La blockchain est la mal-aimée des grandes innovations digitales de l’époque. On peut débattre au coin du feu avec ChatGPT, visiter les pyramides d’Egypte avec la réalité virtuelle, prédire l’avenir avec l’IA… En comparaison, la blockchain ne se prête guère à des expériences édifiantes, ni à des manifestations spectaculaires. Pourtant, elle serait porteuse d’applications qui pourraient rendre de vrais services au responsable RH et formation. Un rapport de Tomorrow Theory et Mazars a fait le point sur la question.
Sommaire
Une nouvelle révolution technologique ?
En quoi consiste la blockchain ?
En quoi la blockchain peut-elle être utile au responsable formation ?
Un cas d’usage fictif et futuriste
Une nouvelle révolution technologique ?
L’une des principales difficultés dans l’adoption d’outils utilisant la blockchain, c’est qu’ils ne semblent pas renvoyer de façon évidente à une expérience utilisateur particulière. Si je suis responsable RH et qu’on me propose de remplacer mon système de gestion des CV par une solution fondée sur la blockchain, mes collaborateurs verront-ils la différence ? La technologie blockchain existe au moins depuis 2009, avec la création du Bitcoin, et il semble qu’on annonce chaque année depuis qu’elle va révolutionner tel ou tel aspect de la vie de l’entreprise – sans parler d’Internet tout entier. Qu’en est-il ?
Tomorrow Theory et Mazars ont consacré en avril 2024 un rapport à la thématique « Blockchain & RH », sous-titré « Vers l’entreprise 3.0 ». Qu’en est-il de l’application de la blockchain à la formation, à la gestion des talents et des compétences ? Le rapport apporte des éléments d’explication quant à la technologie elle-même et esquisse des cas d’application, avec notamment une mise en scène dans une entreprise fictive en 2040.
En quoi consiste la blockchain ?
Dans notre compréhension, la blockchain est avant tout un mode de stockage de l’information. Elle se caractérise par un fonctionnement décentralisé et un cryptage des données qui, à eux deux, garantissent la sécurité et l’infalsifiabilité des informations.
Un stockage décentralisé
Traditionnellement, les organisations conservent leurs données sur un ou plusieurs serveurs centralisés. La blockchain, à l’inverse, stocke l’information simultanément sur une multitude d’ordinateurs, appelés nœuds. Les données sont actualisées simultanément sur tous ces PC. Si l’un des propriétaires de ces PC tente de modifier les données, les autres le repèrent et le rejettent. (C’est probablement plus complexe que ça, mais c’est en tout cas l’idée générale).
La blockchain se passe donc de « tiers de confiance » : on ne confie pas ses données à une organisation unique – comme une banque, un État, une institution, qui détient les serveurs et les données. Tout est présent simultanément sur une multitude d’ordinateurs, chacun étant « surveillé » par tous les autres pour éviter tout changement de l’existant. Et les règles en fonction desquelles les données sont ajoutées sont consensuelles et immuables.
Un stockage crypté
L’information est stockée sous forme de chaîne de blocs. Un bloc est un paquet de données (par exemple une série de transactions). Chaque bloc est lié au précédent par une clé cryptée.
En soi, la blockchain ne garantit pas la qualité des données ajoutées. Mais elle garantit que ce qui a été inscrit dans le système l’a bien été. On pourrait faire un parallèle avec l’enregistrement d’une interview. Un homme politique peut changer d’avis, et dire qu’il n’a jamais tenu les propos qu’on lui prête. S’il a été enregistré en train de tenir lesdits propos, il sera toujours possible de l’y confronter. La blockchain permet ainsi de stocker l’information de façon fiable, pérenne et infalsifiable.
Blockchain publique ou privée
Un système fondé sur la blockchain peut être :
- Public : tout le monde y a accès, le nombre de nœuds et de participants n’est pas limité. C’est le cas de Bitcoin.
- Privé : seuls les acteurs autorisés peuvent ajouter des blocs. Le nombre de nœuds est contrôlé.
C’est un point important, parce qu’il signifie qu’adopter une technologie blockchain n’implique pas nécessairement de rejoindre un réseau ouvert et sans frontières. ll peut s’agir d’un système fermé interne à une organisation, ou seulement partiellement ouvert. Le mode de stockage des données par blocs et par inscription simultanée sur tous les nœuds reste valide. Mais il y a bien une autorité qui s’apparente à un tiers de confiance.
Les contrats intelligents
Une autre notion s’ajoute : celle de contrat intelligent. Il s’agit d’applications stockées dans la blockchain qui se déclenchent automatiquement quand certaines conditions sont remplies. Un exemple qui revient souvent est celui des retards de train. Imaginons que la SNCF stocke les données relatives aux billets des voyageurs dans une blockchain. Un contrat intelligent pourrait permettre de rembourser automatiquement les clients dont le train est arrivé avec un retard supérieur à une durée spécifiée. Des fonctionnalités plus complexes existent dans le domaine de la finance ou de l’assurance.
Les contrats intelligents sont donc une modalité d’automatisation de fonctions en contexte de blockchain. En soi, on ne voit pas très bien ce qui empêcherait une architecture classique centralisée de mettre en œuvre le même type de services. Mais on comprend que la blockchain les rendrait plus fiables, moins falsifiables, et potentiellement plus rapides (du fait de l’absence de contrôle par le tiers de confiance).
En quoi la blockchain peut-elle être utile au responsable formation ?
Le rapport de Tomorrow Theory et Mazars liste plusieurs fonctionnalités qui pourraient être déployées via la blockchain au service du développement des compétences dans l’entreprise.
En matière de gestion de la formation stricto sensu, trois usages possibles se dégagent.
Pour la certification des compétences
La blockchain peut permettre d’accroître la fiabilité et la transparence des diplômes et certifications, de trois manières, selon le rapport :
- Un certificat numérique inscrit sur la blockchain est quasiment infalsifiable. Il ne peut jamais être modifié.
- Les employeurs et les DRH peuvent en vérifier facilement l’authenticité, dès lors qu’ils ont accès à la blockchain où sont inscrits les certificats.
- Le processus de certification peut être automatisé grâce à des contrats intelligents. Par exemple – si nous comprenons bien – la réussite au test en ligne qui clos une formation peut déclencher automatiquement la délivrance de la certification.
La fiabilité de la vérification des diplômes, mais aussi des antécédents professionnels, est illustrée par ce diagramme dans le rapport :
Source : Tomorrow Theory / Mazars, « Blockchain & RH”
Pour le suivi des présences en formation
De la même manière, la blockchain peut être utilisée pour gérer les preuves de présence, avec les trois mêmes avantages que pour la certification de compétences :
- Elle rend impossibles les fausses déclarations de présence ;
- Elle permet une consultation facile du registre des présences ;
- Elle peut déclencher des actions automatisées en lien avec la vérification de présence (par exemple, l’actualisation du dossier professionnel du collaborateur, de son CV, de son profil dans la solution de gestion de compétences…).
Pour l’attribution et la portabilité d’open badges
Suivant la même logique, la blockchain peut faciliter la délivrance et renforcer la crédibilité des open badges, ces certificats numériques qui peuvent être utilisés pour attester une variété d’événements ou de caractéristiques : avoir participé à telle formation ou atelier, avoir piloté tel type de projet, avoir atteint tels KPI dans telle activité… Une infrastructure blockchain sécurise les certificats, et peut aussi faciliter leur portabilité tout au long de la carrière professionnelle du collaborateur.
Au-delà de ces trois usages, la blockchain peut encore faciliter la mobilité interne des collaborateurs, en permettant une cartographie certifiée des compétences présentes dans l’entreprise.
Un cas d’usage fictif et futuriste
Toutes ces fonctionnalités, nous semble-t-il, peuvent exister dans un système traditionnel centralisé, et il n’est pas toujours évident de comprendre ce que la blockchain apportera concrètement. Le rapport Tomorrow Theory nous y aide en proposant un cas d’usage fictif, situé en 2040.
À cette époque, « le paysage professionnel a été transformé de manière radicale par l’adoption universelle de la technologie blockchain, non seulement comme un moyen de certifier et de documenter les compétences, mais aussi comme un outil pour gamifier et enrichir l’expérience d’apprentissage et de développement professionnel. »
Analyser et « visibiliser » en continu les compétences acquises
Dans ce contexte, Alex, un professionnel d’un métier non spécifié, est appelé à gérer un projet. Tout au long de sa mission, une IA intégrée à l’infrastructure blockchain analyse toutes ses actions et les traduit en compétences acquises. Celles-ci lui permettent d’acquérir automatiquement des « NFT de compétences », dont la combinaison finit par dessiner « une ‘super compétence’, symbolisant la maîtrise d’un domaine spécifique. »
Dans cet exemple, il semble que le rôle innovant soit surtout joué par l’IA, qui va permettre de déduire automatiquement des compétences transférables des tâches accomplies, et ainsi rendre l’expérience professionnelle communicable et valorisable. La blockchain intervient surtout, si nous comprenons bien, pour sécuriser et fiabiliser le système.
Récompenser la compétence
Parallèlement à ce processus de certification permanent, les NFT de compétences et autres open badges délivrés lors de formation ou d’événements peuvent déclencher automatiquement des récompenses : opportunités de promotion, accès à certains projets, voire monétisation. Le fait que l’ensemble des entreprises utiliseront le même standard permettra de valoriser les badges tout au long de la carrière.
Ce système de récompenses et d’incitations permanentes, par ailleurs, favorise une gamification des apprentissages et une culture de l’apprenance.
Recruter sur compétences
Pour recruter, Myriam, responsable RH de la même entreprise, accède à une base de données mondiale de talents dans laquelle elle peut rechercher des profils par compétences, et vérifier celles-ci via les NFT. « Les entretiens d’embauche, désormais, se concentrent moins sur la vérification des compétences déclarées et plus sur l’alignement des valeurs et des visions futures. »
L’avenir dessiné ici doit beaucoup au mariage de l’IA et de la blockchain. Le non-spécialiste peut se demander dans quelle mesure la seconde est indispensable pour faire advenir ces transformations. Par exemple, le passeport de compétences et le portail diplome.gouv.fr montrent qu’une organisation centralisée peut également certifier numériquement l’authenticité d’un titre. Mais la blockchain peut visiblement permettre d’aller plus loin, notamment en certifiant au fil de l’eau l’acquisition de compétences via la formation ou l’expérience, de manière continue et infalsifiable, et en automatisant un certain nombre de processus.
La blockchain apparaît d’abord comme une modalité technique du stockage de données et de la certification d’authenticité. On ne peut s’empêcher de se demander en quoi la technologie de stockage utilisée devrait concerner les utilisateurs finaux : ne s’agirait-il pas davantage d’une question propre à la DSI ? Le rapport consacre cependant toute une partie à la nécessité de former l’ensemble des collaborateurs au fonctionnement et aux concepts sous-jacents de la blockchain. Cela pourrait s’avérer un obstacle important dans le déploiement de solutions nouvelles fondées sur cette technologie. Pour que ces outils soient adoptés, il faudrait peut-être que leur rapport coût d’investissement cognitif / bénéfice concret soit un peu plus manifestement positif pour les utilisateurs. Mais peut-être l’évolution de la culture collective sur ces sujets rendra-t-elle nos réserves caduques.
Un point est cependant certain : pour le DRH et le responsable formation, il est essentiel de se faire une culture sur le sujet pour être en mesure de comprendre et choisir les solutions fondées sur la blockchain que propose et va proposer le marché.
Crédit photo : Shutterstock / PopTika
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