Benoît Serre est vice-président délégué de l’Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH). Il est également directeur général adjoint et DRH du groupe Macif.
L’ANDRH a publié fin janvier un sondage relatif aux attentes des DRH vis-à-vis de la réforme de la formation professionnelle. Quels en sont les principaux enseignements ?
Cette étude est le résultat d’un sondage réalisé auprès de nos adhérents, complété par les analyses de nos 80 groupes locaux. Elle a été réalisée avant la fin des négociations entre partenaires sociaux et avant l’annonce par Muriel Pénicaud des grandes lignes de la réforme.
Il en ressort d’abord le sentiment d’une grande complexité du système. 54% des professionnels RH interrogés jugent les circuits de financement peu clairs ; on imagine ce qu’il en est pour les salariés dont ce n’est pas le métier.
Tout en considérant que la branche, avec l’entreprise, doit piloter la formation professionnelle et l’alternance, les professionnels RH estiment donc que les Opca doivent gagner en efficacité et en qualité de service.
Globalement, ils estiment que les réformes « vont dans le bon sens » mais « n’ont pas changé fondamentalement la donne ». Ils souhaitent que le CPF soit élargi et simplifié, que les dispositifs d’accompagnement et d’orientation soient améliorés, et que l’investissement formation soit encouragé par des avantages fiscaux (pour 88% d’entre eux).
Les professionnels RH plébiscitent également l’alternance, et souhaitent que la gestion des CFA soit davantage confiée aux branches et aux entreprises. Ils sont favorables à un contrat d’alternance unique sans limite d’âge.
Quel regard l’ANDRH porte-t-elle sur cette réforme, ses enjeux et la façon dont elle se déroule ?
Dans la continuité des résultats de l’enquête, l’ANDRH souhaiterait que cette réforme soit l’occasion de parler des intérêts des salariés, des entreprises et des formateurs, plutôt que de débattre de la répartition des ressources financières. La vraie question est de savoir comment il est possible de mettre en place un système qui permet d’une part aux entreprises de faire face aux enjeux considérables liés à l’évolution des métiers, des compétences et des marchés ; et d’autre part aux salariés de réaliser leur projet professionnel, et aux demandeurs d’emploi de se reconnecter au monde du travail. Pour cela, il est nécessaire d’avoir une approche plus pragmatique ; or, on a eu le sentiment tout au long des négociations entre partenaires sociaux que prédominait une approche très administrative et institutionnelle, qu’on essayait de corriger le système sans vraiment le transformer.
L’ANDRH se réjouit donc globalement des grandes lignes annoncées par la ministre du Travail le 5 mars dernier, et qui semblent dessiner une vraie simplification du système. Chaque acteur doit avoir ses priorités et ses objectifs clairement définis. Nous sommes par ailleurs plutôt partisans d’un rapprochement du contrat de professionnalisation et d’apprentissage, pour redonner de la vigueur à l’alternance. Aujourd’hui, 17% des professionnels RH affirment de pas embaucher d’alternant à cause de la complexité administrative, ou par manque de temps à y consacrer – alors même qu’ils reconnaissent que l’offre est adaptée à leurs besoins de compétences. Un contrat unique pour cette nature d’accès à l’emploi serait un net progrès.
A l’inverse, nous estimons que la régionalisation de la formation professionnelle n’a pas fait ses preuves. Nous plaidons pour une simplification, une désadministration du système.
Et sur l’évolution proposée du CPF ?
Il y a le risque que le Compte personnel de formation devienne un « fourre-tout » incompréhensible, censé tout faire mais trop complexe pour servir vraiment. Mais l’idée de base est bonne. Nous sommes favorables à la fin des listes d’éligibilité et à la fusion avec le Congé individuel de formation (CIF). C’est une logique de simplification qui va dans le bon sens. Mais il ne faudrait pas tout faire peser sur le CPF. Il faut aussi imaginer son articulation avec le plan de formation des entreprises. Celles-ci, il ne faut pas l’oublier, ont pour la plupart une vraie volonté de former leurs collaborateurs : c’est une nécessité pour elles.
La simplification annoncée par Muriel Pénicaud, avec la création d’une application qui mettrait directement en relation demandeurs de formation et prestataires, nous paraît excellente. D’une façon générale, la réforme telle que présentée par la ministre nous semble aller plus loin dans le bon sens que celle qui aurait résulté d’une stricte application de l’accord négocié par les partenaires sociaux.
L’ANDRH a sorti fin 2017 une étude sur l’avenir de la fonction RH. Que ressort-il de cette enquête ?
Il s’agit d’une étude conduite à l’occasion des 70 ans de l’ANDRH, et qui combine l’approche universitaire et le regard des praticiens des RH. Nous avons pu constater une convergence assez forte entre les deux, entre les constats académiques et la réalité vécue des DRH. L’étude a conduit à dégager 7 tendances et 21 scénarios pour le devenir de la fonction. Je n’entrerai pas ici dans les détails, et j’évoquerai seulement quelques grandes tendances.
La première a trait à la période de transformations technologiques, économiques, sociétales que nous traversons. Au-delà de leur métier strict, les DRH sont confrontés à cette réalité, et ils assument une responsabilité spécifique : celle d’accompagner la mutation des modes de travail, des métiers et des compétences – sous l’influence du digital, mais pas seulement. Les entreprises évoluent à un rythme accéléré ; mais les personnes ne changent pas forcément aussi aisément que le disent les PowerPoint sur la transformation digitale ! Le fait que le changement soit nécessaire ne le rend pas instantanément possible pour autant. Le temps de l’entreprise et celui du salarié ne sont pas toujours les mêmes, et il revient au DRH de chercher à les concilier.
Une deuxième tendance est liée à la technicité croissante du métier. Les contraintes administratives, juridiques, techniques sont de plus en plus nombreuses et complexes. Dans les entreprises de service, la masse salariale représente environ 70% des frais généraux : c’est une pression considérable ! S’y ajoutent les contraintes en matière de contrôle de gestion, de social, de collecte d’impôt avec le prélèvement à la source à partir de 2019, la gestion des données et de la confidentialité, avec le RGPD… Le DRH est donc amené à devenir de plus en plus expert, dans un grand nombre de domaines.
Dans le même temps, nous avons vu arriver dans l’étude quelque chose que nous n’attendions pas forcément : les salariés sont en demande de bienveillance de la part de leurs DRH. Il y a un besoin d’écoute et d’accompagnement au milieu de toutes ces transformations. On retrouve cette attente dans le rapport au digital. Malgré les discours enthousiastes sur les apports du numérique, les avancées technologiques suscitent beaucoup d’inquiétudes : les uns craignent qu’elles leur prennent leur travail, les autres se demandent s’ils sauront faire ce qu’on va leur demander demain… Tout le monde n’est pas convaincu aujourd’hui de sortir gagnant de la digitalisation et de la robotisation, et le DRH doit en tenir compte avec pragmatisme. Il ne faudrait pas que le digital se conçoive « à la place de », mais « au service de ».
La fonction RH évolue donc clairement vers une fonction stratégique d’accompagnement, qui doit concilier la capacité des personnes à évoluer avec le mouvement de l’entreprise.
Cette autre étude de l’ANDRH, parue elle aussi fin 2017, semble aller dans le même sens. On y constate également l’émergence de la fonction formation.
L’étude que nous avons conduite avec l’APEC à partir des offres d’emploi cadres de 2005 et 2015 confirme effectivement notre enquête prospective, en montrant que les évolutions que nous annonçons sont déjà à l’œuvre. Et l’affirmation de la fonction formation fait effecivement partie de ces tendances. Le sujet de la formation reste majeur. Face aux transformations des métiers, l’entreprise est responsable de l’employabilité de ses salariés. Et l’un des outils de cette employabilité est bien la formation. On retrouve cette dimension dans plusieurs des scénarios identifiés pour l’avenir des DRH.
Le digital change beaucoup de choses : le savoir est accessible à tous, mais la bonne utilisation de ce savoir est un autre problème. Cela ne veut pas dire que les compétences comportementales deviennent les seules, mais elles prennent indubitablement davantage d’importance. Pour prendre l’exemple des métiers du commerce, le client arrive aujourd’hui surinformé sur le produit, ce qui change radicalement le rôle du vendeur…
Le numérique transforme également les moyens pédagogiques de la formation. Il y a eu deux phases dans cette évolution vers la formation digitale : on a d’abord misé sur la formation à distance, en inventant beaucoup de tuyaux, mais sans avoir de contenus à diffuser. Il y a eu la vogue des Moocs, notamment. A présent, on privilégie davantage le blended learning, les formations mixtes, et on réinjecte de l’humain et du contenu.
Là encore, on constate que la dimension humaine prend de plus en plus d’importance dans cette phase de digitalisation à outrance.
Crédit photo : Michel Labelle
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