Depuis 2018, Nicolas Morel dirige Monkey tie, acteur du recrutement et de l’orientation professionnelle qui combine matching affinitaire, test de personnalité, évaluation des soft skills et cartographie des compétences. Il détaille pour nous la façon dont le digital, associé aux neurosciences et à la psychologie, permet d’améliorer et de fiabiliser le processus d’orientation.
Pourquoi l’orientation professionnelle est-elle importante ?
L’objectif est de s’assurer, avant d’orienter un demandeur d’emploi ou un salarié vers une formation ou un parcours professionnel donnés, que ce parcours est bien adapté à la personne. Dans les dispositifs d’insertion professionnelle à destination des jeunes, 15% des participants abandonnent avant la fin du processus. Parmi ceux qui vont jusqu’au bout, 1 sur 2 n’exercera pas le métier pour lequel il a été formé. C’est un gâchis économique et humain considérable.
Certains acteurs, notamment certaines régions et le service public de l’emploi, sont prêts à investir pour faire en sorte que les organismes de formation remplissent leurs objectifs en matière d’insertion dans l’emploi. En prenant le temps de l’orientation avant la formation, il est possible de vérifier que les compétences et le profil comportemental de l’individu correspondent bien au métier visé. De plus, une fois identifiée la filière, il est important de donner aux bénéficiaires des éléments de langage pour mieux se « vendre » et vendre ses compétences auprès des recruteurs du secteur.
Les mêmes outils peuvent être utilisés, un peu différemment, par les personnes en reconversion, et pour les enjeux de mobilité interne dans les grandes entreprises.
Dans tous les cas, le coût d’une évaluation préalable bien faite est très faible comparé à la perte engendrée par les erreurs d’orientation.
Quelle réponse apportez-vous à ces enjeux ?
Nous nous adressons aux acteurs de l’orientation et de l’emploi (Pôle emploi, missions locales, conseils en évolution professionnelle – CEP), aux organismes de formation, ainsi qu’aux grandes entreprises. L’idée est de réaliser des bilans de compétences qui intègrent l’évaluation des soft skills et débouchent sur l’identification de métiers potentiels et la construction d’un projet professionnel.
La plateforme que nous avons développée permet de proposer au bénéficiaire de suivre un parcours adapté à son profil, en choisissant parmi différentes étapes possibles. Les publics ne partent pas tous du même point.
Il existe ainsi un parcours gamifié, via une appli mobile, destiné aux jeunes peu diplômés et sans expérience professionnelle. Ce module permet d’évaluer les compétences comportementales du jeune, et de lui proposer des perspectives de formation et de métier en fonction des résultats. Il prend la forme d’un voyage initiatique dans la nature, au cours duquel les participants vont interagir avec des personnages, répondre à leurs questions. Le nombre de questions a été réduit, en retirant celles qui visent à évaluer les irritants les moins fréquents et les moins pertinents pour les jeunes ciblés. L’objectif étant de faire en sorte qu’ils aillent jusqu’au bout de la démarche.
Pour les bénéficiaires plus expérimentés, le parcours inclut en outre la traduction automatique de leur expérience professionnelle en compétences techniques et transverses. L’évaluation des compétences comportementales (soft skills) se fait via la version complète de notre test, non gamifiée. Les propositions de projet professionnel se basent sur l’ensemble des compétences identifiées (comportementales et professionnelles).
Comment mesure-t-on les compétences comportementales ?
Notre approche inclut 4 grands axes :
- les moteurs de la motivation,
- le mode de fonctionnement en équipe,
- la capacité d’adaptation,
- les irritants.
En exploitant 75 paramètres combinés en plusieurs centaines d’équations, nous sommes en mesure d’appréhender le mode de fonctionnement de l’individu. Nous le confrontons à la cartographie des métiers que nous avons effectuée à partir du référentiel de Pôle emploi. Nous pouvons ainsi mesurer la distance qui existe entre chaque métier et l’individu testé.
Le parcours permet ainsi, en confrontant les compétences, les aspirations et l’offre existante, de délimiter le champ des possibles pour chaque bénéficiaire.
A quoi sert la mesure des soft skills dans l’orientation ?
Les tests de personnalité, de type « Big five », tels que celui que nous utilisons, ont leur utilité. Il est toujours intéressant de mieux se connaître, et cela peut être utile pour le recruteur également. Pour autant, la personnalité n’est pas un très bon prédictif du succès d’une personne dans un métier donné. Il n’y a pas de corrélation suffisante entre type de personnalité et capacité à réussir et à se plaire dans un emploi.
Ce qui permet vraiment de prédire la réussite en poste, c’est la mesure des soft skills. Et c’est un exercice beaucoup plus délicat. Pour notre part, nous utilisons la solution mise au point au sein de l’IME, un centre de R&D, par Jacques Fradin, un médecin qui travaille sur ce sujet depuis une trentaine d’années. L’outil se fonde à la fois sur les neurosciences, la psychologie et l’éthologie humaine (la science du comportement). Il permet d’évaluer les dynamiques de motivation, la façon dont la personne fonctionne avec les autres, sa capacité à accueillir la nouveauté, ses irritants.
Le questionnaire permet aux bénéficiaires de s’évaluer de façon dynamique. Il mesure la puissance des caractéristiques – leur intensité – mais aussi leur stabilité, dans le temps et suivant les contextes. Cela permet de mesurer les marges de variation du comportement, de mettre le doigt sur les aspects les plus stables d’un individu, et ainsi de le rassurer – ou non – sur sa capacité à effectuer tel ou tel métier. Parmi les irritants, par exemple, certains sont rédhibitoires, et empêchent radicalement une personne d’exercer telle ou telle tâche. D’autres sont plus légers, et peuvent être éventuellement circonvenus.
Le modèle permet d’identifier nos dynamiques énergisantes – les tâches ou compétences qui nous motivent sans effort. Nous pouvons détecter à l’inverse les contextes de travail énergivores, parce que nos motivations sont conditionnées – que ce soit au succès, au regard d’autrui, à la rémunération… Certains traits, comme l’aversion à l’échec, consomment énormément d’énergie. Et puis il y a les anti-motivations, qui correspondent aux choses que vous n’aimez vraiment pas faire.
L’intelligence artificielle change-t-elle la donne en matière d’orientation et de détection des compétences ?
L’intelligence artificielle ne va pas vous dire, à la lecture de votre CV, si vous êtes fait pour être boulanger, rédacteur ou comptable. Mais elle peut permettre de faire des corrélations, avec de hauts niveaux de certitude, entre un poste donné et un ensemble de compétences exprimées dans le référentiel de l’entreprise. Elle permet de traduire un CV en compétences dans différents référentiels, y compris celui de l’entreprise. Mais elle ne va pas, par elle-même, évaluer ces compétences. Or, les individus ont souvent tendance à sous-évaluer ou surévaluer leurs compétences. L’outil de conversion du CV en compétences basé sur l’IA doit donc être complété par des tests qui permettent de mesurer plus finement l’appétence de l’individu pour tel ou tel type de tâche, dans le temps et suivant les contextes.
Les soft skills s’apprennent-elles ?
Les compétences techniques sont certes plus faciles à mesurer, à évaluer et à développer. Les compétences comportementales peuvent également se mesurer et s’améliorer. Mais avec un potentiel plus ou moins important. Il y a des fonctionnements ancrés en nous qui nous rendent plus ou moins adaptables : certains vont spontanément vers ce qui est nouveau, d’autres pour qui la nouveauté est toujours un peu suspecte. Ce sont des comportements qui trouvent leur source dans la petite enfance, dans notre génétique et notre épigénétique. Il y a des marges de progression et de variation, mais nous ne partons pas tous du même point.
Comment les entreprises peuvent-elles utiliser ce type d’outils ?
L’idée est que la DRH mette l’outil à disposition des collaborateurs via une plateforme en libre accès. Le collaborateur peut demander à la solution de reprendre tout son parcours professionnel (via les données du SIRH) pour le traduire automatiquement en compétences, telles qu’elles s’expriment dans le référentiel de compétences de l’entreprise. Il peut en outre passer les tests de personnalité et répondre au questionnaire sur ses soft skills comportementales.
Avec l’ensemble de ces données, il pourra ensuite explorer le champ des possibles au sein des métiers qui lui sont accessibles dans l’entreprise. Par exemple, un collaborateur de la comptabilité, en fonction de son profil, pourra se voir proposer les métiers du Big Data, ou un autre métier du chiffre qui soit cohérent avec ses compétences comportementales.
Il pourra ensuite partager ces informations avec son manager ou avec son responsable RH s’il le souhaite. Les managers, en effet, peuvent être des freins à la mobilité interne : quand vous avez un bon collaborateur, vous ne souhaitez pas qu’il vous quitte ! D’où la possibilité de partager l’information uniquement avec la RH dans un premier temps.
L’enjeu de l’outil est ici de donner aux collaborateurs les moyens d’envisager leur mobilité interne, dans le cadre d’une politique de gestion des talents dynamique. Il s’agit d’utiliser les moyens du digital, de l’IA, de la psychologie, des neurosciences pour organiser la rencontre des appétences individuelles et des opportunités d’emploi interne.
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