Florence Poivey (Medef) : « Il faut réformer la certification »

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Dirigeante depuis 1988 de Union Plastic, entreprise de la plasturgie spécialisée dans la santé, Florence Poivey préside la commission « Education, formation et insertion » du Medef. Présidente de la fédération de la Plasturgie depuis 2012, elle est fortement engagée pour la cause de l’apprentissage et celle de l’entrepreneuriat (vice-présidente de la fondation d’entreprises EMERGENCE, présidente du club lyonnais de dirigeants Le PRISME…).

Management de la formation : Quel regard porte le monde de l’entreprise, dans sa diversité, sur la réforme de la formation et sa mise en œuvre ?

Florence Poivey : Ce qui nous a motivés, avant tout, dans la négociation de cette réforme, c’est la volonté de faire de la formation professionnelle un investissement, alors qu’elle était jusqu’alors une dépense obligée. Nous partons d’une conviction forte : la formation continue est un levier puissant de compétitivité pour les entreprises, et un levier non moins puissant d’employabilité pour les collaborateurs. La montée en compétences est à nos yeux l’un des trois piliers de la croissance, avec l’innovation et l’international.

Un an et demi après l’entrée en vigueur de la réforme, nous constatons que dans beaucoup d’entreprises les pratiques de formation évoluent, et que, lorsqu’il existe, le positionnement du directeur de la formation a connu une intéressante évolution. Il n’est plus un gestionnaire de flux financiers, il se situe au cœur de la gestion des compétences, ressource stratégique des entreprises.

Quant aux Opca, ils sont doublement bousculés : dans leur mission, puisqu’ils deviennent de plus en plus des prestataires de service, partenaires de leurs clients et dans leur financement, puisqu’une partie de la ressource n’est plus automatique. Même s’ils conservent le ticket d’entrée dans l’entreprise par le biais de leur contribution financière. Pour la plupart, ils ont conduit une véritable révolution culturelle en interne. Et on s’aperçoit que la baisse drastique, que certains annonçaient, de la dépense de formation, n’a pas eu lieu. Agefos-PME annonce même une collecte sur les masses salariales 2015 légèrement supérieure à celle de l’année précédente (958M€ contre 952M€). La collecte d’Opcalia devrait reculer un peu, mais dans des proportions relativement faibles.

Le CPF semble bien parti : on pourrait atteindre 100 à 120 000 salariés formés sur fonds CPF à la fin de l’année. Il ne faut pas oublier que le CPF ne représente que 0,2 % de la masse salariale, en matière de financement. L’immense majorité de la dépense de formation lui échappe.

 

Quelles améliorations pourraient encore être apportées à la réforme de la formation professionnelle ?

Le Medef, contrairement aux idées reçues, compte majoritairement des TPE-PME parmi ses adhérents. Nous avons donc une importante responsabilité de pédagogie et d’information. L’idée que la montée en compétences est une clé de la croissance et de l’avenir exige une forte pédagogie. La gestion administrative de la formation professionnelle reste trop complexe, et paraît éloignée des préoccupations des dirigeants de TPE et PME. Nous ne cessons de nous battre pour la simplifier, la faire comprendre, et en améliorer l’accessibilité.

Il y a aussi l’éternelle question de l’offre de formation, et de sa cohérence avec les besoins des entreprises. Il y a deux ans, nous avions lancé notre campagne « Beau Travail », qui faisait le tour en 115 petits films des métiers en tension. Nous avions réalisé dans ce cadre un baromètre de ces métiers, qui cherchent à recruter mais n’y arrivent pas. Nous travaillons à mieux cerner les besoins en compétences pour orienter l’offre de nos centres de formation en conséquence. Pourquoi les organismes de formations ne pourraient-ils pas utiliser ce travail ?

 

Quel serait le système de formation idéal pour le Medef, dans un avenir plus ou moins proche ?

Dans notre réforme de la formation idéale, il y aurait 4 priorités.

  • D’abord, il faudrait une vraie réforme de l’orientation professionnelle. Le système d’orientation devrait être l’architecte du parcours professionnel. Et pour cela, être davantage en lien avec le monde économique. Aujourd’hui, il reste trop autocentré sur le système éducatif et pas assez sur le projet de la personne. La réforme de la formation a bien mis en place le Conseil en évolution professionnelle (CEP), mais les acteurs concernés s’en sont emparés un peu en ordre dispersé. Et il ne s’agit pas d’un dispositif intégré à l’appareil de formation. Par ailleurs, il n’y a pas vraiment de gouvernance du CEP.
    Pour que cela fonctionne, il faut absolument mettre les partenaires sociaux au cœur du système. C’est ce qui se passe dans tous les pays qui réussissent dans ce domaine. Il faut construire un maillage de confiance entre les entreprises et les politiques (Etat et région).
  • Deuxième priorité : une vraie réforme de l’apprentissage, qui place l’entreprise, là encore, au cœur du dispositif. Il est significatif que depuis 6 ans le nombre d’apprentis baisse, tandis que le nombre de contrats de professionnalisation se maintient, voire progresse, malgré la crise. Pourtant, ce dernier dispositif est comparativement plus coûteux. Mais il est plus simple, plus agile et davantage maîtrisé par l’entreprise.
  • Une réforme de la certification s’impose également. Le système actuel est pléthorique, pas assez adapté, et pas assez réactif. Personne ne donne le même chiffre, mais il semble bien qu’on ait au minimum 12 000 certifications. Et dans le même temps, les conditions d’enregistrement sont drastiques, et trop longues à atteindre : il faut avoir certifié trois promotions successives pour l’obtenir. Trois promotions, c’est parfois 3 ans… C’est beaucoup trop lent pour répondre à l’évolution des métiers, ou même simplement à celle des tâches qui les composent.
    Il vaudrait mieux définir des critères de qualité, et valider les certifications en fonction de leur respect de ces critères. On maintiendrait ou retirerait ensuite l’enregistrement en fonction des résultats. Il faut accroître la vitesse de réponse du marché de la formation aux changements dans la demande de compétences. C’est essentiel si nous voulons permettre à l’innovation de se diffuser. La loi a levé le frein juridique, mais pas le frein psychologique… Dans la plasturgie, nous avons développé des CQP conçus avec les salariés, afin d’impliquer le manager responsable à la fois dans la formation et l’après-formation. Ce n’est pas la conséquence d’une loi : c’est juste un changement de culture.
  • Dernière priorité : l’évaluation. Pour reprendre le modèle en 4 niveaux de Kirkpatrick, le niveau 1 est systématiquement évalué ; mais à mesure que l’on approfondit l’évaluation, la France décroche par rapport aux autres pays – notamment l’Allemagne et le Portugal. Or il est essentiel de savoir si la formation a été mise en pratique : c’est à cela qu’on mesure sa réussite. Mais pour beaucoup de raisons, nous sommes réticents à franchir ce pas. Nous n’aimons pas trop avoir l’air de vouloir évaluer la personne ; et surtout, une telle évaluation requiert l’investissement du manager, confronté à une injonction paradoxale entre consacrer du temps à former/évaluer et les impératifs de la production.

 

Les dispositions en matière de formation professionnelle de la loi travail ont été occultées : quels en sont les principaux enjeux ?

Plusieurs aspects vont globalement dans le bon sens, par exemple l’évolution vers la fin de « l’heure-stagiaire » : l’heure ne sera plus la seule unité de mesure de la formation. C’est aussi une façon de mettre un terme à l’idée qu’une bonne formation est nécessairement une formation longue.

Par ailleurs, quelques insécurités juridiques sont levées, notamment concernant le financement du CPF : l’abondement par l’Opca pourra bien être prélevé sur le 0,2 %. Il est toujours préférable de lever un maximum de freins quand on lance un dispositif, si on souhaite qu’il décolle. Quitte à réajuster ensuite.

La loi ouvre également l’apprentissage au e-learning.

Le CPA a été un peu précisé, mais parfois dans un sens inquiétant. Le Compte citoyen part d’une bonne intention, mais qui va payer ? Il n’est pas impossible que ce soit le CPF, en définitive… Les heures de CPF pourront également être utilisées pour d’autres activités que celles qui sont répertoriées dans les listes : l’aide à la création ou à la reprise d’entreprise ou les bilans de compétences, par exemple. On se retrouve avec un système très cadré d’un côté (les formations certifiantes) à côté d’un autre très déréglementé…

 

Où en est « Rue de la formation », un an après son lancement ? Quels sont les retours ?

Le site fonctionne bien. Nous commençons à talonner d’autres sites de référence. L’idée derrière l’initiative est toujours la même : montrer pourquoi la formation est nécessaire et indispensable, tant à l’entreprise qu’au salarié. Le monde bouge, et il nous appelle naturellement à monter en compétence – dans le numérique, la transition énergétique, le collaboratif… Rien de mieux pour en convaincre les internautes que d’informer et de montrer, en situation, des exemples de la façon dont, sur le terrain de l’entreprise, le système de formation professionnelle peut être utilisé pour accompagner le changement et consolider son avenir.

Crédit photo : maximelenik@RPROD

 

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