Il y a un an, nous évoquions les quelques 4 millions de personnes concernées par le « verdissement » des métiers, et l’effort de formation/reconversion considérable qui serait à fournir en conséquence. Aujourd’hui, nous passons aux travaux pratiques : avec le « plan Batteries » lancé cette année par le gouvernement et les acteurs du secteur, ce sont 150 000 personnes qui vont devoir être formées d’ici à 2025. L’Académie Européenne de la Batterie « EBA » a déjà identifié deux acteurs de la formation pour contribuer à cette montée en puissance. L’Apave est l’un d’eux.
Entré à l’Apave il y a plus de 15 ans, Damien Le Cam est aujourd’hui responsable de la Gamme formation électricité pour la France. La formation est l’un des 5 métiers du groupe Apave, spécialiste de la maîtrise des risques (les autres étant l’inspection, les essais et mesures, la certification/labellisation et le conseil et accompagnement technique). Damien Le Cam répond à nos questions sur les enjeux et l’ampleur du plan Batteries, la nature des besoins de formation et les moyens mis en œuvre pour y répondre.
Quelle est l’origine du « Plan Batteries » ?
Lors de la présentation, le 12 octobre dernier, du plan France 2030, le président de la République a appelé à ce que la France devienne une grande nation de la voiture électrique, en développant une production largement française. L’objectif est d’atteindre une capacité de 2 millions de véhicules électriques et hybrides produits en 2030. Cela implique de transformer l’industrie automobile en France.
Cet objectif suppose de créer une filière « batterie », afin d’être autonome pour la recherche et le développement, la fabrication, l’intégration des batteries dans les systèmes, et jusqu’au recyclage. Il y a déjà des bases, mais pour atteindre les ambitions affichées il est indispensable de lancer une dynamique très forte, avec les financements correspondants, sur l’industrie française de la batterie.
Qui va produire ces batteries ?
Elles seront fabriquées en France dans des gigafactories, avec 3 projets majeurs qui sortiront de terre d’ici 2024-2025 . Ces usines seront entièrement nouvelles, et permettront de fournir un pack de batterie monté, chargé et pouvant être installé dans des véhicules. Les usines sont montées par des groupements de constructeurs comme ACC, qui réunit Stellantis, Mercedes-Benz, Opel et SAFT. Renault s’est associé au chinois Envision AESC pour monter une usine , et au grenoblois Verkor pour en édifier une autre enFrance.
Dans les 10 ans à venir plus d’une trentaine de gigafactory devrait voir le jour en Europe.
Quelle en sera l’utilité ?
Les batteries équiperont ensuite les voitures, les bus, les camions. Quand leur autonomie déclinera et ne répondra plus aux besoins des utilisateurs, elles seront déposées des véhicules et seront réutilisées dans d’autres applications comme par exemple dans des bornes de recharge mobile proposée par Mob-Energy avec son Robot intelligent « Charles ». Ces batteries pourront avoir également une seconde vie dans les réseaux–d’installations électriques collectives ou particulières. Elles serviront à pallier la production de l’éolien ou du solaire en prenant le relai de ces sources d’énergie lorsqu’elles ne fonctionnent pas (en cas d’absence de vent ou de soleil). Les particuliers pourront viser à l’autoconsommation, en produisant de l’électricité solaire la journée, qui sera soit consommée instantanément soit stockée dans les batteries pour être consommée le soir et la nuit. Les industriels pourront baisser fortement leur empreinte carbone en stockant l’électricité produite par des systèmes de production d’énergies renouvelable comme le propose WIND my ROOF qui combine l’éolien et solaire avec sa WindBox. On retrouvera ces batteries aussi dans la micromobilié comme dans les trottinettes, vélo électrique, véhicule de nouvelles espèces comme le propose Scoobic.
Les batteries auront ainsi plusieurs vies et plusieurs applications dans un système circulaire.
Quelles sont les conséquences en matière de formation ?
Pour assurer ce cycle de vie de la batterie, nous aurons besoin de main-d’œuvre, de compétences, d’ingénierie. Pas uniquement pour la fabrication des batteries : il faudra également développer les compétences nécessaires pour assurer leur maintenance. À la fois pendant leur utilisation sur les voitures, en remplaçant certains éléments usés pour permettre de conserver une charge plus importante plus longtemps ; et pour leur utilisation dans une seconde vie. Tout un écosystème se met en place et va monter en puissance dans les deux ou trois années à venir, impactant les industriels du secteur, les constructeurs automobiles et également les garages automobiles
L’Union Européenne a conduit des études sur la question : on estime qu’il faudra former, d’ici à 2025, 800 000 salariés autour des industries de la batterie, dont 150 000 en France. Dans ce nombre, on trouve les salariés des 3 gigafactories, ceux des constructeurs automobiles, mais aussi les garagistes et leurs équipes. Aujourd’hui, ces derniers ont l’habitude de réparer des voitures à moteurs thermiques, avec des embrayages, des freins qui s’usent … Avec la voiture électrique, il n’y a plus d’embrayage, et les freins s’usent beaucoup moins. Les garages seront moins sollicités pour la révision des voitures, et davantage pour la maintenance des packs batterie, pour changer des fusibles, remplacer des batteries, etc. Avec l’essor de l’électrique, c’est toute une filière qui se trouve bouleversée.
D’un bout à l’autre de la filière, les grands acteurs se positionnent. Dans le même temps, de nombreuses startups se créent, souvent avec le soutien de grands industriels. BASF et Eramet se mobilisent autour de l’extraction des matières premières ; ACC, Verkor, Envision, se lancent dans la fabrication des batteries ; les constructeurs (Stellantis, Renault, Iveco, Man…) se préparent à faciliter l’utilisation des batteries fabriquées ; RTE se met en ordre de marche pour permettre le transport de l’électricité et l’alimentation des bornes ; Suez et Solvay se positionnent sur le recyclage.
Quels moyens sont mis en œuvre pour relever le défi ?
L’Europe a anticipé ces transformations en créant l’Institut Européen d’innovation et de Technologie, « EIT InnoEnergy ». La finalité de cet organisme est de promouvoir l’innovation en matière de transition énergétique dans toute l’Europe, notamment en ce qui concerne les batteries électriques. L’EIT a créé en 2021 l’Académie Européenne de la Batterie (European Battery Academy, EBA) pour porter le développement des compétences autour des batteries dans toute l’Europe. En France, l’Académie de la Batterie a conclu un accord avec les acteurs industriels de la filière d’une part et les organismes de formation d’autre part. L’Apave a été retenu parmi ces derniers, avec l’IFP Training.
Parallèlement, dans le cadre du plan de relance, le ministère du travail et le ministère de l’économie ont conclu un partenariat avec l’Opco 2i et l’Opco Mobilité. L’objectif est de financer l’effort de formation des entreprises autour de la batterie.
Pourquoi l’Apave a-t-il été choisi par l’Académie de la Batterie ?
L’Apave est actif depuis plus de 10 ans dans le monde de l’électromobilité, avec Renault et Nissan notamment. Nous formons depuis plus de dix ans les techniciens et les ingénieurs qui conçoivent et fabriquent les batteries pour la Zoé et pour la Leaf. Nos formateurs se rendent en Turquie, en Espagne, au Japon et ailleurs pour former les collaborateurs de ces grands groupes sur la partie « métier » et sur les processus à respecter en lien avec la sécurité. Nous avons les plateaux pédagogiques nécessaires, des chantiers écoles, plusieurs centaines de mètres carrés d’espaces de formation. Nos stagiaires peuvent être formés aux différents types de batteries, à leur entretien, leur démontage, le dépannage, la sécurité…
L’EBA s’est donc rapproché de l’Apave en raison de cette expérience prolongée du métier pour proposer plus d’une dizaine de formations sur la thématique de la batterie électrique, allant des « fondamentaux des batteries » à un programme « expert du stockage batterie » en passant par « la chaine de valeur des batteries ».Nous sommes positionnés au national et à l’international, et nous sommes en mesure de démultiplier les formations mises au point par l’EBA. Celles-ci sont conçues pour la plupart en 100% distanciel et nous sommes en mesure de les enrichir de séances en présentiel pour la mise en application des connaissances.
Nous pouvons également déployer des contenus en réalité virtuelle « RV » : nous disposons de 200 casques de RV, que nous utilisons pour les formations en électricité. Nous allons intégrer 3 scénarios pour former les stagiaires aux travaux sous tension sur les batteries. Les apprenants vont pouvoir réaliser en virtuel des manipulations potentiellement dangereuses à des fins d’entraînement. Une fois que le geste sera bien acquis, ils pourront passer en situation réelle, sur de vrais packs batterie. Le risque d’accident en est considérablement réduit. L’Apave fait partie des seuls acteurs du marché disposant de casques de réalité virtuelle en aussi grand nombre : c’est un réel atout.
Comment les entreprises concernées peuvent-elles faire former leurs salariés ?
De façon tout à fait classique. L’Apave est présent sur l’ensemble du territoire national. L’entreprise cliente peut contacter son conseiller formation Apave, pour obtenir un programme de formation conçu en fonction de ses besoins – thèmes, durée, contenu, modalités pédagogiques. Le conseiller Opco est une autre porte d’entrée possible, qui pourra orienter l’entreprise vers l’Apave, mais aussi préciser les modalités de financements dans le cadre du plan d’aide gouvernemental, qui mobilise des fonds nationaux, mutualisés et européens.
Les choses bougent-elles déjà sur le terrain ?
Oui. Dans les entreprises, nous constatons une réelle prise de conscience environnementale, en particulier dans les organisations qui ont développé une approche RSE. Les entreprises réfléchissent de plus en plus aux conséquences de leur activité sur l’environnement et sur le réchauffement climatique. Parmi les actions qu’elles choisissent de mettre en œuvre, on trouve souvent le remplacement progressif des flottes automobiles thermiques par des véhicules hybrides ou électriques.
Or, les voitures électriques et hybrides requièrent de doter le site de l’entreprise de bornes de recharge. Cela implique de former du personnel pour installer et maintenir les bornes (pas nécessairement en interne, bien sûr). Depuis 2017, il existe d’ailleurs une qualification obligatoire (IRVE, pour « Infrastructures de Recharge pour Voitures Electriques) pour les personnes qui accomplissent ces travaux. C’est encore un autre volet formation du plan Batteries.
Parallèlement, de plus en plus d’entreprises cherchent à produire leur propre électricité, en se dotant de panneaux solaires. Ceux-ci sont complétés, là encore, par des batteries, pour prendre le relais. On observe le même phénomène chez les particuliers, avec la démocratisation du solaire. La demande commence à se développer considérablement.
Et au-delà de l’électrique ?
Nous sommes aussi mobilisés sur le nucléaire, sur lequel nous sommes positionnés depuis très longtemps. L’annonce de la construction de centrales de nouvelle génération va avoir pour conséquence d’importants besoins de formation : il faudra des soudeurs, des spécialistes de l’électricité en milieu nucléaire, de la gestion des fluides, de la maintenance des installations… Ce sont là des formations que nous dispensons depuis de nombreuses années.
Il en va de même avec l’hydrogène, vecteur d’énergie qui devrait se développer dans les transports. Il y a toute une filière à construire, là aussi, et des besoins en compétences. Nous faisons évoluer notre offre de formation en fonction de ces nouvelles tendances. De nombreuses entreprises et aussi collectivités ont besoin d’accompagnement pour connaître tous les aspects de l’hydrogène (les risques, la technologie, les applications, les coûts…).
La lutte contre le changement climatique se traduit donc très concrètement par une mobilisation massive de la formation pour accompagner le changement, les reconversions, le sourcing. C’est un chantier de développement des compétences considérable, et qui ne fait que commencer.
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