Etienne Lepoutre est depuis 2014 Senior Vice Président en charge des Ressources Humaines pour toute la zone Amériques (Nord et Sud) du groupe Air Liquide. Il a exercé par le passé diverses responsabilités au sein du groupe, dont celle de CEO d’Air Liquide Japon. Il nous fait part de son expérience internationale en matière de formation professionnelle, en particulier aux Etats-Unis.
Quelles sont les principales spécificités de la formation continue aux Etats-Unis ?
D’une façon générale, la formation professionnelle tout au long de la carrière est très encouragée aux Etats-Unis. Culturellement, elle est bien plus développée qu’en France. Le système est conçu pour que l’on puisse changer totalement d’orientation au cours de sa vie. Je pense par exemple à une collaboratrice qui avait été infirmière pendant 15 ans, et qui est devenue avocate chez nous…
La réglementation n’impose cependant aucune obligation de formation aux entreprises : l’aide à la formation passe uniquement par des avantages fiscaux. L’approche est donc plus incitative que coercitive.
La formation est très valorisée sur le marché de l’emploi : elle est perçue comme un avantage compétitif par les entreprises. De ce fait, celles-ci apportent volontiers une aide financière à la reprise d’études en « part time », parfois même en « full time », sur des formations qui sont en cohérence avec leur stratégie.
Comment est organisée la formation dans le groupe Air Liquide ?
Il y a trois niveaux :
– Nous avons d’abord une organisation à l’échelle mondiale, « Air Liquide University ». On y délivre des programmes pour les managers, mais aussi des formations métiers, portant sur des expertises précises. Ce sont des formations offertes aux collaborateurs dans le monde entier. Elles peuvent être réalisées par des intervenants internes ou externes.
– Ensuite, au niveau plus local, il existe des formations spécifiques à un pays ou à un continent.
– Enfin, à l’échelle d’un département, les managers peuvent également décider, à l’intérieur d’un budget, de formations pour tel ou tel collaborateur sur des sujets précis.
En dehors de ces trois niveaux, il peut arriver également que des salariés décident de retourner à l’université pour obtenir un diplôme ou compléter leur formation. Dans ce cas, l’Air Liquide ne pilote pas, mais peut participer au financement.
En 2014, sur la zone Amérique, le groupe dépensait 2 à 3 % de la masse salariale brute par an en coûts de formation des salariés (2,5% pour l’Amérique du Nord seule). 9 employés sur 10 avaient participé à une formation, pour une moyenne de 40 heures (soit 5,3 jours) par personne.
Qui sont les prestataires de formation aux Etats-Unis ?
Tout le système est conçu pour que l’on puisse se former et changer d’orientation au cours de la carrière. Il existe notamment une institution très bien faite, qui à ma connaissance n’a pas d’équivalent exact en France : c’est le « Community College ». Aux Etats-Unis, le « College » désigne habituellement les 4 premières années des études supérieures, proposées par toutes les universités. Les Community Colleges offrent à côté un enseignement en deux ans plutôt orienté « professionnel », mais sur tout type de thématiques. Cela peut aller de cours de cuisine aux langues étrangères, en passant par la biologie, les mathématiques ou l’informatique… Or, les « Community College » accueillent beaucoup de professionnels en cours de carrière, à côté d’étudiants qui sortent du lycée. Ils peuvent être publics ou privés, avec généralement des aides publiques.
Aux Etats-Unis, on retourne donc volontiers à l’école, avec un diplôme en fin de parcours qui peut permettre de changer de carrière. Quelqu’un qui a été chauffeur de camion pendant 20 ans peut très bien décider de reprendre des études de philosophie, en cours du soir par exemple.
Les universités proposent également des formations continues. Et il y a bien sûr de nombreux organismes de formation privés.
Comment la puissance publique intervient-elle en faveur de la formation professionnelle continue ?
A certaines conditions, les frais engagés par la personne qui se forme peuvent être déductibles du revenu imposable, ou donner lieu à des crédits d’impôt. Par ailleurs, si l’entreprise apporte une aide, les sommes qu’elle verse sont exclues du revenu imposable du salarié..
Il n’existe pas ici de prélèvement ou d’obligation de dépense pour les entreprises. Mais celles-ci financent ou co-financent volontiers la formation de leurs collaborateurs, pour peu que le sujet étudié corresponde au projet de l’entreprise : la dépense de formation est alors vue comme un investissement.
Prenons l’exemple d’Airgas, qui a rejoint récemment le groupe Air Liquide. Airgas a une politique de développement et d’encouragement de la formation professionnelle de ses employés. Cette politique se traduit par un programme de subventions destinées aux employés à plein temps présents depuis au moins 6 mois dans la société, et dont les performances professionnelles sont satisfaisantes. L’aide est conditionnée au succès du salarié dans sa formation : il doit obligatoirement la valider, et il est d’autant mieux remboursé que sa note est élevée.
Comment évolue l’offre de formation aux Etats-Unis ?
Il y a une vraie industrie de la formation, dynamique et significative. Les sociétés de formation vendent leurs prestations directement aux entreprises, mais aussi à des universités, qui n’ont pas toujours les moyens de les développer. La formation online prend également de l’importance. Dans un pays aussi vaste et décentralisé que les Etats-Unis, la possibilité de se former à distance est particulièrement précieuse. Le digital a de fait transformé considérablement l’accès au savoir. Tout le monde n’habite pas à proximité d’un « Community College ». La plupart des universités proposent d’ailleurs aujourd’hui des diplômes en ligne.
Vous avez également été PDG d’Air Liquide Japon. Quelques mots pour conclure sur cette expérience, du point de vue de la formation continue dans l’entreprise ?
Au Japon, le rapport à la carrière et à la formation est très particulier. La progression de carrière est un processus très codifié. Il n’existe pas de distinction entre cadres et non-cadres, catégorisation qui reste très française. Tout le monde commence au bas de l’échelle. Un collaborateur qui sort de la meilleure université de Tokyo débutera comme les autres à un poste de non-manager. Certes, il connaîtra une évolution plus rapide que les autres, mais pour passer au rang supérieur et devenir manager, il devra passer un examen très formel et très sélectif, après avoir étudié en interne.
Dans mon expérience, la formation continue se fait à 100% au sein même de l’entreprise. On ne recourt pas à des prestataires extérieurs. On trouve bien quelques grandes entreprises qui vont financer des MBA aux Etats-Unis à leurs talents de haut niveau ; mais cela reste très marginal.
Il existe très peu de passerelles, de possibilités de réorientation. Le système n’est pas fait pour la flexibilité. On ne change pas d’entreprise, et la carrière est jouée dès le départ. Et les formations ne sont donc conçues que dans l’optique de l’entreprise. C’est donc un modèle aussi différent de celui des Etats-Unis que de celui de la France !
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