Les autorités affichaient l’objectif d’1 million de nouveaux contrats d’apprentissage par an. On le sait, c’est irréaliste en rythme de croisière. En revanche, 1 million d’apprentis en contrat à l’instant t, c’est possible. Et c’est (presque) le cas en 2022. La Dares fait le point sur la dynamique de l’apprentissage depuis 1993. Nous avons utilisé l’ensemble des données disponibles pour esquisser un tableau global de l’alternance dans les entreprises aujourd’hui et de son évolution au cours des 30 dernières années, au-delà des éléments d’analyses contenus dans l’étude.
Sommaire
L’âge d’or de l’alternance ?
Stabilisation du contrat de professionnalisation
Qui sont les apprentis ?
Quelles entreprises embauchent en apprentissage ?
Nouvelles aides : rappel
L’âge d’or de l’alternance ?
Il n’y a jamais eu autant d’apprentis en France – ni, au total, autant de salariés en alternance. La politique d’aide conduite depuis l’été 2020 a produit, indubitablement, des effets spectaculaires.
L’étude publiée par la Dares début mars 2023 reprend les chiffres des entrées en apprentissage depuis 1993, et ceux des contrats en cours depuis 2012. La durée moyenne des contrats étant sensiblement supérieure à 1 an, le nombre d’apprentis à l’instant t est toujours supérieur au nombre d’entrées. La différence entre les deux chiffres n’est cependant pas très élevée, la moitié des contrats ayant une durée inférieure à 18 mois (l’étude ne donne pas la durée moyenne).
La courbe est éloquente. Les entrées en apprentissage doublent entre 1993 et 2007, se stabilisent ensuite autour des 300 000 par an jusqu’à 2018, avant de connaître une explosion entre 2020 et 2022. Elles atteignent 837 000 en 2022.
Le nombre d’apprentis en contrats suit la même évolution, avec un léger tassement dans les années 2010 autour de 400 000, puis une envolée qui amène la courbe à flirter avec le million en 2022, avec 980 000 apprentis.
Si l’on ajoute les contrats de professionnalisation, le million est largement dépassé : au 31 décembre 2022, près d’1,15 million de salariés travaillaient en contrat d’alternance au sein des entreprises et des administrations françaises. Soit environ 5% des salariés.
Stabilisation du contrat de professionnalisation
Créé en 2004, le contrat de professionnalisation a remplacé l’ensemble des dispositifs d’alternance mis en place par les partenaires sociaux dans les années 1980 (contrat de qualification, d’orientation…). Il représentait au départ une alternative plus chère mais plus flexible à l’apprentissage. La réforme de 2018 a mis fin à cette spécificité : le contrat de professionnalisation reste plus cher, mais il a cessé d’être plus flexible. La conséquence ne s’est pas fait attendre : le contrat de professionnalisation a reculé face à l’apprentissage. En2021- 2022, cependant, la baisse s’est interrompue, sans doute grâce aux aides à l’apprentissage, qui concernent les deux dispositifs.
Au total, les entreprises et les administrations françaises ont embauché 958 000 personnes en alternance en 2022, soit là encore près d’un million.
Un dernier point sur le contrat de professionnalisation : à la différence de l’apprentissage, le dispositif s’adresse aussi bien aux jeunes (moins de 26 ans) qu’aux plus âgés (26 ans et plus), à condition que ces derniers soient demandeurs d’emploi ou appartiennent à certains publics défavorisés. En valeur absolue, le recul marqué de la professionnalisation depuis la réforme de 2018 a concerné essentiellement les jeunes, c’est-à-dire la tranche d’âge pour laquelle il y a « concurrence » entre apprentissage et professionnalisation. Le nombre de contrats de professionnalisation adultes a plutôt tendance à se stabiliser au niveau atteint en 2018, et il représente désormais la moitié du total, contre un quart avant la crise sanitaire.
Qui sont les apprentis ?
Les données de la dernière étude de la Dares permettent de détailler les profils des bénéficiaires de contrats d’apprentissage ainsi que les entreprises qui les embauchent.
Un premier constat saute aux yeux : l’augmentation des 3 dernières années s’est accompagnée d’une modification rapide du profil des apprentis : âge, genre, niveau de formation. Ces changements s’inscrivent dans la continuité des tendances de long terme, mais l’accélération est très nette.
L’âge moyen des apprentis s’est élevé de façon continue depuis 30 ans. En 1993, près de 3 nouveaux apprentis sur 5 (58%) étaient mineurs. En 2018, il n’y en avait plus que 37%. Les années Covid ont fait chuter la proportion d’apprentis de moins de 18 ans à moins d’1 sur 5 (19%). Pour autant, en valeur absolu, le nombre de mineurs embauchés en apprentissage a augmenté de 33% depuis 2018. C’est certes beaucoup moins que les 160% d’augmentation observés à l’échelle de l’ensemble des apprentis, mais l’effet des aides a été réel.
A l’inverse, la part des 22 ans et plus s’est accrue de façon continue depuis 30 ans, passant de 5% à 19% entre 1993 et 2018, puis à 32% en 2022. Là encore, les années Covid ont accéléré une tendance antérieure.
On retrouve le même phénomène si l’on s’intéresse au niveau de formation à l’entrée en contrat. En 1993, les bac+2 faisaient figure de rareté dans le monde de l’apprentissage : 1 apprenti sur 50 (2%) était dans ce cas. La promotion du dispositif dans le supérieur a progressivement amené ces diplômés à représenter 22% des nouveaux apprentis en 2018. En 2022, on flirte avec les 40%.
Les aides à l’apprentissage, comme on le pressentait, ont donc bénéficié prioritairement aux plus diplômés et aux plus âgés et ce d’autant que la réforme de 2018 a étendu l’âge maximum pour entrer en apprentissage à 30 ans.
On remarque cependant un ralentissement de la croissance, et il est très possible que la modification du dispositif d’aide en 2023, dans un sens moins favorable aux majeurs, rééquilibre la répartition des profils en faveur des plus jeunes et des moins diplômés. Au prix, probablement, d’un tassement global de l’apprentissage.
Une autre conséquence du « boom » de l’apprentissage est l’accroissement de la part de femmes parmi les effectifs concernés. Il y a 30 ans, les apprenties représentaient 30% des nouveaux arrivants. En 2018, elles n’étaient toujours que 34% ; en l’espace de 4 ans, un brusque virage vers la parité a été effectué, pour atteindre 45% de femmes.
Quelles entreprises embauchent en apprentissage ?
Cette modification des profils correspond à un changement dans la répartition des entreprises qui ont recours à l’apprentissage.
Une tendance longue, d’abord : l’apprentissage a longtemps été l’apanage des très petites entreprises (TPE). En 1993, les trois quarts des apprentis étaient recrutés dans des structures de moins de 10 personnes. En 2018, on était à la moitié. La crise sanitaire, sur ce point-là, n’a accentué que modérément le mouvement : 45% des apprentis de 2022 ont été embauchés par des TPE.
Dans le même temps, les entreprises de 250 salariés et plus ont accru continûment leur recours à l’apprentissage : seules 4% en recrutaient en 1993, elles étaient 22,5% en 2022. Pour les plus de 1000 salariés, la part est passée en 10 ans de 9 à 14%.
La répartition sectorielle des employeurs s’est elle aussi modifiée progressivement. Au milieu des années 1990, près des trois quarts des apprentis étaient employés dans le commerce, l’industrie ou la construction. Ces secteurs représentaient moins de la moitié des profils (47%) en 2022.
A l’inverse, les secteurs de la finance, de la communication et du soutien aux entreprises ont embauché 1 apprenti sur 4 en 2022, contre moins de 13% il y a 10 ans. Et l’essentiel de l’augmentation a eu lieu depuis 2019.
Parallèlement, la durée des contrats s’est réduite, traduisant peut-être l’effet d’aubaine lié aux aides, qui sont ciblées sur la première année. Entre 2012 et 2018, les contrats longs (plus de 18 mois) sont passés de 73% à 68,5% du total. En 2022, il n’y en avait plus que 53%.
Nouvelles aides : rappel
Au 1er janvier 2023, les aides à l’embauche en alternance ont été modifiées comme suit : toute embauche d’un jeune en apprentissage ou en contrat de professionnalisation (moins de 30 ans dans ce dernier cas) donne droit à 6 000 € de subvention la première année, quel que soit l’âge du bénéficiaire. Auparavant, les mineurs donnaient droit à 5 000 €, les majeurs à 8 000 €. Les conditions supplémentaires qui s’appliquaient aux entreprises de 250 salariés et plus continuent à s’appliquer.
En pratique, donc, l’embauche d’un mineur en apprentissage est gratuite pour l’entreprise la première année ; l’embauche d’un majeur a un coût plus élevé qu’en 2022.
En réalité, l’augmentation rapide de l’apprentissage au cours des 3 dernières années dissimule un double mouvement : une augmentation significative de l’embauche des profils correspondant aux objectifs « historiques » du dispositif (plus jeunes, moins qualifiés, dans les TPE de l’industrie, de l’artisanat et du commerce, pour des durées longues), combinée à une irruption massive de nouveaux profils (plus âgés, plus diplômés, dans les services et les grandes entreprises, pour des durées courtes). Dans quelle mesure s’agit-il d’un artefact lié aux aides exceptionnelles consenties aux entreprises depuis l’été 2020 ? Les chiffres de 2023 apporteront une première réponse, en reflétant la réaction des entreprises au changement de montant des aides. Mais c’est surtout la question de la pérennisation ou non de ces dernières qui fait peser un point d’interrogation sur l’avenir du secteur.
Crédit photo : Shutterstock / Peter Hermes Furian
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