On le pressentait, et des études partielles le laissaient entendre. Avec la parution du Jaune budgétaire 2022, c’est à présent officiel : la crise sanitaire s’est bien traduite, en 2020, par un recul de la dépense de formation. Si les aides publiques, en particulier en direction de l’apprentissage, ont permis de limiter globalement la baisse, les principales victimes de ce recul sont les salariés du privé. Par ailleurs, à périmètre égal, le chiffre d’affaires des organismes de formation a reculé de 12 %. L’influence de la réforme et celle de la crise sanitaire se combinent pour expliquer ces évolutions.
Comme chaque année, le gouvernement diffuse à l’automne la série des Jaunes budgétaires pour éclairer le projet de loi des Finances pour l’année à venir. Le Jaune 2022 consacré à la formation professionnelle a ainsi été publié le 28 octobre. Avec une bonne surprise : le document contient à la fois les données de 2019 et celles de 2020. Habituellement, les chiffres sont ceux de l’année « N-2 ». Le Jaune 2021, paru en 2020, nous renseignait essentiellement sur la situation de 2018. Celui de 2022 nous permet de suivre l’évolution sur deux années supplémentaires au lieu d’une seule, et nous amène à fin 2020. La réduction du décalage entre analyse des données et décision politique constitue déjà en soi une bonne nouvelle.
En revanche, les données concernant la formation des agents publics par les fonctions publiques ne sont pas encore disponibles. De ce fait, les chiffres de la dépense globale pour la formation professionnelle sont incomplets, et ne peuvent être comparés aux années précédentes.
Avec le Jaune 2021, nous étions restés sur une hausse de la dépense intermédiée des entreprises (celle qui transite par les Opca/Opco) pour 2018, la dernière année du système de formation tel qu’il existait avant l’entrée en vigueur de la réforme du 5 septembre 2018.
Les années 2019 et 2020 ont vu une baisse significative de la dépense des entreprises qui transite par les Opco : en partant de 8,4 milliards d’euros en 2018, on passe à 7,2 milliards en 2019, puis 6,8 milliards en 2020, soit presque -20 % en deux ans, et -5,7% par rapport à 2019. En valeur absolue, la dépense désintermédiée des entreprises est presque revenue au niveau de 2007. En part du PIB, elle est même en-dessous (0,29 %). Les effets de la réforme se combinent à ceux de la crise sanitaire pour expliquer ce résultat.
Chiffres : Jaunes Budgétaires 2010-2022, Insee
Il est difficile de séparer précisément les deux effets. Une grande partie de la baisse peut cependant s’expliquer par la réforme, avec des mouvements croisés :
L’impact de la crise semble donc à première vue minoritaire dans la baisse des dépenses désintermédiées, mais représente au moins 340 M€, au détriment des salariés des entreprises privées de moins de 50 salariés.
L’analyse de la dépense des Opco peut donner l’impression que la baisse de financement de la formation des salariés est essentiellement comptable. Ce n’est pas le cas. D’abord parce que la dépense des Opco ne cible pas uniquement les salariés. Par ailleurs, on constate que si la dépense globale de formation (tous financeurs confondus) se maintient à peu près en 2020 (-2,4 % par rapport à 2019, -4,1 % sur deux ans), les différents publics bénéficiaires connaissent des évolutions divergentes :
Chiffres : Jaune budgétaire 2022
Le recul des financements dédiés aux salariés s’est opéré en deux temps. Une première baisse de 736 M€ a eu lieu en 2019, liée essentiellement à la réforme (fin des financements aux entreprises de 50 à 300 salariés, de la période de professionnalisation, retard au démarrage de la Pro-A…). La seconde marche est la plus haute : -942 M€ entre 2019 et 2020. Alors que les salariés recevaient davantage de financements que les demandeurs d’emploi en 2018, ils en captent désormais un tiers de moins.
Attention cependant : ces chiffres ne comprennent pas la dépense directe des entreprises, c’est-à-dire les achats de formation sans financement extérieur. Les données des bilans pédagogiques et financiers (BPF) des organismes de formation permettent d’en savoir davantage sur la santé générale du secteur de la formation.
Selon les chiffres issus de l’analyse des BPF, les entrées en formation des salariés ont chuté de 17,6 % en 2020, passant de 18,2 à 15 millions. Une partie de cette baisse proviendrait-elle de la conversion partielle de l’offre de professionnalisation en apprentissage ? Le document ne le précise pas, mais il est possible que les jeunes embauchés en contrat de professionnalisation soient comptabilisés comme « salariés » et les apprentis comme « jeunes ». La baisse pourrait donc marginalement s’expliquer par un effet de substitution. Cependant, si l’effet existe, il est sans doute relativement faible : les entrées globales en formation, tous publics confondus, ont elles aussi fondu, de 28,3 à 24,3 millions.
Chiffres : Jaune budgétaire 2022
Dans le même temps, cependant, la dépense directe des entreprises auprès des organismes de formation a elle aussi baissé de 20 %, à 4,1 milliards d’euros. Les dépenses des entreprises gérées en subrogation par les Opco (hors alternance) se sont effondrées de plus d’1 milliard d’euros, à 616 M€. Les paiements directs et indirects des entreprises aux prestataires de formation (achats + subrogation) sont donc passés de 6,9 à 4,7 milliards d’euros. Bien sûr, ces chiffres ne mesurent pas la formation interne délivrée par les entreprises pour ses salariés en faisant appel à des collaborateurs : il est possible que cette dernière ait progressé en compensation, mais elle est beaucoup plus difficile à mesurer.
Chiffres : Jaune budgétaire 2022
Ces chiffres se répercutent, logiquement, du côté des organismes de formation. Le chiffre d’affaires de ceux-ci a légèrement augmenté (de 17,1 à 17,3 milliards), mais il s’agit d’un trompe-l’œil : les chiffres de 2020 intègrent une part croissante de la dépense d’apprentissage, les CFA ayant commencé dès 2019 à entrer progressivement dans le champ des organismes de formation, via la demande obligatoire de numéro de déclaration d’activité. La part de l’apprentissage progresse donc considérablement dans le chiffre d’affaires global : 660 M€ en 2019, près de 2,8 milliards en 2020. Même si l’apprentissage a effectivement progressé, il était précédemment compté séparément. À périmètre constant, en excluant l’apprentissage, les ventes des organismes de formation ont en réalité reculé de 16,5 à 14,55 milliards d’euros, soit une baisse de 12 %.
Chiffres : Jaune budgétaire 2022
Une partie de cette différence peut cependant provenir d’organismes de formation « convertis » à l’apprentissage, qui auraient peut-être vendu à peu près le même volume en professionnalisation en l’absence de réforme. Il est difficile de le savoir.
Le recul du chiffre d’affaires global de la formation a plus particulièrement affecté les organismes privés à but lucratif (-9 % du total en 2 ans), au profit des organismes privés à but non lucratif (+6 %) et des organismes publics et parapublics (+1,8 %). Ce résultat est cohérent avec la part croissante des financements fléchés vers les demandeurs d’emploi. Ceux-ci ont été soutenus par les politiques publiques anti-crise et leur formation est plus souvent confiée au public ou à l’associatif.
Les ressources des Opco issues de la collecte reculent de 4,3 % en 2020, après une baisse de 9 % en 2019.
De manière un peu contre-intuitive, la collecte obligatoire de la part « formation continue » de la contribution (le 1 %) se maintient en 2020, malgré la crise, et connaît même une progression de 3,5 % à 5,4 milliards d’euros. Vu l’ampleur du recours à l’activité partielle (qui ne donne pas lieu à contribution formation), et s’agissant de la collecte sur la masse salariale 2020, en pleine crise, on se serait attendu à un résultat plus dégradé. Le détail des contributions perçues par les différents Opco donne un aperçu sectoriel de l’évolution économique au cours de la crise sanitaire :
Chiffres : Jaune budgétaire 2022
Si la collecte obligatoire se maintient en moyenne, la collecte totale diminue en raison de l’effondrement des versements volontaires. L’augmentation des versements conventionnels ne compense pas cette baisse de 44 % (de 1,3 milliards à 738 M€). La crise se sera donc traduite par une désaffection importante des entreprises pour les services non obligatoires des Opco – un résultat que l’on retrouve dans la chute des montants gérés en subrogation.
La transition entre le système antérieur à la réforme de 2018 et le système actuel rend difficile à lire et à comparer les données relatives à la formation professionnelle et à l’apprentissage. Pour autant, il semble clair qu’après une année 2019 déjà en retrait (comme beaucoup d’années post-réformes), l’année 2020 a marqué un recul important de l’activité de formation. S’agit-il d’une tendance longue, ou d’une simple conséquence de la crise sanitaire ? La reprise de l’année 2021 inversera-t-elle le mouvement ? Si les prochains Jaunes pérennisent l’avancée réalisée dans le millésime 2022 et contiennent bien les données de 2021, nous le saurons dans un an.
Crédit photo : Shutterstock / ITTIGallery
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