Professeur d’économie à l’Université Panthéon-Assas et à Sciences Po et membre du CREST-ENSAE (laboratoire de micro-économétrie), Marc Ferracci est l’auteur – entre autres –, d’Evaluer la formation professionnelle, et co-auteur avec Bertrand Martinot de la note Réforme de la formation professionnelle: entre avancées, occasions manquées et pari financier publiée en septembre 2014 par l’Institut Montaigne. Quelques semaines après la publication du décret qualité, nous avons recueilli ses impressions sur le système français, les effets de la formation sur les individus et les entreprises, le rôle du CNEFOP et des OPCA.
Management de la formation : – Bonjour Monsieur Ferracci. Le décret qualité a été publié début juillet 2015. Est-ce une manière d’améliorer la qualité de la formation en France ?
Ce décret part du constat suivant : le marché, tel qu’il existe aujourd’hui en France, fonctionne mal. Pour certains observateurs dont je peux faire partie, ce n’est même pas un marché au sens où ce n’est pas un lieu de rencontre régulé par des prix entre des prestataires et des utilisateurs. Avant de s’interroger sur les effets de ce décret, il faut tenter de comprendre pourquoi ce marché fonctionne mal.
Selon moi, deux raisons essentielles peuvent expliquer ce constat :
- le déficit d’information sur la qualité des prestations délivrées par les organismes résultant principalement de la nécessité d’un numéro d’enregistrement de la déclaration d’activité par le préfet et non d’une certification ou d’une labellisation. Cette déclaration d’activité n’est pas un agrément. Une fois validée, elle permet certes d’accéder à des fonds mutualisés ou publics et ne révèle en aucun cas la qualité des prestataires. En revanche, elle alimente le marché des prestataires. Ceci implique d’améliorer la labellisation des prestataires et des actions de formation. Ce manque d’homogénéité sur les principes de labellisation induit ce déficit d’information. Aujourd’hui la labellisation doit se structurer car elle est hétérogène et nécessite un pilotage national voir européen.
- la formation professionnelle bénéficiait d’une manne financière (le 1,6%), décidée par la loi, sans tenir compte des besoins des entreprises et des individus, par nature hétérogènes. Aujourd’hui, elle bénéficie du 1% mutualisé qui peut s’apparenter à une taxe contribuant à alimenter le marché. Toutefois, le débours n’est pas volontaire de la part des entreprises, dont certaines ont des besoins qui sont en deçà de ce seuil, quand d’autres le dépassent largement. La conséquence est que mécanisme d’émergence de la qualité par les prix ne fonctionne pas. Nous l’avions largement dénoncé avec Pierre Cahuc et André Zylberberg (Formation professionnelle : pour en finir avec les réformes inabouties, Institut Montaigne, septembre 2014). L’obligation de payer nuit à l’efficacité car une partie des formations ne correspond pas à de réels besoins. Cela contribue aussi à alimenter le marché sans tenir compte des externalités de la formation. De ce point de vue, la suppression de l’obligation de payer au titre du plan de formation décidée par la loi Sapin est une évolution positive, qu’il conviendrait d’amplifier.
Management de la formation : – Quel est l’état de la qualité en France ? Arrive-t-on à objectiver les effets de la formation ?
L’appréciation de la qualité se fait par l’analyse de ses effets. Quand on évalue l’impact causal de la formation en contrôlant les biais de sélection, on se rend compte que ses effets sont modérés.
La formation des adultes a très peu de conséquences sur les salaires dès que l’on raisonne toutes choses égales par ailleurs. En revanche, dans le cas d’une mobilité externe, les salariés peuvent tirer profit d’une formation sur le plan salarial par le biais d’un gain de rémunération ou d’une absence de perte salariale par rapport à ceux qui n’ont pas bénéficié d’une formation.
Du côté des entreprises, l’impact de la formation sur la productivité est un peu meilleur que celui sur les salaires. En moyenne, ce sont donc les employeurs qui captent la majeure partie des rendements de la formation de leurs salariés. (Cf. Evaluer la formation professionnelle, Éditions Presses de Sciences Po).
Pour en revenir au sujet, on ne peut parler de la qualité de l’offre sans parler des rendements de la formation car ce sont les financeurs de la formation qui vont contrôler la qualité avec ce nouveau décret.
En comparant la formation professionnelle à d’autres types de formation à d’autres âges de la vie (dont l’alternance), les gains salariaux sont faibles dans de nombreux pays, voire statistiquement nuls à l’échelle hexagonale. Ces rendements sont d’autant plus faibles dans un système n’accordant pas une place essentielle au contrôle de la qualité comme nous le disions dans l’étude de l’Institut Montaigne en septembre dernier. Il faut toutefois être optimiste : il est possible d’améliorer ce rendement, en étant plus ambitieux dans la régulation du système.
Management de la formation : – Le décret pourrait-il améliorer la situation des individus et des entreprises ?
La loi va dans le bon sens en supprimant l’obligation légale de formation et le décret est également une avancée en s’intéressant – entre autres – au ciblage de la formation sur les bons publics, à l’adaptation des moyens aux publics et aux objectifs visés et à la satisfaction des stagiaires, avec les difficultés d’objectivité l’impact de la formation. Il faut maintenant poursuivre en construisant un contrôle factuel. À ce titre, je ne peux que regretter, en tant que chercheur, qu’il n’y ait pas plus de projets financés par les acteurs du secteur visant à faire des évaluations aux standards académiques de l’impact causal de la formation.
Management de la formation : – Ces critères n’étaient-ils déjà présents pas dans le texte ou les directives de la DGEFP ?
Le décret fait œuvre utile en précisant davantage la loi mais il laisse une marge de manœuvre et d’interprétation aux financeurs et au CNEFOP. Il y aura d’autant plus d’hétérogénéité qu’il existe 2 modes d’application des critères du décret :
- d’une part, les financeurs (OPCA et Régions) qui préparent leur liste des prestataires de formation mettant en œuvre des actions de qualité reconnues soit par une procédure interne d’évaluation, soit par la reconnaissance d’une certification ou d’un label ;
- d’autre part, le CNEFOP qui va établir sa liste des labels, certifications et normes dont les prestataires de formation bénéficient et par lesquels les critères énoncés seront réputés satisfaits.
Ma première crainte porte sur la multiplicité des interprétations possibles du fait de l’application des critères par un grand nombre de financeurs.
Les moyens disponibles sont également un sujet d’inquiétude. Le CNEFOP n’a pas les ressources actuellement pour certifier tous les prestataires qui en feraient la demande. Le problème de réactivité est fortement préjudiciable dans certains secteurs liés aux métiers du digital par exemple. L’agilité de l’offre de formation est essentielle.
Le CNEFOP peut certes s’appuyer sur les instances décentralisées de labellisation existantes (OPQF, AFNOR, ISO, etc.) pour pallier ce manque de moyens mais ceci rend plus difficile un pilotage national dans l’homogénéisation des critères de labellisation. Rappelons également qu’une labellisation de qualité doit répondre à 2 critères : l’expertise et l’indépendance statutaire vis-à-vis des prestataires. À ce titre un prestataire devrait être obligé de changer d’organisme labellisateur tous les 3/5 ans.
Nous avons par-dessus tout besoin d’un système simple et lisible. Dans le système allemand, les lois Hartz (réformes du marché du travail mises en place entre 2003 et 2005) ont fait émerger des agences de certifications chargées de contrôler les prestataires et les actions de formation. Aujourd’hui, on se rapproche de ce système mais nous vivons une période transitoire.
Management de la formation : – Quid du nouveau rôle des OPCA en leur octroyant le contrôle de la qualité et la co-création des listes des formations éligibles au CPF ?
On leur redonne un rôle fondamental. Ils sont au centre du système. Pourtant, les ressources des OPCA ne correspondent pas systématiquement aux besoins des individus et des entreprises de sorte que des pénuries sont possibles. Surtout, le système reste éminemment complexe pour ses utilisateurs.
Au salarié qui souhaite se former pour développer son employabilité avec les droits qu’il a accumulés, on demande de se rapprocher de son OPCA, de remplir un dossier et ensuite d’espérer échapper au règne de l’arbitraire selon l’état des caisses de l’organisme paritaire…
De ce point de vue, il aurait été préférable de libeller le CPF en euros et non en heures, et de favoriser une véritable désintermédiation du système, en permettant l’utilisation directe des droits auprès des prestataires. Le taux d’utilisation du CPF aurait été plus important et les prestataires auraient été obligés d’être plus transparents sur les tarifs. Dès 2011, nous préconisions avec Pierre Cahuc et André Zylberberg de confier la collecte des contributions « formation » à l’URSSAF. Ceci ne remettrait pas en cause l’existence des OPCA, mais modifierait substantiellement leur rôle.
Depuis quelques années, ils développent leurs missions d’ingénierie et de conseil, ils pourraient aujourd’hui se positionner non plus comme financeurs mais comme organismes labellisateurs. Certains OPCA de branche disposent d’une grande connaissance des formations, sur laquelle il serait utile de capitaliser.
Management de la formation : – Quel serait le système de formation idéal ?
Il s’agit d’un système désintermédié, dans lequel l’individu – mais également l’employeur – se retrouve face au prestataire de formation. Évidemment, certains individus nécessitant davantage d’accompagnement, bénéficient de prestations de conseil de qualité labellisées et certifiées, comme le CEP, avec des processus d’alertes et éventuellement des subventions pour les publics les plus éloignés de l’emploi. Le marché de la formation devient alors un véritable marché.
Management de la formation : – Rendez-vous en janvier 2017, date de mise en application du décret, pour faire un point sur le nouveau marché de la formation !
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