Économiste reconnu, délégué général à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) de 2008 à 2012 et ex-conseiller social du président Sarkozy (2007-2008), Bertrand Martinot est l’auteur avec Marc Ferracci, pour l’Institut Montaigne, d’une note intitulée Réforme de la formation professionnelle : entre avancées, occasions manquées et pari financier, publiée en septembre 2014. Il répond à nos questions sur la loi du 5 mars 2014, la sécurisation des parcours professionnels, la fin de l’imputabilité et son impact sur les budgets formation des entreprises.
Management de la formation : – La loi du 24 novembre 2009 fixée avait pour objectif de faire gagner au moins un niveau de qualification à chaque salarié au cours de son parcours professionnel, dans la perspective de progresser dans l’échelle sociale. La loi du 5 mars 2014 va-t-elle dans le même sens, grâce, entre autres, à la mise en place des entretiens professionnels ?
On peut le dire dans la mesure où cette loi entraine une plus grande concentration des fonds mutualisés vers des formations qualifiantes puisque le CPF aura vocation à financer de telles formations. Par un effet mécanique, les formés devraient voir leur qualification augmenter. Dans certains cas, cela permettra de les faire progresser d’un niveau de qualification.
Faire monter en compétences une partie de la population active était l’un des objectifs de la loi de 2009, mais elle ne disposait d’aucun outil pour l’atteindre. La loi de 2014 avec la mise en place du CPF, accompagné des entretiens professionnels tous les 2 et 6 ans, devrait permettre de progresser dans cette direction.
Management de la formation : – Le CPF sera-t-il un outil de sécurisation des parcours ?
Un constat s’impose. En France, le nombre d’actifs moins qualifiés est très (trop) important au regard de l’Allemagne par exemple. Comme je le précise dans Chômage : inverser la courbe*, sur la tranche d’âge 40-65 ans, 20 points peuvent séparer les deux pays. En France, si l’on prend les 45-54 ans, 32% de cette tranche d’âge n’a pas de diplôme du deuxième cycle du secondaire contre 13% des Allemands (Regards sur l’éducation 2013, OCDE). En fléchant davantage de fonds vers le qualifiant, le niveau général de la qualification des adultes pourrait s’accroître, et c’est indispensable.
Cela étant, le CPF souffre de plusieurs insuffisances qui en limitent grandement la portée.
La première est que le CPF, malgré sa portabilité, ne devrait pas fondamentalement changer la situation des chômeurs vis-à-vis de la formation. En effet, son adéquation a la réalité concrète et individuelle est assez théorique. Même si le compte d’un chômeur atteint 150 heures, qui pourra abonder son compte s’il a besoin de suivre une formation de 400 heures ? Certes, le FPSPP mobilisera théoriquement 300 M€ ayant pour vocation exclusive l’abondement des CPF des chômeurs, mais cela va se faire essentiellement par redéploiement de ses ressources actuelles. Les régions, l’État, Pôle emploi seront également mis à contribution. Mais, compte tenu de leurs contraintes budgétaires, il y a fort à parier que leurs abondements au CPF ne seront que du recylage des crédits existants.
Deuxième limitation, le CPF restera un instrument rigide et très intermédié du fait des listes qui ne répondront pas nécessairement aux aspirations des individus. On est encore loin d’une ouverture du marché de la formation…
Troisièmement, en se voulant égalitaire, le CPF ne sera pas redistributif. Il pourra même être anti-redistributif si l’on considère qu’une heure de formation pour un cadre coûte beaucoup plus cher qu’une heure de formation pour un salarié peu qualifié.
Au total, on a choisi de saupoudrer les financements sur 20 millions d’actifs, alors même que les besoins de formation sont très hétérogènes selon les personnes et les secteurs. On aurait dû, au contraire, inviter à flécher plus de moyens vers les salariés qui ont le plus besoin de formation et vers les chômeurs ?
Enfin, si le CPF a le succès qu’on en attend, les financements prévus ne sont pas à la hauteur, comme nous le montrons dans la note. Tout dépendra des abondements complémentaires décidés par les branches et les entreprises. Mais aucune évaluation, aucun tableau ressources-emplois n’a été produit. Comment sera régulé le système ? Comment réguler les probables files d’attente ?
Management de la formation : – Co-investissement et coresponsabilité peuvent-elles être des pistes pour que formation professionnelle « rime » avec l’employabilité et compétitivité ?
Une des exceptions françaises repose sur le constat que l’extrême majorité des actions de formation se déroulent sur le temps de travail (cf La formation en chiffre #20). Outre que cela ne favorise pas la responsabilisation des salariés, cela limite les marges de manœuvre financières du dispositif. Le CPF fait un pas intéressant dans cette direction : sans demander l’autorisation à leur employeur – ce qui était le cas pour le DIF –, les salariés pourront se former hors temps de travail (dans le respect de la liste d’éligibilité au CPF). Avec Marc Ferracci, nous avons fait l’hypothèse que de 3% actuellement, la proportion d’heures de formation réalisées hors temps de travail passerait à 10%. L’offre de formation devra forcément s’adapter et s’engager vers le « hors-temps de travail ». Actuellement, les cours proposés sont traditionnellement calés sur des formations pendant les journées traditionnelles. Or, si le salarié s’auto-responsabilise, les organismes de formation devront s’adapter et fournir des sessions adaptées. Les salariés devenant cofinanceurs, l’exigence de qualité sera exacerbée.
Mais pour que cela fonctionne, il faut que les salariés accèdent à l’information. Pour prendre un exemple du quotidien, il y a plus de commentaires d’internautes sur un restaurant que sur un organisme de formation. Comment s’y retrouver ? Les différentes lois ont certes permis de réduire une certaine collusion entre les organismes de formation et les OPCA, mais les critères de choix demeurent opaques. C’est pourquoi nous recommandons avec Marc Ferracci de développer une certification des formations indépendante, sur le modèle allemand. En France, la création d’un véritable marché de la certification, composé d’agences indépendantes et régulé par une autorité d’accréditation, est donc une nécessité. De ce point de vue, la nouvelle réforme ne change rien.
Management de la formation : – La suppression de l’imputabilité entrainera-t-elle immanquablement la baisse des budgets formation ?
Difficile de savoir à l’avance. Avec la disparition du 1,6%, de nombreuses PME vont peut-être baisser leur effort à 1%. Mais en sens inverse, les OPCA et les branches devront favoriser la mutualisation fléchée vers les PME.
Au-delà de chiffres, il s’agit surtout d’un pari sur un changement de logique. Jusqu’à présent, les employeurs étaient dans l’obligation de « former ou payer », et peu importait au fond les besoins de formation et leur efficacité. Avec la loi du 5 mars, la logique est censée changer puisque les entreprises sont dans l’obligation de former et de faire de la formation un objet de dialogue social. La formation sera davantage « challengée », les syndicats, eux, plus sensibles à la qualité de celle-ci. Mais tout cela ne peut fonctionner que si émerge véritablement un marché de la formation transparent, certifié, avec une information fluide et accessible sur la qualité des prestations.
Crédit photo : DR
Chômage, inverser la courbe, éditions Manitoba, Les Belles Lettres, octobre 2013, Ouvrage publié en octobre 2013 ayant reçu le Prix Turgot 2014 et Prix Édouard Bonnefous de l’Académie des Sciences morales et politiques 2014.
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