Au moins 60% de salariés qui suivent une formation chaque année : c’est l’objectif qu’ont fixé, pour 2030, les institutions de l’Union européenne aux pays membres lors du sommet social de Porto, en mai 2021. La présidence française de l’Union, entre janvier et juin 2022, portera cette thématique, en examinant notamment la question des « comptes individuels de formation » européens. A quoi peut-on s’attendre, concrètement, au cours des mois à venir ?
« Faire de l’Europe une puissance démocratique, culturelle et éducative » : ce sont les termes employés par le président de la République lors de sa brève allocution du 19 janvier 2022 devant le Parlement européen, à l’occasion du lancement de la présidence française de l’UE. S’il n’a pas évoqué explicitement la formation professionnelle dans son discours, il n’en a pas moins souligné l’importance de la connaissance et des compétences face aux enjeux climatiques et numériques.
En amont de cette intervention, un document précise les grandes orientations de la présidence française de l’UE. Il y est précisé que « La présidence française portera dans ce cadre une attention particulière aux enjeux de formation tout au long de la vie, de transitions professionnelles et de dialogue social, notamment à l’occasion du Sommet social tripartite, pour accompagner les mutations liées aux transitions numérique et climatique. » Par ailleurs, la présidence « travaillera à l’adoption par le Conseil des recommandations sur les comptes individuels de formation, sur l’impact social et sur le marché du travail de la transition climatique ».
De quoi s’agit-il ? Revenons un peu en arrière. La Commission européenne a évoqué le principe de ces comptes dans une communication aux autres institutions européennes en date du 1er juillet 2020, intitulée « stratégie européenne en matière de compétences en faveur de la compétitivité durable, de l’équité sociale et de la résilience » (c’est la mise à jour d’un texte adopté en 2016). Il s’agirait de recommander à l’ensemble des pays d’adopter des comptes individuels de formation, entendus comme des droits à financement attachés à la personne et transférables d’un poste à l’autre.
La communication de la Commission est extrêmement prudente : il s’agira d’examiner « la manière dont une éventuelle initiative européenne sur les comptes de formation individuels pourrait contribuer à combler les lacunes constatées dans l’accès à la formation des adultes… » Le texte mentionne le CPF français, pour remarquer qu’il est financé par une contribution des employeurs, tandis que le système alors envisagé par les Pays-Bas repose sur un financement public. Surtout, souligne la Commission, il ne faut pas nuire aux PME. On en déduit que quelle que soit l’initiative prise par les institutions européennes, il y a peu de chances pour que le modèle français de financement par les entreprises soit pris pour modèle.
La Foundation for European Progressive Studies (FEPS), fédération de think tanks européens, et l’Institut Delors, autre think tank d’études européennes créé par Jacques Delors en 1996, ont publié un rapport (résumé ici) en décembre 2020 sur le sujet, puis une brève étude en avril 2021. (Remarque : l’Institut Jacques Delors ne fait pas partie de la FEPS, c’est l’Institut Jean-Jaurès qui représente la France au sein de cette dernière).
La FEPS et l’Institut Jacques Delors souhaitent pousser plus loin la logique esquissée par la Commission. Ils poussent à une « Recommandation » de l’UE en faveur d’un droit individuel à la formation qui conduirait à la mise en place, dans chaque pays, de « comptes de formation individuels ». Dans l’idéal, on se dirigerait :
L’Autorité Européenne du Travail certifierait les formations accessibles. Il s’agirait peu ou prou de l’extension à l’Europe du système français, avec un compte formation mobilisable par l’individu côté demande, un système de labellisation de la qualité côté offre.
La proposition de la FEPS s’échelonne en 3 étapes :
Pour le moment, seule la première étape est véritablement à l’ordre du jour.
Les préconisations de la FEPS ont été défendues lors du sommet social européen de Porto, qui s’est tenu les 7 et 8 mai 2021 au cours de la présidence portugaise, réunissant l’ensemble des institutions européennes.
La stratégie européenne des compétences telle qu’amendée en 2020 avait fixé pour objectif que 50% des salariés européens aient suivi une formation au cours des 12 mois précédents à l’horizon 2025. Le sommet social de Porto a ajouté un nouvel objectif : 60% de salariés formés dans les 12 derniers mois en 2030.
La moyenne européenne, en 2016, était de 38%, la France se situant autour de 48%, soit assez proche de l’objectif pour 2025. Seuls 5 pays dépassaient déjà celui-ci (Suède, Pays-Bas, Autriche, Hongrie, Finlande). Aucun pays n’atteignait cependant l’objectif fixé pour 2030.
Pour atteindre ces objectifs, la Commission européenne a récemment proposé deux recommandations le 10 décembre 2021. L’une des deux recommandations s’inspire des propositions de la FEPS et de l’Institut Jacques Delors, sans aller aussi loin. Elle enjoint les États à « créer des comptes de formation individuels pour tous les adultes en âge de travailler et les alimenter avec des droits à la formation ». Parallèlement, elle suggère la création d’un « catalogue numérique […] de formations de qualité, adaptées au marché du travail » finançables via les comptes individuels.
L’autre recommandation porte sur un système de microcertifications qui permettrait de certifier des compétences très précises de façon transeuropéenne.
La proposition de recommandation, en l’état, ne contient pas de dates butoir ni de mécanismes contraignants. L’outil juridique même, la Recommandation, ne crée pas d’obligation pour les États. La présidence française saura-t-elle se saisir de la proposition de la Commission pour en faire un véritable outil de convergence des systèmes de formation, au bénéfice des salariés et des entreprises ?
Les obstacles sont nombreux. Le financement en est un, bien sûr. La diversité des systèmes européens et la complexité des relations entre États en sont d’autres. L’obstacle principal, cependant, est légal : il ne semble pas que l’Union, sur ce point, puisse allerplus loin qu’une Recommandation. Certes, la Charte des droits fondamentaux de l’UE précise que « toute personne a droit à l’éducation, ainsi qu’à l’accès à la formation professionnelle et continue ». Et le traité fondateur de l’UE prévoit que le « États membres et l’Union s’attachent […] à élaborer une stratégie coordonnée pour l’emploi et en particulier à promouvoir une main-d’œuvre qualifiée, formée et susceptible de s’adapter ». Mais la formation ne fait pas partie des domaines sur lesquels l’UE est habilitée à légiférer : elle ne peut intervenir qu’en soutien aux États membres.
Le CPF européen, cependant, a un atout important pour lui : l’idée de façonner le marché de la formation par le biais d’une demande décentralisée et d’une offre certifiée correspond assez bien à la culture économique et sociale qui a cours à Bruxelles et inspire les accords européens. Le potentiel transformateur du CPF sur le marché de la formation est tout à fait susceptible de séduire les institutions européennes, avec le calcul selon lequel, si tous les salariés européens disposaient d’une ressource financière à dépenser, l’offre de formation pourrait progressivement s’uniformiser entre les différents pays.
La formation pourrait, pourquoi pas, bénéficier à l’échelle de l’Union de ce qui l’a souvent fait progresser en France : le fait d’être un sujet relativement consensuel et loin des projecteurs, qui permet de faire des avancées concrètes quand les autres chantiers sont bloqués.
Que va-t-il se passer, concrètement, en matière de formation professionnelle au cours de la présidence européenne ? Rien, assurément, qui aura des conséquences immédiates sur la vie des entreprises françaises et européennes. Il est possible, cependant, que la feuille de route ambitieuse de la présidence française débouche sur un mouvement de convergence entre les systèmes de formation professionnelle. Pour les entreprises qui disposent de filiales dans différents pays européens, cela pourrait représenter une évolution très positive et faciliter les politiques globales de développement des compétences.
Crédit photo : Shutterstock / Pavlo Lys
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