L’année 2020 s’ingénie à défier toutes les prédictions et toutes les projections. Comme l’ensemble des missions des entreprises, la formation professionnelle des salariés subit cette incertitude. Le confinement l’a directement ciblée, et les mesures sanitaires contraignent son modèle économique, dans sa composante présentielle – qui reste dominante. Si nul ne peut connaître le scénario économique des prochains mois et son impact sur chaque secteur, il existe plusieurs raisons de penser que la formation résistera bien à la crise, et pourrait même connaître un renouveau. Alain Ragot, dirigeant de RHEXIS et rédacteur en chef de ce blog, a listé 6 de ces raisons.
Raison n°1 : la formation croît à long terme
L’étude des tendances passées ne suffit pas à émettre des prévisions 100 % fiables sur l’avenir, mais elle reste un indicateur très significatif, surtout si les fondamentaux derrière les tendances demeurent inchangés.
Dans notre article sur l’impact des réformes sur l’activité de formation, nous avions compilé les chiffres de la période 2003-2017. Il en ressortait que le chiffre d’affaire des organismes de formation a augmenté de manière continue tout au long de la période, et a même presque doublé en euros courants (de 8 à 15 milliards d’euros). En pourcentage du PIB, l’activité de formation a progressé d’un tiers (de 0,49% à 0,65%). La dépense de formation des entreprises a suivi la même courbe jusqu’à 2014, dernière année où l’on dispose de chiffres complets.
Si l’on se tourne vers la dernière crise importante, celle de 2008-2009, on constate qu’elle ne s’est traduite que par une année (2009) de stagnation du chiffre d’affaires du secteur, avant un redépart l’année suivante. En pourcentage du PIB, l’année 2009 devient une année de croissance ralentie, dans un contexte d’effondrement de la croissance économique. La formation, prise globalement, a donc plutôt mieux résisté à la crise que la moyenne des secteurs.
Une augmentation quasi-constante sur les 15 dernières années connues, peu d’impact de la crise : il semble donc que la formation s’avère relativement résistante aux aléas de l’économie. On peut s’attendre à ce qu’il en soit de même aujourd’hui.
Raison n°2 : c’est dans la logique de l’économie du XXIe siècle
Sans ressortir toutes les tartes à la crème de « l’économie de la connaissance », il est indéniable que le développement des compétences fait partie des ressorts essentiels de l’économie du XXIe siècle.
On pense bien sûr au rôle de l’innovation dans les secteurs technologiques de pointe, qui requièrent une actualisation permanente des compétences. Ces secteurs à leur tour génèrent des outils nouveaux à destination de l’ensemble des entreprises, et suscitent à la fois une croissance de la productivité et un besoin de formation.
Tous les secteurs où se développera l’emploi demain ne relèvent pas des hautes technologies, loin de là. Mais l’essor programmé des services à la personne et du sanitaire et social devra nécessairement s’accompagner d’une professionnalisation renforcée, et donc d’un effort de formation.
Enfin, la transformation rapide et permanente de l’économie requiert et entraîne de nombreuses reconversions professionnelles. Entre 2010 et 2015, selon la Dares, 22% des salariés français ont ainsi changé de métier – et la proportion monte à un tiers pour les 20-29 ans. A chaque fois, la formation est mobilisée.
Ajoutons que la France a été identifiée par l’OCDE comme devant fournir un effort particulier dans ce domaine, afin notamment de réduire le niveau important d’inadéquation emploi/formation chez les salariés français (44% contre 34% en moyenne OCDE), mais aussi de diminuer la part des adultes ne maîtrisant pas les compétences de base (31% contre 26% en moyenne OCDE).
Les tendances de fond à l’œuvre avant la crise épidémique de 2020 jouaient donc déjà en faveur d’un renforcement du rôle de la formation dans l’économie.
Raison n°3 : c’est dans la logique du monde d’après
Il y a des raisons solides de penser que la crise liée au confinement et à l’épidémie de coronavirus va plutôt renforcer ces tendances. En effet, les grandes thématiques évoquées dans le cadre de la relance post-covid requièrent toutes un gros effort de formation. On pense à l’économie verte et à la re-localisation d’activités stratégiques, placées au cœur des différents projets de relance annoncés et discutés dès le confinement.
Le Sénat publiait par exemple dès le 17 juin un rapport en faveur d’une « relance verte, décentralisée et européenne ». Dans le plan de relance de 100 milliards d’euros qui sera détaillé le 24 août prochain, alimenté notamment par les 40 milliards du plan de relance européen, on parle d’ores et déjà de 20 milliards consacrés à financer la transition écologique. Une partie de celle-ci impliquera le développement de nouveaux métiers et la formation à de nouveaux usages.
Plus importante encore est l’enveloppe dédiée à l’industrie : 40 milliards. L’objectif est de réduire la dépendance du pays sur plusieurs secteurs jugés stratégiques. C’est une logique de relocalisation, qui passe là encore par le re-développement de compétences insuffisamment maîtrisées sur le territoire.
Difficile d’imaginer ce double mouvement sans retombées importantes pour la formation.
Raison n°4 : le gouvernement en affiche la volonté
Dans le prolongement de la raison précédente, on constate une forte volonté gouvernementale de stimuler la formation. L’importance de celle-ci est clairement exprimée et soulignée. Et le moyens suivent.
On pense bien sûr au dispositif FNE-Formation, par lequel toute entreprise qui a des salariés en activité partielle peut faire, tout simplement, financer la formation de ses équipes par l’Etat, à 100% jusqu’à fin septembre, et sans doute encore à 70 ou 80% après cette date. Malgré les difficultés de mise en place de ce dispositif inédit, son inscription dans le moyen terme devrait lui permettre de jouer un rôle très significatif pour la formation dans les mois à venir.
On pense également aux 20 milliards mobilisés, là encore, dans le cadre du plan de relance, au profit du « soutien aux compétences ». Il s’agit là d’argent qui bénéficiera directement aux entreprises qui embauchent et qui forment, via notamment une exonération de charges pour certains jeunes en apprentissage, ou encore le financement de 300 000 contrats d’insertion.
Significativement, un rapport au ministre de l’économie paru juste avant le confinement et visant à « faire de la France une économie de rupture technologique » identifiait 22 marchés technologiques émergents à soutenir : l’e-learning et les ed-tech figuraient parmi le nombre.
Il semble donc que l’enjeu du développement des compétences soit véritablement pris au sérieux par les autorités. Il ne serait pas étonnant que la formation figure parmi les thèmes de campagne de 2022, et conduise même à des réformes favorables aux salariés et aux entreprises. Un crédit d’impôt peut-être ? Un rapport du Sénat a récemment proposé quelques pistes.
Raison n°5 : le système de formation post-réforme de 2018 y est propice
La réforme du système de formation issue de la loi « Avenir professionnel » a, par certaines de ses mesures, créé les conditions d’un investissement à la fois massif et efficace dans le développement des compétences. Certes, elle a réduit le périmètre des dépenses obligatoires des entreprises, qui jouaient sans doute un rôle d’amortisseur. Mais elle l’a maintenu pour celles qui en ont le plus besoin – les entreprises de moins de 50 salariés – et a mis en place au moins deux outils qui devraient permettre un rebond rapide des achats de formation : le CPF désintermédié et la simplification du recours à l’apprentissage.
Le nouveau système, conçu pour favoriser la formation comme investissement, va connaître en tout cas un baptême du feu précoce. Le nouveau CPF, après tout, commençait tout juste à décoller lorsque la crise épidémique est venue l’interrompre dans son élan. Sur le plus long terme, parions qu’il ne tardera pas à rattraper le temps perdu.
Raison n°6 : la formation à distance démultiplie les possibilités du secteur
C’est peut-être la raison la plus concrète et la plus immédiate. La crise épidémique a imposé un coup d’accélérateur au distanciel. Pendant deux mois, les Français ont été pour beaucoup contraints aux échanges à distance, au télétravail, aux réunions en ligne, et parfois même directement à la formation en ligne. Quand on a dû suivre quotidiennement des réunions sur Zoom pendant de longues semaines, même si on n’en a pas forcément apprécié tous les aspects, on est forcément devenu moins réticent au distanciel. D’autant que dans le même temps, beaucoup ont vu leurs enfants poursuivre leurs études à distance, avec des moyens plus ou moins improvisés.
Même si la plupart des salariés accueillent avec soulagement un retour au contact humain, un seuil d’acculturation a été franchi. La formation en ligne n’apparaît plus ni comme impossible, ni comme nécessairement moins performante. Des réflexes ont été pris, techniquement et humainement. Pour peu que les outils se professionnalisent, les apprenants seront même heureusement surpris par l’expérience, par comparaison avec les conditions de communication souvent précaires qui ont parfois prévalu pendant le confinement.
Toutes les conditions sont donc réunies pour permettre aux organismes de formation de développer une offre entièrement rénovée, dans laquelle le distanciel, le présentiel, le synchrone et l’asynchrone se combineront au mieux en fonction de l’intérêt pédagogique et de la demande du client. La volonté existe depuis déjà quelques années ; le marché vient de s’élargir brusquement.
Cet optimisme est d’abord macroéconomique : nous n’ignorons pas qu’à court terme, la crise va susciter des situations extrêmement difficiles pour certains formateurs et organismes de formation. Nous entendons également les remontées du terrain qui parlent de gel des formations, de recentrage sur les formations obligatoires, de plans de formation revus à la baisse. Mais ces évolutions, lourdes de conséquences à court terme pour les acteurs de la formation les plus fragile, ne racontent pas toute l’histoire. Sur le moyen et long terme, des tendances lourdes continuent à tirer dans le sens d’un accroissement séculaire de l’effort de formation. Une croissance qui s’accomplira sous des formes nouvelles et transformées, et qui va faire du responsable formation un expert toujours plus indispensable à l’entreprise dans les années à venir.
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