Les soft skills sont sur toutes les lèvres et tous les écrans en cette année 2022. Au moins 2 baromètres (CSP Docendi et Wesuggest) et un rapport de France Stratégie y ont été consacrés depuis le début de l’année. La sphère RH, très majoritairement, affirme bien les connaître. Mais selon le baromètre WeSuggest, les entreprises qui les évaluent chez les candidats le font essentiellement à l’intuition… De quoi parle-t-on précisément ? Comment les entreprises peuvent-elles tirer bénéfice de ces compétencecs ? Quelques pistes de réponse.
Peut-on définir les soft skills ?
Comment les entreprises définissent-elles les soft skills ?
Comment évaluer les soft skills ?
Comment développer les soft skills ?
Peut-on certifier les soft skills ?
L’année 2022 est déjà riche en publications sur les soft skills. Fin mars 2022 est sortie la 2e édition du baromètre des soft skills de CSP Docendi (nous avions commenté la 1re édition l’année dernière). Fin avril, c’était au tour de WeSuggest (la solution de matching de recrutement de Performanse, spécialiste de l’évaluation des soft skills) de publier son premier baromètre de l’évaluation des soft skills. Au mois de mai, enfin, France Stratégie a diffusé un document de travail sur les soft skills, conçues comme un moyen pour « innover et transformer les organisations », débouchant sur 7 propositions de politique publique. Il s’agit cependant d’un document très théorique et très technique, dont il est difficile de tirer des conclusions opérationnelles pour l’entreprise.
Peut-on définir les soft skills ?
Les experts de ces différentes publications s’entendent-ils sur la définition des soft skills ?
Pour Dominique Duquesnoy, CEO de WeSuggest, les soft skills ne sont en substance qu’un anglicisme à la mode pour nommer les « compétences comportementales ».
Pour les auteurs du rapport de France Stratégie, il semble que les soft skills renvoient à « la partie comportementale des compétences transversales sans s’y substituer totalement ».
C’est Mélany Payoux, Manager de l’innovation chez PerformanSe, « il n’existe pas de définition stricto sensu ni de consensus ».
En bref, nous sommes loin d’une définition univoque et partagée des soft skills. Le baromètre WeSuggest donne sans doute la définition la plus convaincante et la plus opérationnelle : les soft skills recouvrent tout ce qui ne relève pas des « hard skills ». Ces dernières désignant « les compétences techniques et les savoir-faire spécialisés ».
Confronté à une situation de recrutement, un employeur se demande d’abord si le candidat connaît le métier. Il se pose ensuite toutes sortes de questions : sait-il travailler en équipe ? S’adapter au changement ? Travailler en autonomie ? Être force de proposition ? Faire preuve de créativité ? Toutes ces questions que l’on se pose une fois rassuré sur la capacité technique du candidat constituent, en somme, le champ des soft skills.
Comment les entreprises définissent-elles les soft skills ?
Le baromètre CSP-Docendi, de son côté, ne propose pas de définition des soft skills, mais demande leur avis sur la question aux professionnels RH. Ceux-ci identifient prioritairement les soft skills aux compétences relationnelles et aux compétences émotionnelles.
Baromètre CSP-Docendi
Les deux baromètres sont parfaitement cohérents sur ce point. Lorsque WeSuggest demande aux professionnels en entreprise quelles sont les soft skills les plus souvent évaluées, le trio de tête est l’esprit d’équipe, l’adaptabilité et la capacité de communication. Les répondants du baromètre CSP-Docendi privilégient l’écoute, l’adaptabilité et la communication (avec une question légèrement différente).
Baromètre WeSuggest
Baromètre CSP-Docendi
Pourquoi cette association privilégiée des soft skills aux compétences relationnelles et émotionnelles ? On peut envisager au moins deux pistes d’explication :
- Les compétences cognitives, conceptuelles et organisationnelles sont moins souvent jugées prioritaires parce que les emplois qui les requièrent plus particulièrement sont moins nombreux (postes « créa », recherche, stratégie).
- L’adjectif « soft » incite les répondants à associer les soft skills à la douceur, au qualitatif par opposition au mesurable, à des qualités morales, à des traits de caractère, à des aptitudes sociale. Les compétences cognitives, conceptuelles et organisationnelles sont peut-être repoussées inconsciemment vers le champ sémantique des « hard skills ».
Quoi qu’il en soit, la préoccupation première des RH semble être la capacité des collaborateurs à s’intégrer dans l’équipe, ce qui est compréhensible, mais occulte une large part de la dimension « développement personnel » des soft skills.
Comment évaluer les soft skills ?
La pratique de l’évaluation des soft skills est quasi-systématique en contexte de recrutement, comme le montre le baromètre WeSuggest. Elle est nettement moins fréquente dans le cadre de la gestion des compétences, si l’on en croit le baromètre CSP-Docendi : seuls 20% des répondants à cette enquête affirment disposer ou s’apprêter à se doter de méthodes d’évaluation des soft skills dans leur organisation. Dans les grandes entreprises, le chiffre monte à 44%, ce qui reste moins de la majorité.
En clair, tout le monde a conscience de l’importance des soft skills, mais peu sont prêts à investir dans des méthodes d’évaluation rigoureuses : 84% des recruteurs se fient à l’instinct, et 65% analysent « la posture et la gestuelle du candidat durant l’entretien ». Seuls 31% utilisent un guide d’entretien dédié, et à peine un peu plus du quart (27%) ont recours à des tests psychométriques (WeSuggest).
Baromètre WeSuggest
Cette réticence à recourir aux tests psychométriques pourrait s’expliquer, selon Dominique Duquesnoy, par leur démocratisation. « L’utilisation des tests psychométriques était auparavant réservée aux spécialistes, le plus souvent psychologues. La généralisation des solutions digitales dans ce domaine, sans base scientifique, sans formation et sans contours déontologiques, a modifié les règles et certainement dégradé le niveau de confiance dans les outils. »
Cette confiance dans l’intuition n’est pas sans risques, estime Mélanie Payoux : « En se basant sur leur intuition, les recruteurs vont rester sur leur première impression car c’est elle qui va laisser le plus de traces et façonner l’idée que nous avons d’un individu. En procédant ainsi, les recruteurs vont être dans le jugement et les biais cognitifs vont impacter défavorablement leur prise de décision. »
Il y aurait donc un besoin d’une professionnalisation accrue de l’évaluation des soft skills. Les professionnels RH n’ont pas besoin qu’on les convainque de l’importance de ces compétences : elle saute aux yeux. C’est l’idée qu’il est possible de les évaluer de façon précise et scientifique qui a besoin d’être défendue. Les professionnels RH en ont conscience : 69% d’entre eux estiment que le manque d’expertise sur le sujet est l’un des principaux freins à l’évaluation des soft skills, et 65% incriminent le manque d’outil d’évaluation adéquat. On rejoint ici la 4e des recommandations du rapport de France Stratégies : « Former les managers de proximité aux outils et indicateurs d’évaluation qualitatifs ».
Comment développer les soft skills ?
Le rapport de France Stratégie insiste par ailleurs sur la nécessité d’intégrer davantage le développement de ces compétences à la formation initiale (recommandation 1) et à la formation professionnelle (recommandation 2). Les 3 dernières recommandations portent sur différents moyens d’intégrer le développement des soft skills à l’environnement de travail. Comme nous l’avons dit, le document reste cependant à un niveau un peu trop abstrait et général pour que l’on puisse réellement en tirer des propositions à l’usage des responsables formation.
Chacun cependant s’accorde sur l’importance de développer les soft skills. Selon le baromètre CSP-Docendi, 46% des entreprises ont organisé des formations aux soft skills au cours des 12 mois précédant l’enquête. Par ailleurs, 92% des professionnels interrogés ont bien conscience que les soft skills ne sont pas acquises pour toujours et doivent être « entraînées ». Ce qui suppose à la fois d’en rappeler régulièrement les fondamentaux et de les mettre en pratique, comme pour toute compétence.
Le champ des soft skills est si vaste qu’il est difficile de caractériser globalement la formation les concernant, ainsi que d’évaluer globalement l’ampleur de l’offre de formation existante.
La formation aux soft skills peut prendre deux formes complémentaires :
- L’intégration des dimensions « soft skills » dans l’enseignement des « hard skills » ; par exemple, dans une formation consacrée à une nouvelle solution digitale RH, aborder des aspects « émotionnels » de gestion du changement auprès des futurs utilisateurs.
- l’apprentissage des soft skills elles-mêmes, comme l’écoute, la créativité, la gestion du stress, d’une manière générale ou appliquées à une situation ou une fonction données : l’autonomie en situation de télétravail, la gestion des émotions en situation de crise, manager dans l’empathie…
L’ampleur de l’offre, d’inégale qualité, a de quoi intimider les managers et les RH, et la priorisation des thématiques face à l’étendue des besoins et des demandes peut s’avérer paralysante. Il y a là une vraie fonction à valeur ajoutée pour le responsable formation : donner des repères aux managers pour les aider à identifier les soft skills à renforcer dans leur équipe, avec une vraie expertise des outils d’évaluation et du sérieux de l’offre de formation.
Peut-on certifier les soft skills ?
Comment un salarié peut-il attester qu’il détient telle ou telle soft skill ? Les compétences transversales et comportementales font depuis longtemps partie des éléments indispensables d’un CV, mais les recruteurs et les RH n’ont guère d’autre possibilité que de croire l’interlocuteur sur parole, à moins de pouvoir s’appuyer sur des témoignages. Peut-on imaginer une forme de certification des soft skills ?
Le sujet a une double importance. En soi, recruteurs comme salariés trouveraient sans doute profit à la possibilité d’attester des compétences relationnelles, de la créativité, de l’aptitude à l’écoute d’un candidat ou d’un collaborateur. Mais la certification a également des enjeux financiers : pour être éligible au CPF, par exemple, une formation doit conduire à une certification inscrite au RNCP ou au répertoire spécifique de France Compétences. Or, France Compétences a pour le moment exclu de certifier les soft skills en elles-mêmes.
On trouve, sur moncompteformation.gouv.fr, des formations qui contournent le problème de différentes façons.
- Certaines peuvent accoler une soft skill à une compétence certifiée. Par exemple, dans le moteur de recherche de moncompteformation.gouv.fr, on peut trouver une formation intitulée « Certification Management : pratiquer l’écoute active », qui se rattache à la certification « Manager de Business unit », inscrite au RNCP. L’expression « Ecoute active », elle, n’apparaît nulle part dans les répertoires de certifications : elle est ajoutée dans l’intitulé de la formation telle qu’elle apparaît dans l’interface CPF. Rappelons que c’est France Compétences qui référence les certifications, et la Caisse des Dépôts et Consignations qui accepte ou refuse l’éligibilité des formations qui mènent à ces certifications.
- D’autres formations s’abritent sous l’intitulé « création et reprise d’entreprise » ; mais le procédé est un peu risqué et de moins en moins répandu, la Caisse des Dépôts et Consignation faisant la chasse aux formations « coucous » qui utilisent cette dénomination sans correspondre strictement à l’objectif.
Il reste la technique des « badges numériques », ou « Open Badge », qui associe le principe de la recommandation à celui de la certification. Nous avons évoqué cette méthode dans notre article sur la Validation des acquis de l’expérience (VAE). Un Open Badge est simplement une image numérique qui contient des informations. Dans le contexte de la certification, le badge contient l’identité du destinataire, la formation suivie (ou la VAE), les compétences acquises. Les informations sont infalsifiables : le badge atteste bien que tel organisme reconnaît telles compétences au porteur du badge. La valeur de celui-ci est une valeur d’usage : c’est le marché qui, avec le temps et les expériences positives, reconnaîtra ou non la validité de la certification. Ce système paraît particulièrement bien adapté aux soft skills. C’est d’ailleurs la solution que préconisait l’Institut Sapiens dans un rapport de juillet 2021, intitulé Les soft skills au service de l’employabilité.
La thématique des soft skills recouvre en somme une reformulation de deux anciennes questions : comment mesurer la capacité d’une personne à occuper un poste, au-delà de ses compétences techniques ? Et peut-on améliorer ces compétences non-techniques ?
Pendant longtemps, la réponse à la première question est passée par l’intuition (qui peut vite devenir un jugement « à la tête du client »), voire par des méthodes parascientifiques de type graphologie ou morphopsychologie.
La réponse à la seconde question a souvent été simplement négative : la créativité, l’adaptabilité, l’écoute, « ça ne s’apprend pas ».
L’exploration actuelle du champ des soft skills vise à promouvoir une approche aussi méthodique, voire scientifique que possible de l’évaluation et de l’amélioration de ces compétences. L’entreprise n’est pas sans risques, mais elle vaut la peine d’être menée à bien. Et le responsable formation a tout intérêt à en devenir un expert.
Crédit photo : Shutterstock / Patramansky Oleg
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