Repères

Les aides à la reconversion professionnelle ne décollent (toujours) pas

Face aux transformations des métiers liées au changement technologique, aux évolutions démographiques et à la transition écologique, tous les acteurs s’accordent à souligner l’importance des dispositifs de formation-reconversion professionnelle. Mais malgré les annonces et les discours officiels volontaristes, force est de constater que les moyens mis à la disposition des entreprises et des collaborateurs ne sont pas ou peu utilisés.

Sommaire

Une volonté peu suivie d’effets
Le PTP stagne
Transco est resté sur la ligne de départ
La Pro-A en recul
Le FNE-Formation en sursis
Le CPF en retrait
France Travail : une dépense de formation stable à haut niveau

Une volonté peu suivie d’effets

Officiellement, tout le monde est favorable à l’accompagnement des reconversions. C’est bon pour les entreprises, qui ont besoin de former aux nouvelles compétences et de redéployer leurs collaborateurs vers de nouveaux métiers. C’est bon pour les salariés en recherche de changement ou confrontés à l’obsolescence de leurs compétences. C’est bon, également, pour l’économie dans son ensemble, en optimisant l’allocation du capital humain.

Pourtant, la reconversion professionnelle aura été l’une des principales victimes de la réforme de 2018. En divisant par deux le budget du Congé individuel de formation (Cif, devenu projet de transition professionnelle), le dispositif de financement des reconversions le plus efficace et le mieux ciblé ; et en supprimant la Période de professionnalisation, qui permettait de financer facilement des formations en alternance aux salariés en poste, pour la remplacer par le lourd système de la Pro-A ; la loi Avenir professionnel a, au moins provisoirement, diminué drastiquement le financement mutualisé des formations visant une reconversion ou un repositionnement professionnels.

La crise sanitaire a été l’occasion de faire de grandes annonces en faveur du financement des reconversions, avec la mise en place de Transco et le fléchage du FNE-Formation. Mais ces dispositifs sont loin de compenser le recul des autres. Faisons le tour des financements existants, à l’aide des chiffres du Jaune Budgétaire 2025.

 

Le PTP stagne

Le projet de transition professionnelle (PTP), ou « CPF de transition », mis en place en 2019 pour remplacer le CIF, diminue en nombre de dossiers pris en charge pour la 2e année consécutive en 2023. 17 630 formations longues ont été financées, pour un montant total de 524M€, lui aussi en baisse par rapport à 2022. Surtout, le PTP s’installe durablement à un niveau environ 2,5 fois moins élevé que le CIF supprimé en 2018, en nombre de stagiaires et en montant total. Or le PTP est l’héritier d’un dispositif éprouvé, qui cible mieux les moins qualifiés que les autres financements, et permet de financer des reconversions ambitieuses – avec, en fonction des années, des montants de 25 000 à 30 000 € en moyenne par dossier.

Chiffres : Jaunes budgétaires

 

Transco est resté sur la ligne de départ

Imaginé en 2021 dans la continuité du plan de relance, le dispositif Transco, pour « Transitions collectives », a mobilisé 338 entreprises en 2023, pour un montant de 13M€. C’est une progression nette par rapport à 2022 (255 projets et 7M€), mais cela reste très anecdotique par rapport aux enjeux et à l’enveloppe initialement prévue de 500M€. 700 salariés en ont bénéficié, pour une moyenne de 18 500 € par formation. Comme avec le PTP, la prise en charge du salaire représente une part importante du financement, et les formations concernées sont longues (maximum 2 ans).

La mise en place de Transco passe par l’élaboration d’une liste de métiers fragilisés transmise à la Dreets pour validation. Cette liste doit faire l’objet d’un accord collectif dans les entreprises de 300 salariés et plus ; ces dernières, en plus, ne bénéficient que d’une prise en charge partielle. Ce qui explique que les structures de moins de 300 salariés représentent 9 dossiers sur 10. Un dispositif bien ciblé, donc, mais peu mobilisé. Pour 2025, le Jaune annonce 8 M€ d’autorisations d’engagement.

 

La Pro-A en recul

La reconversion ou promotion par l’alternance, ou Pro-A, a reculé sensiblement en 2023, de 13 800 dossiers à moins de 10 000. Créée en 2019 après la suppression de la période de professionnalisation, elle est le seul dispositif de financement de formations en alternance qui s’adresse aux salariés en emploi. Son formalisme est beaucoup plus lourd que celui de la période de professionnalisation, puisqu’elle requiert la signature d’accords de branche. De ce fait, le nombre de salariés formés en alternance était passé de plus de 500 000 en 2018 (dernière année de la période de professionnalisation) à 0 en 2019, la Pro-A n’étant pas encore mise en place.

En 2022, le nombre de dossiers Pro-A approchait les 14 000, ce qui pouvait laisser supposer que le dispositif était en train de décoller. En réalité, l’augmentation était essentiellement due aux près de 10 000 dossiers financés dans le cadre du plan de relance. La disparition de ces financements exceptionnels a entraîné un recul sensible en nombre de dossiers (-31%) et plus encore en montant engagé (de 137 M€ à 51 M€, soit -63%). La Pro-A cible des formations plus courtes. On est passés d’environ 10 000€ par formation à environ 5 000. La période de professionnalisation, pour rappel, concernait plutôt des dossiers autour de 1 000 à 2 500€ en moyenne suivant les années.

Chiffres : Jaunes budgétaires

 

Il y a deux raisons de penser que le nombre de Pro-A pourrait malgré tout repartir à la hausse. D’abord, le nombre de dossiers non financés par le plan de relance a malgré tout plus que doublé, passant de 4080 à un peu plus de 9 000. Hors effet d’aubaine, il y a donc bien une dynamique enclenchée. Par ailleurs, au 1er juillet 2024, 204 accords de branche avaient été signés et étendus. Le champ des entreprises qui peuvent recourir à la Pro-A s’est donc agrandi. On reste cependant loin du demi-million de dossiers financés par la période de professionnalisation avant la réforme, et plus encore des enjeux en matière de reconversion des salariés.

 

Le FNE-Formation en sursis

Les fonds « formation » du Fonds National pour l’Emploi (FNE) ont été créés en 2013 dans le cadre de la politique d’accompagnement des mutations économiques. Leur vocation a donc toujours été liée à la reconversion professionnelle. Cependant, ce n’est qu’en 2020, avec la crise sanitaire, que l’Etat en a fait un véhicule d’aide d’urgence au secteur de la formation, en permettant aux entreprises de financer facilement, avec un minimum de formalités, des formations dans un grand nombre de domaines. Entre 2021 et 2022, le FNE-Formation a ainsi permis d’accompagner l’effort de formation des entreprises qui avaient des salariés en activité partielle, puis les entreprises qui pouvaient démontrer qu’elles étaient en difficulté économique.

A partir de 2023, le FNE-Formation a renoué avec sa vocation initiale d’outil de financement des mutations, en ciblant les formations en lien avec les secteurs et les entreprises affectés par les grandes transitions en cours : écologique, numérique, alimentaire/agricole.

Sur ces nouveaux thèmes, les financements exceptionnels du FNE-Formation ont continué à être mobilisés en 2023, mais à un niveau moindre qu’auparavant (235 M€ mobilisés en 2023 contre environ 280 M€ par an en moyenne en 2021-2022). 370 000 formations ont été concernées, contre 525 000 en 2022. Le nombre de dossiers est donc beaucoup plus élevé que pour les autres dispositifs, mais il s’agit en moyenne d’aides de quelques centaines d’euros par action (635€ en moyenne en 2023).

Le FNE-Formation bénéficie de façon disproportionnée aux cadres (35%) et à 46% à des salariés d’entreprises de 250 salariés et plus. Il a financé essentiellement des actions de transition numérique (51%) et écologique (39%). Pour 2024, le montant initialement voté de 192 M€ a été ramené à 96 M€ en février. Le Jaune annonce pour le moment 100 M€ pour 2025. L’effort aura donc été significatif, mais il ne semble pas que le dispositif soit parti pour s’inscrire dans la durée.

 

Le CPF en retrait

En définitive, le principal outil de financement mobilisé par les salariés reste le compte professionnel de formation (CPF). Rien ne permet de savoir quelle part des dossiers correspond à des actions de reconversions, mais on peut supposer que dans la plupart des cas, il s’agit bien d’améliorer l’employabilité, même quand il s’agit du permis de conduire (25% des dossiers ene 2023 contre 19% en 2022).

En 2023, le CPF a contribué au financement d’un peu plus d’1,3 million d’actions de formation, dont 923 000 pour les salariés. C’est un net recul par rapport aux 1,8 million dont près de 1,3 million de salariés de 2022. Une année qui a marqué le sommet de la dépense CPF avec 2,6 Mds€ dépensés contre un peu moins de 2,1 Mds€ en 2023. Les actions mises en place pour maîtriser le coût du CPF ont donc été efficaces.


Chiffres : Jaunes budgétaires

France Travail : une dépense de formation stable à haut niveau

En définitive, le principal financeur des reconversions reste sans doute France Travail. A travers les aides à la préparation à l’emploi (POEI, POEC…), des demandeurs d’emploi sont bien « reconvertis » en salariés opérationnels, souvent dans un nouveau domaine. Les formations financées à la demande des allocataires visent généralement une remise à niveau ou une reconversion. L’accompagnement formation des contrats de sécurisation professionnelle et des contrats de reclassement poursuit le même genre d’objectifs.

Il est difficile de mesurer précisément quelle part de la dépense de formation de France Travail contribue à la reconversion des salariés, mais il s’agit à n’en pas douter d’une proportion importante. Or, la dépense de formation pour les demandeurs d’emploi a considérablement augmenté au cours des dernières années. Elle est ainsi passée de 1,9 M€ en 2015 à 3,9 M€ en 2021, pour rester à peu près à ce niveau depuis.

Chiffres : Jaunes budgétaires

 

Avec les aides de France Travail et une partie du CPF, il semble donc que l’essentiel de l’aide à la reconversion professionnelle intervienne entre deux emplois – ce qui n’a rien d’illogique en soi.

 

Dans le contexte actuel de contraction budgétaire, il est peu probable que la refonte des outils de reconversion professionnelle évoquée par les partenaires sociaux et les pouvoirs publics, si tant est qu’une telle refonte se produise, se traduiront par un accroissement de l’effort financier. Mais la transformation des métiers va dans tous les cas se poursuivre, et il faudra bien en financer le volet « formation ». Depuis 2018, les dispositifs d’aide à la reconversion des salariés en poste ont perdu du terrain, au profit de l’accompagnement des demandeurs d’emploi. Qui fournira l’effort dans les entreprises ? En grande partie, les entreprises elles-mêmes, certainement. La complexité des dispositifs de financement public ou mutualisé les rend peu attractifs. Les organisations prennent donc leurs responsabilités et investissent. Le recul des dépenses de formation en 2023 pourrait en faire douter ; mais sur le moyen terme, l’augmentation considérable de la part des entreprises dans le financement de la formation depuis 2015 est sans ambiguïté : les acteurs économiques ont d’ores et déjà entreprise de financer eux-mêmes la transformation des compétences.

Crédit photo : Shutterstock / WR7

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