Les salariés des sous-traitants sont moins fréquemment formés que ceux des autres entreprises, selon une étude du Céreq de 2020. Une réalité préoccupante, à rapprocher du déficit de compétences des salariés des TPE-PME françaises. D’autant que les relations commerciales entre sociétés différentes laissent parfois, dans d’autres contextes, la place à des financements de formation interentreprises. Analyse et pistes de solutions.
Le Céreq s’est penché l’année dernière sur la formation des salariés des entreprises sous-traitantes. L’enquête utilise les données de Défis, qui réunit les parcours de 16 000 salariés dans 4 500 entreprises, sur la période 2014-2019. Elle distingue :
L’étude ne différencie pas vraiment sous-traitance et externalisation. Elle définit le donneur d’ordre par « le fait qu’il a externalisé une partie de ses activités », et le sous-traitant comme « une entreprise dont la part la plus importante du chiffre d’affaires dépend d’un nombre restreint de gros clients ».
Le constat est très net :
Toutes ces données sont calculées « toutes choses égales par ailleurs ». Le déficit de formation chez les sous-traitants est donc sensible même sans tenir compte du fait que ces entreprises sont en moyenne de plus petite taille que les donneurs d’ordre et comptent moins de cadres dans leurs effectifs – deux facteurs de moindre accès à la formation.
En clair, au sein des filières de production françaises, les salariés situés le plus loin dans la chaîne de sous-traitance sont moins bien formés que ceux des entreprises « têtes de réseau ». Cela soulève une double difficulté :
Le moindre accès des salariés les moins qualifiés à la formation continue à représenter un handicap pour notre économie et un défi social. La réforme de 2018 a été conçue pour combler cette déficience.
Un rapport de l’Assemblée nationale de juin 2019 souligne l’importance de renforcer la qualité des relations de sous-traitance dans les secteurs industriels. Selon l’analyse des rapporteurs, la « digitalisation du secteur industriel » est une « priorité stratégique pour la compétitivité de l’industrie française », et requiert donc une montée en compétences numériques de l’ensemble des salariés impliqués. Ils estiment que « les salariés doivent développer des compétences transversales adaptées au numérique en plus de leurs compétences techniques, ce qui nécessite la mise en place de formations spécifiques par les entreprises industrielles. »
Quels sont les recours juridiques des entreprises sous-traitantes et de leurs salariés en matière de formation ? Les salariés des sous-traitants bénéficient en principe d’un régime assez protecteur, les donneurs d’ordre étant soumis à un certain nombre d’obligations à leur égard. Ils ont notamment l’obligation de vérifier que les sous-traitants sont à jour de leurs obligations sociales et respectent bien le salaire minimum. Et si un inspecteur ou un contrôleur du travail l’informe que l’un de ses sous-traitants enfreint la législation du travail ou la convention collective dans un certain nombre de domaines, il doit l’enjoindre par écrit de mettre fin à cette situation.
Curieusement, cependant, le respect des obligations en matière de formation ne fait pas partie de cette liste. Le donneur d’ordre n’a, en réalité, aucune contrainte en matière de formation des salariés de ses sous-traitants. Et de toute façon, il semble que cette législation soit assez peu appliquée.
Comment rétablir l’équilibre des compétences dans les filières intégrées ? Curieusement, le rapport de l’Assemblée nationale cité plus haut ne comporte aucune proposition centrée sur la formation, et n’envisage rien de précis dans ce domaine. On peut pourtant imaginer au moins trois types de solutions : la piste juridique, la piste sectorielle, la piste des financements mutualisés.
Une première possibilité consisterait à étendre à la formation professionnelle l’obligation de vigilance des donneurs d’ordre. Ceux-ci seraient plus ou moins responsables du respect par leurs sous-traitants des obligations de formation – en particulier, l’organisation des entretiens professionnels et le financement d’au moins une formation non obligatoire par salarié tous les 6 ans.
Outre qu’une telle mesure risquerait d’être aussi peu appliquée que celles qui existent déjà pour les autres types d’obligations sociales des sous-traitants, elle ne résoudrait pas le problème du financement, pourtant central. Le rapport de l’Assemblée nationale souligne un sous-investissement des entreprises industrielles dans les équipements nouveaux, et l’explique par la faiblesse des marges de ces entreprises. L’étude du Céreq montre que les sous-traitants consacrent moins de ressources que les autres entreprises à la formation. Il est peu probable que ces employeurs se mettraient à former leurs salariés à tour de bras dès lors que leurs donneurs d’ordre leur feraient les gros yeux : la rareté des ressources les en empêcherait.
Une autre piste juridique serait alors d’associer, à l’obligation de vigilance, une obligation de financement de la formation des salariés des sous-traitants par les donneurs d’ordre. Le financement du développement des compétences se calculerait à l’échelle de l’entreprise élargie. Une telle mesure supposerait une ingénierie juridico-financière difficile à mettre en place – et à faire accepter – mais permettrait une solution décentralisée, apportant les ressources au plus près des besoins.
Le rééquilibrage peut également se concevoir à l’échelle des secteurs d’activité, par l’intermédiaire d’accords de branches appuyées par les Opco, par exemple. Le rapport de l’Assemblée nationale fait allusion à des initiatives de ce type : « Certaines filières construisent des outils de formation pour aider leurs sous-traitants à monter en compétence. »
Ces solutions de branche peuvent fonctionner si les entreprises sous-traitantes accèdent facilement à des solutions financées ; de simples campagnes de sensibilisation seraient insuffisantes.
Le système de formation professionnelle pourrait enfin flécher des financements en direction des salariés des entreprises sous-traitantes, d’une manière ou d’une autre. Par exemple par le biais d’abondements du CPF des collaborateurs concernés – que ces abondements proviennent de l’Etat, de Pôle emploi, de l’Opco ou du donneur d’ordre.
En favorisant les petites entreprises et les salariés les moins qualifiés, la réforme de 2018 fournit déjà potentiellement des outils pour amener la formation aux entreprises sous-traitantes. Une chose est sûre : il est essentiel d’envisager globalement la question des compétences au sein des filières, à travers la chaîne de production. Après tout, dans les réseaux de franchise, il n’est pas rare que l’enseigne finance des formations continues pour les salariés de ses franchisés. Ce qui se fait vers l’aval (la commercialisation via le réseau de franchise) ne pourrait-il pas se concevoir vers l’amont (la chaîne des sous-traitants), d’une manière ou d’une autre ?
Crédit photo : Shutterstock / Gaston Botoshansky
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