On a coutume de considérer que l’année suivant une réforme de la formation professionnelle est, sinon sacrifiée, du moins marquée par un ralentissement du marché de la formation. Les institutions chercheraient leurs marques, les entreprises attendraient de voir, et les organismes de formation en pâtiraient. Qu’en est-il en réalité ? Nous avons essayé de chiffrer le phénomène, ne serait-ce que pour anticiper 2019.
Les réformes de la formation professionnelle nuisent-elles, à court terme, à la formation professionnelle ? Dans un pays où lesdites réformes se suivent au rythme d’environ une tous les 4 ou 5 ans, la question est loin d’être anodine. Pour mesurer la réalité de ce phénomène, nous disposons des données contenues dans les Jaunes budgétaires, disponibles en ligne depuis l’édition 2001 (portant sur les données 1998). Malheureusement, le périmètre des chiffres a changé plusieurs fois, ce qui rend les comparaisons parfois difficiles. Il est possible cependant de reconstituer l’évolution dans ses grandes lignes.
L’indicateur le plus facile à suivre reste le chiffre d’affaires total des prestataires de formation. Les Jaunes successifs ont changé de périmètre de référence au fil du temps, mais entre 2003 et 2017 (correspondant aux Jaunes 2006 à 2020), ils nous livrent la donnée la plus large, à savoir le chiffre d’affaires cumulé de l’intégralité des organismes qui ont délivré de la formation au cours de l’année, que ce soit leur activité principale ou non. Ces données incluent les dépenses directes des entreprises, mais aussi celles des institutions publiques et des particuliers.
Graphique 1 (source : Insee, Jaunes budgétaires – chiffre 2015 manquant)
Sur le graphique ci-dessus (et sur les suivants), les traits verticaux signalent les années de réformes :
Premier constat : le chiffre d’affaires des organismes de formation n’a pas cessé de croître depuis le début des années 2000, passant d’un peu moins de 8 milliards d’euros en 2003 à près de 15 milliards en 2017 (en euros courants). La remarque reste vraie si on considère ce montant en pourcentage du PIB (de 0,49% à 0,65%, soit une augmentation de près d’un tiers) (voir graphique 2 ci-dessous).
Peut-on déceler un impact des réformes ?
De fait, la courbe s’infléchit légèrement en 2005, et la part du chiffre d’affaires dans le PIB recule même cette année-là. S’il ne s’agit pas d’un artefact statistique (les méthodologies de calcul ont changé au cours de ces années-là), on pourrait y voir effectivement un ralentissement provisoire lié à la réforme de 2004. On remarque cependant que la croissance économique a connu un recul en 2005, qui peut également contribuer à l’explication.
La réforme de 2009, il est vrai de moindre ampleur que les autres, ne se traduit par aucun effet détectable. 2010 voit même un redécollage des achats de formation, en lien avec le retour à la croissance après la récession de 2009.
Graphique 2 (source : Insee, Jaunes budgétaires – chiffre 2015 manquant)
Qu’en est-il de la réforme de 2014 ? Il n’est pas facile de le dire : le chiffre de 2015 est manquant, « suite à un changement de système d’information ». On constate cependant qu’en 2016, la courbe repart du même niveau qu’en 2014, et même de plus bas en pourcentage du PIB. On peut appeler ici à la rescousse l’observatoire économique de la Fédération de la formation professionnelle, qui donne chaque année l’évolution du chiffre d’affaires moyen de ses adhérents (543 organismes en 2015, 651 fin 2017). L’édition 2016 nous informe que les membres de la FFP ont connu une contraction de 5,6% de leur chiffre d’affaires moyen.
Le contexte de stagnation économique a sans doute aidé, mais il semble que la réforme de 2014 ait bien eu pour effet de ralentir les achats de formation en 2015 et encore en 2016. La fin de l’obligation de dépense à hauteur de 1,6%, au profit d’une simple contribution de 1%, a sans doute conduit les entreprises à modérer leurs investissements en la matière. En pourcentage du PIB, le niveau de 2014 n’était pas encore récupéré en 2017. Et le chiffre d’affaires moyen des adhérents de la FFP restait inférieur en 2017 à ce qu’il était en 2014 (même si ce n’est pas à périmètre égal : les nouveaux adhérents peuvent faire baisser la moyenne s’ils sont de taille relativement plus réduite).
Une autre approche est celle de la contribution des entreprises à la dépense globale de formation. Sur ce point, les Jaunes budgétaires nous livrent deux séries de données qui couvrent chacune une partie de la période :
Ces chiffres ne sont pas nécessairement corrélés au chiffre d’affaires des organismes de formation, puisqu’ils ne comprennent qu’un seul acheteur (les entreprises
On obtient donc deux courbes, qui recouvrent en partie la même période.
Graphique 3 (sources : Insee, Jaunes budgétaires)
On remarque ici que la réforme de 2004 produit une augmentation de la dépense, en contexte de recul de la croissance. Ce n’est pas surprenant si l’on pense que cette réforme faisait passer l’obligation de dépense de 1,50% à 1,60% pour les entreprises de 10 salariés et plus (et de 0,40% à 0,55% pour les entreprises de moins de 10 salariés). La réforme a donc un effet mécanique, suivi par plusieurs années de croissance accentuée, que l’on peut sans doute lier à l’essor du Dif et de la professionnalisation.
La réforme de 2009 est suivie d’un léger recul des dépenses et d’un ralentissement de la hausse à moyen terme. A mettre en lien peut-être avec l’importance du chantier de réorganisation des Opca.
La réforme de 2014, enfin, est accompagnée d’une baisse logique de la dépense intermédiée des entreprises, suite à la suppression de l’obligation de dépense. La bonne collecte de 2018 se traduira peut-être par un sursaut, quand les chiffres seront connus.
Dernier point : en pourcentage du PIB, la dépense « intermédiée » des entreprises n’a pas progressé depuis 10 ans, et semble plutôt orientée à la baisse. Pendant ce temps, les achats de formation ont accru leur part dans la richesse nationale, et semblent être repartis à la hausse après une interruption liée à la précédente réforme. C’est bien une logique d’investissement qui se met en place.
Graphique 4 (sources : Insee, Jaunes budgétaires)
En 2005 comme en 2015, sans être spectaculaire, le phénomène de « l’année perdue » post-réforme apparaît assez clairement dans les chiffres. En ira-t-il de même en 2019 ? Ce n’est pas une fatalité. La réforme de 2018 ne modifie pas l’enveloppe globale des dépenses mutualisées, même si elle procède à sa redistribution en faveur des entreprises de moins de 50 salariés. Elle comporte des dispositifs incitatifs (CPF désintermédié, simplification de l’apprentissage) et devrait logiquement entraîner à terme un redécollage de la dépense de formation. Sa mise en place est cependant longue, et il n’est pas impossible que l’année 2019 en porte la marque. Il faudra attendre le Jaune 2022 pour le savoir, sauf si le suivi statistique de la formation connaît des progrès entre-temps !
Crédits photo : Shutterstock/ Lumen Photos
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