La formation professionnelle continue n’a jamais fait partie des grands thèmes de campagne populaires et mobilisateurs. Pour autant, elle est souvent invoquée, de façon consensuelle, comme levier de développement social et économique. De ce fait, on la retrouve généralement dans les programmes, rattachée à diverses rubriques. Fonction complexe et mal connue, aussi bien perçue dans sa finalité que décriée dans sa mise en œuvre, elle fait souvent l’objet de propositions très générales et peu spécifiques. A présent que les candidats à l’élection présidentielle de 2017 sont tous identifiés, nous avons fait le tour des programmes.
La formation professionnelle, un thème consensuel mais peu mobilisateur
Le programme électoral est un exercice délicat. Il consiste souvent à décrire, sur une série de thèmes fortement mobilisateurs, une situation dysfonctionnelle en termes simples, pour ensuite énoncer la solution non moins simple qui y mettra fin. La formation professionnelle continue se prête assez mal à cette dramaturgie : le sujet est complexe et ne touche pas à une préoccupation immédiate et quotidienne de la majorité des Français. De plus, il relève en grande partie de l’initiative des partenaires sociaux, qu’il est sans doute inutile de se mettre à dos en période électorale.
Pour autant, le sujet fait largement consensus dans les discours : on évoque volontiers le rôle fondamental de la formation à l’heure de la société de la connaissance, pour sécuriser ou dynamiser les parcours professionnels, pour améliorer la compétitivité des entreprises. Dans le même temps, on critique volontiers le système, sa complexité, son financement. Mais ces prises de position ne se traduisent pas toujours par des propositions concrètes.
Si l’on regarde en arrière, on constate que la formation occupe une place très significative dans l’activité réformatrice du quinquennat Hollande : loi du 5 mars 2014 avec la fin de l’imputabilité, la création du Compte personnel de formation, la reconfiguration de l’écosystème de financement (notamment la fusion des Opca), le contrôle qualité, sans oublier les nouveautés formation des lois ultérieures, notamment la loi Travail, avec la création du CPA…
Pourtant, lorsqu’on se reporte aux « 60 engagements » du candidat Hollande, la formation continue y représentait 2 phrases, occupant la moitié du 35e engagement : « Je mettrai en place, en concertation avec les partenaires sociaux, la sécurisation des parcours professionnels, pour que chaque salarié puisse se maintenir dans l’entreprise ou l’emploi et accéder à la formation professionnelle. Le financement de la formation sera concentré sur les publics les plus fragiles, les moins formés et les chômeurs. »
Il ne faut donc pas forcément s’attendre à trouver beaucoup de propositions sur le sujet dans les programmes – ce qui ne signifie pas que rien ne sera fait.
Qui en parle ?
Force est de constater, à la lecture des projets, que les grands enjeux débattus sur ce blog et ailleurs – nature du CPA, circuits de financement, organisation du marché de la formation, labellisation qualité… – n’ont pas mobilisé les experts et les rédacteurs qui les ont conçus.
La principale exception est… Jacques Cheminade, qui est parmi les candidats celui qui consacre le plus d’attention à la formation professionnelle (3900 signes). Au sein, il est vrai, d’un programme global particulièrement long et détaillé. Il souhaite contrôler davantage les organismes de formation, mentionne les missions du FPSPP et le CPA, sur la base duquel il construirait un vaste « service public de l’emploi et de la formation à guichet unique ». Il est aussi le seul à avoir une entrée spécifiquement dédiée à la formation.
Parmi les favoris, c’est Emmanuel Macron qui parle le plus du sujet : près de 3000 signes dans un programme pourtant sensiblement plus court que les autres. Chez les autres candidats principaux, on est autour de 500, sauf chez Marine Le Pen (83). Difficile cependant de calculer des ratios par rapport aux textes dans leur entier : ceux-ci sont formalisés de façons très différentes (du pdf unique au réseau de pages web imbriquées).
Pour être juste, il faut reconnaître que les candidats, dans l’ensemble, saupoudrent volontiers de la formation au gré des différents thèmes de campagne – signe qu’elle est clairement identifiée comme un levier d’action pertinent. Handicap, retour de congé familial, enseignement, police… Les programmes parlent souvent de « développer » ou « favoriser » la formation dans tel ou tel domaine, en complément d’autres actions. Le plus souvent sans autre précision.
(Les candidats sont rangés dans l’ordre alphabétique. Seuls ont été retenus les passages traitant spécifiquement du système de formation professionnelle, hors propositions ponctuelles du type « favoriser la formation dans tel ou tel secteur ». Ceux qui n’en parlent pas ou presque, comme Nathalie Arthaud, François Asselineau, Nicolas Dupont-Aignan, Jean Lassalle ou Philippe Poutou, n’apparaissent pas dans le graphique).
Pour dire quoi ?
Les propositions des principaux candidats (dans l’ordre alphabétique) sont les suivantes :
- Pour François Fillon, le système « ne remplit pas parfaitement son rôle d’orientation vers les secteurs porteurs ». La solution tient en un paragraphe : il faudrait « sécuriser les parcours professionnels » par la création d’un « capital formation » pour chaque Français en lieu et place des dispositifs existants (« CPF, CIF… », précise le programme). L’objectif serait notamment de « rationaliser et de débureaucratiser les fonds de la formation professionnelle ».
S’agit-il du « Capital Emploi Formation » défendu par Bertrand Martinot et Estelle Sauvat dans leur étude aux couleurs de l’Institut Montaigne ? Espérons que les débats à venir nous apportent la réponse…
- Benoît Hamon souhaite instaurer un « droit universel à la formation tout au long de la vie ». Ce droit serait mis en œuvre essentiellement par « les universités et écoles » et par « un rapprochement entre la formation continue et la formation initiale ».
Il y aurait donc, semble-t-il, développement d’une offre publique de formation professionnelle continue à partir des établissements existants de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur. Cela supposerait « d’investir dans l’ingénierie pédagogique et dans la promotion de cette offre nouvelle ».
- Marine Le Pen voudrait « rendre la formation professionnelle plus efficace, moins opaque et moins coûteuse. » Le projet de « chèque formation » financé par les contributions des entreprises, défendu jusqu’en 2012, n’apparaît plus, soit parce qu’il est abandonné, soit parce que le format choisi pour le programme de cette année est plus concis.
- Emmanuel Macron formule une série de propositions pour « créer une formation professionnelle à la hauteur » :
- Transformer « la majeure partie des contributions actuelles des entreprises pour la formation » en « droits individuels pour les actifs ». Ces droits pourraient être utilisés librement auprès des organismes de formation, sans médiation.
- Tous les organismes de formation seraient soumis à labellisation et obligation « d’afficher leurs performance », afin de permettre des choix éclairés parmi les prestataires.
- Les jeunes peu qualifiés et les chômeurs recevraient davantage de droits que les autres. 15 milliards d’euros (sur les 50 milliards du plan de relance) seraient dédiés « à l’acquisition des compétences par ceux qui en ont le plus besoin ». 1 million de jeunes et 1 million de chômeurs peu qualifiés seraient formés.
- Jean-Luc Mélenchon propose quant à lui d’inclure la formation professionnelle « dans le service public de l’enseignement professionnel ». Elle devrait être orientée vers les travailleurs peu qualifiés et les chômeurs.
Le programme paraît peu détaillé en l’état (même s’il est conçu pour être évolutif), pour un candidat qui a été secrétaire d’Etat à la formation professionnelle. Peut-être la version imprimée comporte-t-elle davantage d’éléments ?
Où en parlent-ils ?
Devant la relative carence de contenu, la situation du chapitre ou du paragraphe « formation professionnelle » dans le plan du programme peut au moins nous donner une indication de la façon dont le candidat et son équipe perçoivent le sujet.
Chez François Fillon comme chez Emmanuel Macron, la formation continue est couplée à l’assurance chômage : c’est l’angle « sécurisation » qui est retenu.
Plus précisément, chez le candidat LR, il s’agit du 3e sujet abordé, sur une quarantaine, et il figure dans la première partie « C’est urgent ».
Chez le patron de « En marche ! », on retrouve la formation continue en 2e objectif de l’entrée « Emploi, chômage et sécurité professionnelle », les thèmes étant rangés par ordre alphabétique, non de priorité.
Benoît Hamon a opté pour une présentation thématique avec des filtres, dans laquelle les différentes propositions (environ 130) sont rangées simultanément dans plusieurs catégories. Le paragraphe « Droit universel à la formation tout au long de la vie » apparaît sous les onglets « protection sociale », « travail » et « enseignement supérieur ». Il n’apparaît pas en revanche sous « économie » ou « entreprise ». Là encore, la dimension « sécurisation » est privilégiée.
Chez Marine Le Pen, la formation professionnelle est mentionnée dans un membre de phrase du 107e de ses « 144 engagements », portant sur le développement de l’alternance. Elle s’insère dans une partie intitulée « Une France qui transmet et se transmet ».
Jean-Luc Mélenchon aborde le sujet dans sa 6e partie, « Face à la régression, le progrès humain d’abord ». C’est la 4e proposition de son point 74 (sur 83 en tout dans le programme), intitulé « Qualifier tout le monde ». Le sujet est donc abordé sous l’angle plus large de la formation initiale et continue.
Une polémique sur le paritarisme
Emmanuel Macron est à ce jour le seul candidat à s’être offert le luxe d’une polémique électorale sur le système de formation professionnelle. Encore celle-ci n’a-t-elle pas monopolisé les médias grands publics. En cause : le projet d’enlever aux partenaires sociaux la gestion de la formation professionnelle. La proposition n’apparaît pas explicitement dans le programme, mais semble en découler naturellement : si les contributions des entreprises alimentent quasi exclusivement un droit personnel à la formation, utilisable librement, les Opca perdent toute utilité en matière de financement.
Mais le candidat Macron a été plus explicite : dans les colonnes du Parisien, il a notamment dénoncé le fait que « les partenaires sociaux prescrivent les formations, les dispensent et se rémunèrent sur ces fonctions » (rapporté par Les Echos). Dans un passé récent, il a également évoqué la fameuse « cagnotte » de 32 milliards d’euros dont l’utilisation opaque financerait les partenaires sociaux.
Le Copanef (Comité paritaire national de l’emploi et de la formation) et le FPSPP (Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels) se sont fendus d’un communiqué pour rappeler certaines évidences, reprises et explicitées dans plusieurs articles de presse :
- Les Opca ne peuvent en aucun cas dispenser, prescrire ou organiser de la formation, et ce depuis 1993. Ils collectent les fonds et gèrent des financements.
- Le financement du paritarisme dans la formation est très strictement encadré depuis la réforme de 2014, par le biais d’une taxe de 0,016% de la masse salariale des entreprises, gérée par un fonds dédié.
- La « cagnotte » de 32 milliards n’existe pas : selon les chiffres du Jaune Budgétaire 2017, sur 31,6 milliards dépensés en 2014 pour la formation professionnelle, 14,3 milliards proviennent des entreprises, dont environ 5,6 milliards ont transité par les Opca.
Pour le moment, les Opca apparaissent cependant menacés essentiellement par le programme d’Emmanuel Macron. François Fillon parle de « débureaucratisation », ce qui pourrait également viser les collecteurs paritaires. Les autres ne sont pas suffisamment spécifiques pour qu’on puisse en conclure quoi que ce soit sur le sujet.
On peut retenir quelques grandes tendances :
- Le principe d’un droit individuel et universel à la formation semble acquis pour tous les candidats : nul ne songe à remettre en cause le CPF, il s’agit plutôt d’aller plus loin dans la même direction.
- François Fillon et Emmanuel Macron privilégient le marché privé de la formation, assaini pour le second par un système de labels.
- Benoît Hamon, et plus encore Jean-Luc Mélenchon, misent plutôt sur un système public étatisé. C’était le cas également de Marine Le Pen en 2012 ; son programme 2017 n’est pas assez spécifique pour en juger.
Le passé a montré cependant que les programmes annoncés ne préfigurent pas nécessairement les réformes, tout particulièrement dans le domaine de la formation professionnelle. La seule leçon à retenir de l’élection, à cette date, reste donc celle d’un regain d’incertitude pour le système de formation à court et moyen terme !
Crédit illustration : Shutterstock/563821069
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2 commentaires
Et le personnel de la formation professionnelle? qui en parle?
C’est très bien de former du public pour lutter contre le chômage, mais le personnel qui forme ces publics, on y pense? Certains doivent attendre 6 ans de CDD pour obtenir un CDI, mais même ce fameux CDI, bien souvent le salaire est précaire, d’une part car il dépend des marchés publics, donc d’une année sur l’autre il peut évoluer à la hausse mais malheureusement (et bien souvent à la baisse), et d’autre part, bien souvent des stagiaires perçoivent des « rémunérations » honteusement plus élevées que le formateur (qui a des diplômes supérieurs, et qui est 40h semaine en face à face!)
Quand la baisse de salaire, il faut donc trouver un deuxième emploi pour combler cette perte de revenus et doubler la masse de travail!!!!
Mesdames et Messieurs les candidats, n’oubliez pas les formateurs de la formation pro!!!!!! ce ne sont pas des fonctionnaires, mais des salariés!!!!
Merci pour votre témoignage.
En effet, comme vous le soulignez fort justement, la question des formateurs individuels est un vaste sujet, notoirement absent des programmes. Nous l’avons évoqué notamment dans cet article, mais nous comptons l’aborder plus spécifiquement dans les semaines qui viennent.