dans les programmes), mais peu de projets concrets. L’étude de Martinot et Sauvat vise à en proposer un, chiffré et détaillé.
Le coût de la sécurisation
Avant de venir à leur proposition, les auteurs s’attachent à une évaluation du coût de la sécurisation des parcours professionnels (SPP) en France. Ils distinguent :
- un volet « sécurisation des revenus », qui comprend les allocations chômage, les indemnités de licenciement et le financement des chômeurs en formation (hors frais de formation). C’est le gros du SPP, à 43 milliards d’euros.
- Un volet « placement/ accompagnement », à 4,85 milliards d’euros (surtout Pôle Emploi).
- Un volet accompagnement/formation, qui plafonne à 2,5 milliards, ou 3,9 avec la contribution des ménages. Les auteurs font en effet le choix, certes discutable, d’exclure du périmètre l’alternance (y compris la professionnalisation) et les formations à l’initiative de l’employeur.
Ils en déduisent que la dépense allouée à la sécurisation des parcours est constituée à 80% de la sécurisation des revenus. « Il semble bien que notre pays ait fait le choix de « dédommager » le plus possible les personnes qui perdent involontairement un emploi plutôt que de faire porter l’effort sur les dispositifs susceptibles d’agir sur le retour à l’emploi. »
De plus, le système s’avère très inégalitaire : « les droits acquis en matière de SPP dépendent aujourd’hui, pour l’essentiel, du statut de la personne ou des caractéristiques de l’entreprise qui l’emploie (sa taille, sa situation financière, l’état du dialogue social en son sein) ».
Les comptes individuels : bonne intention, mais peut mieux faire
Ce diagnostic est connu, et des efforts ont été faits pour remédier à la situation. Le CPF/CPA, notamment, allait dans la bonne direction, en attachant des droits à l’individu. Mais il reste un outil très imparfait, pour nombre de raisons :
- Le CPF est inégalitaire : libellé en heures, il avantage les cadres, dont l’heure de formation coûte plus cher ; de plus ceux qui ont un parcours heurté, qui ont le plus besoin de formation, reçoivent moins d’heures, puisque ils sont moins souvent en emploi.
- Le plafonnement à 150 heures est trop bas ; et celui à 400 pour les moins qualifiés n’est pas financé.
- Les choix de l’individu sont trop contraints : listes d’éligibilité, besoin de l’accord de l’employeur pour les formations sur temps de travail.
Enfin, le CPF est d’usage complexe et sous-financé. Et le conseil en évolution professionnelle (CEP), enjeu fondamental, est « traité de façon secondaire ».
Un Capital emploi formation pour la vie
Pour répondre à tous ces enjeux, les auteurs proposent de faire évoluer le Compte personnel d’activité vers un Capital emploi formation (CEF), qui permette « d’inverser la logique et d’attribuer directement au travailleur, quel que soit son statut, les moyens d’anticiper et de réagir au mieux aux aléas de la vie professionnelle. »
Ce CEF aurait les caractéristiques suivantes :
- Un « droit à accompagnement global » : le CEF permettrait de financer aussi bien de la formation que du conseil en évolution professionnelle, du coaching, de l’accompagnement à la création d’entreprise, de l’accompagnement à la recherche d’emploi ; il remplacerait tous les dispositifs existants dans ce domaine.
- Un capital universel, attaché à la personne, indépendant du statut (il s’accroîtrait que l’on soit en emploi ou non).
- Le CEF serait alimenté en euros, et non en heures. Il ne serait pas plafonné.
- Le titulaire pourrait utiliser son CEF pour de la formation sur son temps de travail sans que l’employeur puisse s’y opposer. En contrepartie, celui-ci ne verserait pas de salaire sur le temps pris sur le travail. L’Unedic pourrait financer un maintien de salaire à certaines conditions.
- Le bénéficiaire du CEF pourrait acheter les prestations qu’il souhaite auprès des organismes de son choix, sans logique d’éligibilité, mais avec une labellisation.
- Le capital serait défiscalisé et produirait des intérêts. Au moment de la retraite, le résidu serait reversé au pot commun.
Enfin, le droit serait financé par une cotisation patronale de 0,4% et par des versements des employeurs au moment des ruptures de contrat (hors démission). L’ensemble du système de financement de la formation professionnelle et du retour à l’emploi serait remis à plat et simplifié.
Sans révolutionner le paysage des acteurs de la formation professionnelle, le CEF modifierait profondément leurs rôles et leurs relations. Sa vocation est d’accomplir la finalité affichée par les dernières réformes – l’autonomisation de l’individu et l’émergence d’un vrai marché de la formation professionnelle – en allant au bout de leur logique. Il reste à voir si cette proposition détaillée intéressera les candidats !
Contrôler la formation : à quoi bon, après la réforme ?
Parallèlement, conformément à sa vocation, la Cour des comptes abordait le système de formation professionnelle par l’autre versant : celui du contrôle de l’utilisation des fonds. La presse a abondamment repris certains termes du rapport en reprenant l’air connu du gaspillage des fonds de la formation professionnelle. Entreprise & Carrières n°1324 (14-20 février 2017) a consacré une analyse plus fouillée au document.
Un constat sévère mais peu chiffré
Ce qui frappe d’abord à la lecture du rapport est la relative carence de données chiffrées pour étayer le constat, non exprimé mais suggéré, d’une fraude massive. Un chapitre est consacré à décrire la complexité du système et les multiples occasions de fraude qu’il recèle. Des exemples sont cités en encarts : financement de prestations éloignées de la formation, fausses feuilles d’émargement, formations fictives…
Le rapport déplore ensuite « des contrôles peu nombreux et globalement inefficaces ». Ce constat concerne d’abord les contrôles de l’Etat, quasi inexistants. On apprend qu’il y a 152 agents dédiés au contrôle de la formation professionnelle pour toute la France. La gouvernance laisse à désirer, les moyens sont insuffisants, et sans surprise, les contrôles sont peu nombreux en proportion : en 2014, ils ont concerné 0,8% des prestataires de formation, 0,7% des entreprises et 5% des Opca.
Contrôles réalisés par les services de l’Etat en 2014
La Cour a par ailleurs interrogé 9 Opca, et constaté que ceux-ci effectuaient également peu de contrôles – et avec des résultats très contrastés.
Ce qui est dénoncé par la Cour, c’est donc l’insuffisance du contrôle, et non une fraude massive, qui n’est pas avérée.
Le rapport formule plusieurs recommandations, qu’Entreprise & Carrières résume en « une démarche à trois étages » :
- Inciter les Opca et les Opacif à « faire des contrôles inopinés et sur place », et plus généralement à renforcer leur stratégie de contrôle ;
- Formaliser la procédure de signalement des fraudes aux services de l’Etat par les Opca ;
- Pousser l’ensemble des financeurs à mettre en place « des outils communs d’analyse de risques et d’information » – en partant par exemple du Datadock…
Les nuances du ministère du Travail
Le rapport contient également, comme il est de coutume, la réponse des ministères concernés. Le ministère du Travail et le secrétariat d’Etat à la Formation professionnelle apportent plusieurs bémols aux constats du rapport.
Ils rappellent d’abord que l’esprit de la loi est bien de « laisser aux employeurs le libre choix de l’organisme de formation pour satisfaire les besoins des salariés et de l’entreprise. » De plus, avec la réforme de 2014, « la contribution des employeurs a été reconfigurée pour donner plus de liberté aux employeurs tout en les responsabilisant sur leurs investissements en formation et en introduisant une obligation de former en lieu et place d’une obligation de dépenser ». En clair, puisque le mécanisme de l’imputabilité n’existe plus, il n’y a plus de risque que des entreprises s’exonèrent de leurs obligations en déclarant, par exemple, de fausses formations ; désormais, ils versent leur 1% quoi qu’il arrive. La nécessité d’un contrôle rigoureux s’en trouve très amoindrie. Et le risque existe de stériliser le marché en le saturant de réglementations.
Le Ministère rappelle également que sur 4124 contrôles d’organismes de formation effectués depuis 2010, 13,6% ont donné lieu à des sanctions financières, pour un montant représentant 66 millions d’euros, soit 3,1% des sommes contrôlées. Si on ne retient que les manœuvres frauduleuses, on tombe à 3,3% des contrôles et 1% des sommes. La Cour des comptes en conclut qu’on ne contrôle pas assez, puisqu’on ne trouve presque rien… Peut-être faudrait-il davantage rechercher dans la direction libératrice de l’Institut Montaigne, et un peu moins dans celle du contrôle administratif ?
Également dans la presse papier de janvier-février
Certification qualité
Entreprise & Carrières n°1321 (24-30 janvier 2017 pp. 18 et suivantes) propose un dossier sur la certification qualité, obligatoire depuis le début de l’année pour les organismes de formation auprès de leurs principaux financeurs.
- Jean Wemaere, président de la Fédération de la formation professionnelle (FFP), s’y interroge sur la lourdeur de la procédure de référencement Datadock, estimant que « la réglementation n’a pas vocation à résoudre la question de la qualité en formation ».
- Thierry Vaudelin, directeur formation chez Manpower, craint pour sa part que chaque Opca n’ajoute encore ses propres critères. Il estime également que les données recueillies devraient être accessibles également aux acheteurs de formation, s’inquiète des conséquences du dispositif qualité sur les versements volontaires aux Opca ; pour lui, il faudrait que l’utilisation des fonds libres échappent au décret qualité.
- Pour le Bernard Masingue (Entreprise & Personnel), on ne fera pas progresser la qualité de la formation par un contrôle a priori des organismes, mais en travaillant sur l’aval, notamment par la sensibilisation des responsables formation et des apprenants.
Marché de la formation
Entreprise & Carrières n°1322 (31 janvier – 6 février 2017) revient (p.6) sur la séance de speed dating organisée le 13 décembre dernier par le cabinet Althia entre responsables formation et prestataires de formation. Une expérience accueillie positivement par les participants, dans une perspective de sourcing pour les entreprises, de prospection pour les organismes. Le même numéro évoque également (p.15) l’inauguration à Lesquin (59) du centre de formation d’Orange dédié à la cybersécurité ainsi que (p.29) la démarche VAE de Carrefour pour ses managers et chefs de secteurs.
Acteurs de la formation
Liaisons Sociales n°178 (janvier 2017) présente dans ses pages :
- Pascale d’Artois (p.13), nouvelle directrice de l’Afpa, venue du FAF.TT pour piloter la transformation de l’organisation en établissement public ;
- Cécile Dejoux (p.25), qui dirige le master RH au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), dont le Mooc sur le management digital a dépassé les 100 000 auditeurs ;
- Jean de Sevin (p.53), président du syndicat national du management de transition, qui vient de créer l’Institut de formation au management de transition pour professionnaliser ce métier.
CPF
Un petit article est également consacré (p.54) à une rétrospective de 2016 comme année de mise en œuvre de la réforme. On y apprend que les 600 000 formations validées en financement CPF « se concentrent surtout sur six certifications » : CléA, Toeic, Bulats, l’accompagnement VAE, le stage d’installation des artisans et le Caces.
Système de formation
Inffo Formation n°916 (15-28 février 2017) commente (p.2) le lancement du portail « Paritarisme emploi-formation », par le Copanef (Comité paritaire interprofessionnel national pour l’emploi et la formation) et le FPSPP (Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels). Ces deux organes issus de la réforme de 2014 ont en effet décidé de se rapprocher pour coordonner leur action et mieux faire connaître les travaux des partenaires sociaux dans le domaine de la formation professionnelle et de l’emploi.
Formations à la sécurité
Une double page (pp. 26-27) est consacrée aux nouvelles obligations de formation qui s’imposent aux agents de sécurité, et aux organismes qui les forment. Ceux-ci doivent, depuis le 1er juillet 2016, avoir reçu du Cnaps (Conseil national des activités privées de sécurité, créé en 2012) une autorisation d’exercer, elle-même conditionnée à une certification.
Crédit illustration : fotolia/spinyant
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