Jean-David Amaoua, WeUp Learning : « l’engagement apprenant est synonyme d’efficacité pédagogique »

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Jean-David Amaoua dirige depuis 2023 WeUp Learning, agence de digital learning. Créée il y a 10 ans sur le marché du Mooc, WeUp Learning crée aujourd’hui des contenus elearning sur mesure, à destination des entreprises et notamment du groupe Apave, dont elle fait partie. Jean-David Amaoua évolue depuis plus de 25 ans dans le monde du digital learning, et répond aux questions de Management de la Formation sur une variable fondamentale de l’expérience apprenant : l’engagement apprenant.

 

Comment définir l’engagement en formation, et quels en sont les bénéfices pédagogiques ?

L’engagement en formation désigne tout simplement le fait, pour l’apprenant, d’être impliqué, investi dans le processus d’apprentissage. Cela va de pair avec la persévérance, la gestion du temps, le fait aussi de rechercher de l’aide de façon proactive et de réfléchir sur ce que l’on est en train d’apprendre et sur les modalités pour y parvenir. Etre engagé ne signifie pas simplement que l’on suit la formation jusqu’au bout : cela suppose d’être actif et partie prenante à l’apprentissage.

L’engagement apprenant est synonyme d’efficacité pédagogique. Il permet un apprentissage en profondeur et de qualité. Les apprenants engagés sont plus opérationnels et retiennent mieux les contenus.

 

Quels sont les moteurs de l’engagement de l’apprenant dans la formation ?

Plusieurs éléments entrent en jeu. On peut mentionner :

  • Le contenu lui-même, bien sûr, doit être intéressant, à jour et pertinent.
  • L’interactivité doit être au rendez-vous. L’apprenant doit avoir un rôle à jouer, qui peut aller de simplement devoir cliquer pour changer de tableau jusqu’à répondre à des questions, voire à travailler en petits ateliers.
  • Le parcours doit être le plus personnalisé, le plus adapté possible, du point de vue du contenu, des modalités, du rythme, de la durée des sessions. La nouvelle génération, en particulier, réagit mieux à des petites doses de formation : on dépasse rarement 20 minutes. Ce qui amène les créateurs de contenu à être beaucoup plus efficaces et savoir synthétiser les contenus.
  • La multimodalité est un autre levier: il faut diversifier les approches pédagogiques, en alternant questions, quiz, mises en situation, vidéos, images, jeux…
  • L’apprenant doit pouvoir se positionner dans le déroulement de la formation, c’est-à-dire suivre son degré d’avancement dans le processus. Il est important de le valoriser, de le tester, de lui montrer qu’il est en train de progresser.
  • La mise en situation est un vecteur efficace. L’apprentissage est plus engageant si le contenu est décliné dans le contexte de l’entreprise.

 

En quoi le digital et le distanciel changent-ils les paramètres de l’engagement apprenant ?

Certains aspects sont propres au digital en matière d’engagement apprenant. Par exemple, dans une formation à distance avec un formateur, l’interactivité peut être plus individualisée qu’elle ne le serait en salle. A distance, tout le monde peut répondre aux questions de son côté, ce qui n’est pas possible en présentiel, où le formateur ne peut pas prendre les réponses de tous les participants simultanément.

Dans le même temps, la formation digitale exige d’apporter un soin tout particulier à l’interactivité, au fait de faire jouer un rôle à l’apprenant dans le processus de formation. Le risque avec le distanciel est que l’apprenant se sente seul avec sa formation, qu’il la suive de façon passive comme il regarderait un film. Il est nécessaire de l’accompagner et de rythmer l’expérience.

Cette solitude est aussi un avantage. Certains salariés aiment le digital parce qu’ils ne se sentent pas inhibés et jugés par les autres, comme cela peut arriver en salle. Ils maîtrisent également le rythme de la formation : ils n’ont pas le stress de devoir bloquer du temps sur un agenda surchargé. Ils peuvent séquencer la formation comme ils le souhaitent, revenir sur ce qu’ils ont oublié au moment où ils en ont besoin, et mettre en pratique immédiatement ce qu’ils viennent d’apprendre. Or la mise en pratique est essentielle pour la mémorisation.

Pour autant, le digital learning n’interdit pas le collaboratif, au contraire. L’un des moyens de stimuler l’engagement est de créer des échanges, des groupes, des communautés. Les apprenants se sentent challengés : ceux qui maîtrisent le mieux certains sujets ont la possibilité de faire valoir leurs connaissances. Cela enrichit l’ensemble des participants. Cette approche fonctionne particulièrement bien dans les formations à des sujets transverses – management, diversité, RSE…

 

Comment peut-on optimiser l’engagement apprenant ?

Logiquement, en travaillant sur les leviers que j’ai énumérés. On peut en ajouter quelques-uns. Il est essentiel de laisser respirer l’apprenant. L’assimilation des connaissances prend du temps. Les formations magistrales qui assènent des volumes importants de contenus en bloc sont vouées à voir l’attention et l’engagement des apprenants fluctuer.

Renforcer l’engagement passe par le soin accordé au storytelling : pour assurer l’immersion dans le contenu, il faut raconter des histoires, mettre en scène des personnages auxquels les participants peuvent s’identifier, créer du lien entre les contenus par un récit commun… Par exemple, en faisant des miniséries. Il y a quelques temps, nous reproduisions des environnements télévisuels dans nos formations ; aujourd’hui, nous nous inspirons plutôt de réseaux de type Tiktok ou Discord, qui correspondent davantage aux nouvelles générations.

Nous travaillons aussi sur le design, qui doit être lui-même engageant, unifiant, cohérent avec la thématique – des tons verts et bleus pour les formations à la RSE, des couleurs moins reposantes pour les formations à la sécurité, qui évoluent vers des tons plus apaisants si les réponses vont dans le bon sens… tout cela joue inconsciemment sur l’engagement apprenant.

 

Jusqu’où peut-on aller dans la personnalisation des contenus ?

L’adaptive learning est une approche intéressante : en partant des données des parcours de formation des collaborateurs, et en fonction de leurs réponses, on développe des parcours intégralement adaptés à chacun, pris individuellement. Mais cela demande tant de temps et d’organisation que c’est en pratique difficile à mettre en place. Le plus souvent, on s’adapte donc à des populations, et non à des individus. On revient en somme aux fondamentaux de la formation : l’analyse des besoins, l’identification des cibles, la définition des parcours de formation pour les différentes populations.

Mais un nouvel élément arrive avec l’intelligence artificielle, qui devrait en partie révolutionner les pratiques. Pour le moment, il s’agit surtout d’automatiser les petites tâches. par exemple, pour faire de la curation de contenus, et pour assister les formateurs dans la construction des parcours. L’IA ne va pas remplacer les créateurs de contenus pédagogiques, mais elle peut leur faire gagner du temps. Il y a notamment une problématique importante dans le monde de la formation : les experts internes à l’entreprise dont on a besoin pour construire les contenus sont de moins en moins disponibles, ils ont peu de temps à consacrer à la formation. Les pédagogues ont besoin d’arriver avec des éléments un peu préparés pour nourrir l’expert. L’IA permet de le faire.

L’IA est déjà utile pour un autre aspect de la personnalisation de la formation : c’est la traduction des contenus – à la fois écrits et oraux. Cette fonctionnalité participe aussi de l’engagement apprenant : elle permet de rapprocher les formations des collaborateurs de langue étrangère. Un contenu traduit donne le sentiment d’avoir été fait pour soi, et non pas d’être simplement un message de la maison mère imposé à tous.

Mais l’IA devrait également permettre d’analyser les données relatives aux parcours pour produire des propositions individualisées de contenus. Beaucoup prétendent que cette application de l’IA est déjà opérationnelle, mais en pratique il y a encore beaucoup de travail pour que ce soit le cas. L’un des obstacles, c’est que pendant longtemps de la formation digitale n’était pas considérée comme stratégique, et les données correspondantes n’étaient donc pas conservées rigoureusement. Or, il faut beaucoup de données pour que l’IA donne des résultats pertinents. Ce retard est en train d’être rattrapé, et c’est une évolution extrêmement intéressante.

 

Comment crée-t-on du contenu personnalisé ?

Pour avoir un contenu engageant, qui respecte les fondamentaux de la pédagogie et qui permette des parcours différenciés suivant les profils, il est en effet nécessaire de soigner le processus de création de contenu. C’est le rôle du concepteur pédagogique, qui va travailler avec le chef de projet côté client, avec les experts internes, mais aussi avec des collaborateurs opérationnels, que l’on va chercher à interroger sur leurs problématiques et leurs blocages. L’objectif est de produire un contenu qui apporte une réponse, et non pas simplement des informations. C’est une condition essentielle de l’engagement apprenant. Si vous vous contentez de présenter ce qu’est la RSE, par exemple, vous aurez peu d’adhésion. Mais si vous en expliquez les conséquences concrètes sur le métier, sur le quotidien de travail, sur l’expérience des collaborateurs, vous générez de l’intérêt et de l’engagement.

C’est ce qui fait toute la différence entre un contenu sur étagère, certes moins coûteux, et un contenu sur mesure. C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles l’argument du moindre coût, avancé au début pour valoriser le digital learning, n’est pas forcément très pertinent. Le digital, pour être vraiment efficace, suppose de produire beaucoup de contenus de qualité, sur un nombre toujours plus grand de sujets.

 

Comment mesurer l’engagement des apprenants ?

Ce n’est pas facile. Pour certains, le simple fait de finir la formation témoigne de l’engagement de l’apprenant ; mais ce n’est pas du tout notre opinion. Les notes aux évaluations, en revanche, donnent bien une indication sur le degré d’implication dans la formation. Ce qu’on ne fait pas assez, c’est l’évaluation à froid, c’est-à-dire le fait de reposer les questions deux ou trois mois plus tard. Dans l’idéal, il faudrait que le manager évalue l’impact de la formation sur l’efficacité des collaborateurs. Mais les entreprises ne sont pas organisées pour faire ce suivi. Et quand un prestataire externe produit le contenu, sa mission s’arrête souvent lorsque la formation est en ligne.

Des solutions intéressantes ont été testées, en utilisant le regard. Un dispositif filmait la rétine des apprenants, ce qui peut permettre de suivre leur attention et leur adhésion au contenu. Ce système était utilisé dans la publicité. Mais c’est technologiquement un peu lourd, et assez intrusif également ! Il faut se résoudre à l’idée qu’on ne peut pas tout contrôler. Nos méthodes se fondent sur les neurosciences, les pédagogues en appliquent les principes, et si tout est bien fait l’engagement sera au rendez-vous. En matière d’évaluation de l’engagement apprenant, il n’y a pas de solutions miracle.

 

Comment les apprenants peuvent-ils attester de leur formation ?

La certification nous renvoie à un levier important de l’engagement en formation : la récompense. Pour l’anecdote, j’ai eu l’occasion, avec un client, de tester un dispositif dans lequel la réussite à la formation était encouragée par la remise de chèques cadeau. L’incitation a très bien fonctionné, et le client a constaté une très forte participation ! Mais une telle initiative est difficile à mettre en œuvre et à reproduire.

Sans aller jusque-là, certaines entreprises utilisent des badges, des  certifications internes, qui témoignent de la réussite des collaborateurs à suivre telle ou telle formation. Il existe même parfois des classements internes aux entreprises. En règle générale, les salariés sont très preneurs de ces badges. Ils peuvent les afficher sur leurs profils professionnels, sur LinkedIn par exemple. Cela donne de la visibilité à leurs compétences.

 

Quel est l’avenir du digital learning dans l’entreprise aujourd’hui ?

Nous n’en sommes encore qu’au tout début. D’abord parce qu’en  France, nous commençons seulement à rattraper notre retard sur le reste de l’Europe. Ensuite parce que l’évolution des compétences et des métiers est si rapide, les besoins de reconversion, de mobilité interne et externe augmentent si vite, que les entreprises vont devoir former de plus en plus de collaborateurs de plus en plus souvent. Le présentiel n’est plus la réponse la mieux adaptée. Le digital learning va s’imposer de plus en plus comme le socle de la formation.

Le changement générationnel va dans ce sens. Les jeunes qui arrivent sur le marché du travail ont fait leur parcours de formation initiale en utilisant le digital. Ils sont accoutumés à ces modalités, et leurs attentes en matière de formation ne sont plus les mêmes. Autrefois, il était perçu comme valorisant de se déplacer dans un centre de formation. Aujourd’hui, c’est presque l’inverse ! Les nouveaux arrivants sur le marché du travail préfèrent qu’on leur mette à disposition une bibliothèque de contenus pour pouvoir se former en autonomie quand cela leur convient.

Le présentiel ne va pas disparaître pour autant des parcours : il y aura encore beaucoup de formations mixtes, avec des séances en distanciel pour l’acquisition des principes fondamentaux, des méthodes, de la théorie d’un côté, des ateliers en présentiel et des mises en situation sur le lieu de travail de l’autre.

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