Conférencier, écrivain, chroniqueur, mentor de dirigeants, Gaël Chatelain-Berry promeut par de multiples canaux le concept de « management bienveillant », qu’il a créé il y a quelques années. Ancien manager lui-même dans le secteur de l’audiovisuel (TF1, NRJ, Canal+, INA), il est aussi l’auteur de nombreux ouvrages, dont le dernier, Le Manager bienveillant 2.0, est sorti en janvier 2022. Il répond à nos questions sur les liens entre formation et management bienveillant.
Pourquoi promouvoir un management bienveillant ?
Il y a des chiffres qu’on ne peut pas ignorer. Pourquoi la France est-elle le 2e pays du burn-out dans le monde ? On parle de 2,5 millions de salariés concernés ! Pourquoi la France est-elle le dernier pays européen en matière d’engagement au travail, avec 7% de salariés qui se disent engagés ? Pourquoi sommes-nous le 2e pays européen pour l’absentéisme ? Pourquoi plus de 50% des démissions sont-elles dues au management ? La plupart du temps, on quitte un manager, pas son entreprise. Le management joue un rôle considérable dans cette situation, et il peut largement l’améliorer. Encore faut-il qu’il se mobilise.
J’ai travaillé 20 ans en entreprise, j’ai managé des équipes de toutes tailles, à différents postes, j’ai encadré des managers. J’ai décidé il y a quelques années de devenir indépendant. Je voulais changer le management, changer le monde de l’entreprise, en aidant les managers à mettre en œuvre ce qui me paraissait naturel dans le cadre de mes fonctions, et que j’ai nommé « management bienveillant ». Tout a commencé par un post sur LinkedIn, dont le succès m’a poussé à écrire un livre sur le sujet, intitulé Mon boss est nul, mais je le soigne. Le livre a bien fonctionné en librairie, ce qui laisse supposer que la notion de management bienveillant, qui suscitait souvent l’ironie au départ, répondait en réalité à un vrai besoin. Aujourd’hui, la notion est devenue incontournable. Mais il y a encore beaucoup de chemin à parcourir.
La formation peut-elle contribuer à résoudre le problème ?
La formation est la clé absolue de la question du management bienveillant. Personne n’est vraiment formé au management au cours des études initiales. Et trop rarement par la suite. Seuls 40% des managers ont suivi une formation en management ! Manager est un métier, qui requiert des compétences précises. Les managers devraient avoir obligatoirement quelques semaines de formation au management quand ils entrent en fonction. Malheureusement, beaucoup n’en voient pas la nécessité, et passé un certain âge, la plupart des dirigeants refusent de se former. « Ca fait 30 ans que je fais ce métier, à quoi bon ! »
J’aimerais qu’on fasse un sondage sur tous les comités exécutifs de toutes les entreprises de plus de 50 salariés : quelle est la part des dirigeants qui se sont formés au management à distance depuis deux ans ? À partir d’un certain niveau de responsabilité, on ne se forme plus, on n’a pas de temps à perdre à ça. Pour les salariés, il y a des formations obligatoires, une obligation de formation. Mais le top management ne se forme pas. Les formateurs qui s’adressent à ce public doivent utiliser d’autres termes que « formation », comme coaching ou développement personnel. Je crois pour ma part qu’un escalier se balaie toujours par le haut. Si le comité exécutif n’est pas bienveillant, le management de l’entreprise ne le sera pas davantage.
Mais la bienveillance s’apprend-elle ?
Le management bienveillant peut s’apprendre. On entend parfois dire de façon un peu cynique, « on est bienveillant ou on ne l’est pas ». Pour ma part, je fais volontiers la comparaison entre bienveillance et politesse. Si un enfant n’apprend pas de ses parents à dire « bonjour » et « merci », il ne le saura pas de façon innée. La politesse s’apprend. Il en va de même pour la bienveillance. Les retours négatifs sur les managers sont souvent les mêmes : mon boss ne me dit pas bonjour, il ne me donne jamais de feedback positif, il est toujours en retard aux réunions, il envoie des mails à 22h en attendant une réponse immédiate… Corriger ces défauts, cela s’acquiert.
Bien sûr, si vous prenez 3 personnes au hasard et que vous les mettez devant un piano avec un professeur, il est fort possible que l’une devienne virtuose, qu’une deuxième apprenne à jouer honorablement, tandis que la troisième ne dépassera guère un niveau très basique. Il reste que les 3 sauront, à leur manière, jouer du piano. De la même façon, tout le monde n’est pas forcément aussi « doué » pour le management bienveillant, mais il y a des fondamentaux qui s’apprennent. Tout le monde peut être un manager correct, non toxique.
J’y ai consacré notamment un petit livre intitulé Les 10 commandements de la bienveillance en entreprise. Ce sont 10 points très simples, très basiques, comme penser à sourire, ne pas arriver en retard… Récemment, une salariée m’a envoyé un mail dans lequel elle déplorait que son patron ne lui disait jamais bonjour, alors qu’il saluait l’équipe d’à côté. Je lui ai suggéré de lui demander pourquoi. La réponse du patron : il craignait que le fait de dire bonjour instaure une relation trop familière… Mais dire « bonjour », c’est le minimum requis dans une relation humaine. Il ne s’agit pas d’apprendre la fission nucléaire, juste des règles de bon sens et de savoir vivre. La bienveillance, c’est ça, s’intéresser aux gens. Je vais employer le gros mot qui choque : un manager doit aimer son équipe. Le manager doit manager, il n’est pas payé pour passer sa vie en réunions.
Le corollaire, c’est qu’il faut changer nos critères de sélection des managers. En France, on commence tout juste à comprendre que lorsqu’on nomme un manager, il ne faut pas nécessairement sélectionner le plus performant techniquement dans le métier de l’entreprise, ni le plus ancien, comme c’est le cas souvent dans la fonction publique. Manager est un métier à part entière, il faut sélectionner les managers suivant leur maîtrise des compétences propres à ce métier. L’empathie, la bienveillance, la capacité d’écoute font partie de ces compétences.
Comment mesurer les effets du management bienveillant ?
Le turnover est un indicateur pertinent. Imaginez par exemple deux équipes commerciales parallèles, comme on en trouve souvent en entreprise. Bizarrement, l’une a un turnover énorme, l’autre non. Comment l’expliquez-vous ?
Pour le savoir, le mieux est de demander aux salariés. C’est une démarche encore trop rare. Google le fait, certaines filiales de la SNCF également : les équipes sont interrogées régulièrement pour évaluer leurs managers. Beaucoup de dirigeants sont très réticents à cette idée, craignant d’ouvrir la boîte de Pandore. Résultat : les managers continuent à être évalués par leurs managers. « Es-tu un bon manager ? » « Oui, mon équipe est contente ». Comment avoir un feedback fiable dans ces conditions ? Seuls les salariés sont en mesure de dire si le manager est à l’écoute, disponible, en soutien.
La plupart des entreprises savent que leur management n’est pas idéal. Loin de moi l’idée de faire du « manager bashing » : j’ai été manager, je sais que c’est un métier très dur, très exigeant. C’est pour cela qu’il est essentiel de mesurer le problème en demandant leur avis aux salariés et de se donner les moyens de le résoudre en formant les managers. Ne pas le faire a un coût : un mauvais management peut faire tellement de mal ! Lors d’une intervention récente, j’ai demandé aux personnes de l’assistance si elles connaissaient, dans leur entreprise, un manager dont tout le monde dit qu’il est toxique et devrait être remplacé ou formé. Tout le monde ou presque a levé la main.
À l’inverse, la bienveillance améliore le contexte de travail et augmente la productivité. Ce n’est pas une position « Bisounours », c’est un impératif pour l’entreprise. On se souvient des paroles de Richard Branson : « si vous voulez que vos salariés prennent soin de votre entreprise, prenez soin de vos salariés ».
Pensez-vous que la situation évolue dans le bon sens ?
Je suis optimiste sur la question. Les entreprises ont de plus en plus de mal à recruter, et cela les incite au changement. Certaines commencent à mettre l’accent sur la formation des managers. Le management bienveillant est un levier de fidélisation. C’est le seul moyen d’avoir des équipes qui se sentent bien, à l’aise dans leur travail. Un grand cabinet de parisien, que je ne peux pas citer, vient ainsi de perdre 25% de ses salariés en 6 mois… Face à une telle situation d’urgence, impossible de faire l’impasse sur la formation des managers.
Y a-t-il un effet « crise sanitaire » dans cette évolution positive ?
Oui, certainement. Les collaborateurs ont pris conscience que tout n’était pas acceptable dans le travail, qu’ils souhaitaient un meilleur équilibre entre leur vie privée et leur vie professionnelle. L’impact le plus important s’est fait sentir sur les diplômés de moins de 40 ans. Pour cette catégorie de personnes, c’est le plein emploi. On connaît l’image de l’employeur qui dit au salarié « si tu n’es pas content, il y en a 10 autres derrière qui attendent ta place ». De plus en plus, ces diplômés sont en situation de dire au manager « si tu n’es pas content, il y a 10 autres entreprises qui m’attendent ». Il ne s’agit pas seulement de développeurs et de métiers de la tech ; d’autres métiers sont concernés aussi, par exemple la comptabilité. Il y a un renversement des rapports de force pour ces professions.
Pour toutes ces raisons, les entreprises commencent à bouger. Comme toujours en France, on n’anticipe pas, on réagit à la situation. On n’a commencé à vraiment se préoccuper de qualité de vie au travail qu’après les vagues de suicides chez Renault et France Telecom. Idem pour le télétravail : avant la pandémie, 16% des salariés étaient concernés, nous étions les derniers mondiaux. Encore aujourd’hui, on lit sur LinkedIn ou ailleurs des dirigeants qui ironisent en disant que « dans télétravail, il y a télé »… C’est absurde, toutes les études montrent qu’on est plus productif en télétravail, il y a des bénéfices pour la santé, on réduit les temps et les coûts de transport… Mais il y a cette culture du présentéisme en France, fondée sur l’idée, fausse, que quand les salariés sont au bureau, ils travaillent. Or, une étude récente a montré qu’un salarié français passait en moyenne 1h15 par jour sur les réseaux sociaux ou à flâner sur Internet.
Il y a tout un paradigme à changer, et il change, mais il y a encore du travail. Chez Google, les collaborateurs font la liste de ce qu’ils vont faire dans la journée et la font valider par leur manager. Celui qui a fini sa liste à 15h peut partir. À l’inverse, je suis intervenu récemment dans un gros organisme public qui a limité le recours au télétravail. La structure a du mal à attirer et retenir les collaborateurs à cause de cette politique. À notre époque, nous allions là où il y avait du travail. Les jeunes sont plus exigeants, et ils ont bien raison.
En résumé ?
Il y a du mouvement, du changement positif. La peur de ne pas pouvoir recruter, la peur de la Grande Démission, tout cela fait bouger les lignes, sous l’impulsion des directions RH qui ont pris, grâce à la pandémie, une place de plus en plus centrale et stratégique dans les entreprises.
Aujourd’hui, le mot d’ordre est : formez les managers, formez-les, par pitié ! Il devrait y avoir un cycle de formation permanent au management, à tous les niveaux de l’entreprise, et jusqu’aux dirigeants.
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