La formation en situation de travail figure parmi les grands enjeux de la formation professionnelle dans les années à venir. Elle ne représente guère plus d’une ligne dans la réforme qui vient d’être votée : mais c’est une ligne qui peut changer la donne pour nombre d’entreprises et de salariés. L’expérimentation conduite entre 2015 et 2018 par 13 Opca, en amont de la réforme, était donc très attendue. L’enjeu est de faire des formations en situation de travail des actions de formation à part entière aux yeux du droit du travail, afin d’en développer tout le potentiel pour les entreprises et les salariés, tout en évitant les effets d’aubaine.
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L’idée de lancer une expérimentation sur la formation en situation de travail (FEST, ou AFEST pour « action de… ») est née dans la continuité de la réforme de 2014. L’expérimentation est lancée fin 2015, sous le pilotage de l’Etat (via la DGEFP) et des partenaires sociaux (via le Copanef et le FPSPP).
Le rapport final, publié en juillet 2018, détaille 18 expériences conduites sur le terrain par 11 Opca différentes. Elles sont classées en trois catégories, suivant l’objectif principal qu’elles poursuivent. Dans trois cas, l’action n’a pas pu aboutir, pour des raisons qui font l’objet d’un diagnostic et d’enseignements.
Les trois catégories d’objectifs sont les suivantes :
Le rapport rappelle les fondamentaux de l’action en situation de formation. Celle-ci doit être à la fois :
L’action de formation en situation de travail est organisée en alternant deux types de séquences :
Les rapporteurs ont constaté que dans toutes les expérimentations mises en place, il y a eu plusieurs alternances de mises en situation et de phases réflexives. On ne s’est jamais contenté d’un seul « cycle ». La Fest se présente bien sous la forme d’un parcours de formation. C’est une formation en alternance de terrain.
Le rapport fait l’inventaire des pratiques constatées au cours des expérimentations.
L’un des mérites de l’expérimentation est aussi de montrer la très grande variété des situations de travail, et les adaptations que l’on peut apporter à la Fest pour tenir compte des spécificités. Par exemple, quand il s’agit de former des intervenants à domicile, le lieu de travail est situé chez le client – bureau ou maison. Il faut donc que le client accepte la présence du formateur, le temps de présence doit être limité, et il faut trouver un endroit où tenir la phase « réflexive ».
La Fest se montre également particulièrement propice à l’individualisation de la formation, tout au long de la prestation. Les phases réflexives permettent de faire des points d’étape et d’orienter la suite de la formation, en prévoyant par exemple la répétition d’une situation qui a posé problème, ou au contraire le raccourcissement de telle ou telle phase de la formation.
Une action de formation en situation de travail implique de mobiliser un salarié-formateur, familier de la situation de travail. Ce salarié-formateur doit lui-même être formé. Une des expérimentations, celle de l’Afdas, portait précisément sur la formation de « référents Afest » dans les entreprises participantes, chargés d’encadrer les projets de formation en situation de travail et, souvent, de les assurer eux-mêmes.
Une action de formation en situation de travail réussie suppose également que les managers soient associés à la démarche – celui du salarié formé et celui du salarié en formation. C’est la garantie que l’action se déroule dans les meilleures conditions, le temps de formation étant bien délimité et compris comme un investissement.
La plupart du temps, les Opca ont eu recours aux services d’un « tiers facilitateur », un consultant ou un formateur, qui coordonne et oriente le projet.
Les apprenants qui sont allés jusqu’au bout du processus soulignent l’efficacité pédagogique du procédé. Ils insistent sur la dimension opérationnelle de la pédagogie, qui permet à la fois d’acquérir la compétence et de la comprendre. « L’apprenant est capable de verbaliser et d’exprimer ses propres compétences ». Il y a cependant une condition : que la phase de concertation avec l’apprenant ait bien eu lieu en amont.
Les managers perçoivent également cette dimension opérationnelle de la formation en situation de travail.
Si le décret à paraître ne fixe pas des conditions restrictives qui réduisent la portée de la réforme – cela s’est déjà vu, notamment avec la formation à distance – la formation en situation de travail pourrait ouvrir des perspectives intéressantes aux entreprises, notamment :
La formation en situation de travail ouvre donc de nombreuses perspectives, qui ont toutes un point commun : elles requièrent une forte mobilisation du responsable formation et de son expertise ! A cet égard, la réforme tend à valoriser la fonction – à condition de pouvoir la dégager de ses aspects administratifs et techniques.
Inffo Formation n°952 (15-31 octobre 2018) en rend compte : le 2 octobre, précisément, les initiateurs de l’expérimentation Afest ont organisé un séminaire d’appropriation des enseignements qu’ils en ont retiré. Entre-temps, la loi Avenir Professionnel a été votée, contenant l’« officialisation » de la Fest comme action de formation à part entière. Pierre Possémé, président du FPSPP, a commenté : « En renouant avec la tradition multiséculaire de la transmission du savoir et du geste, l’action de formation en situation de travail apporte un prolongement concret à l’ambition portée par la loi du 5 septembre 2018 : rendre la formation plus accessible, plus naturelle et plus simple ».
Carine Chevrier, DGEFP, a annoncé les décrets pour la mi-novembre, et suggèré « la création d’un groupe de travail dédié à l’Afest au sein de France Compétences ».
C’est en forgeant qu’on devient forgeron, mais devient-on pour autant expert scientifique en fusion du métal ? Alex Tabarrok, sur le blog Marginal Revolution, rend compte d’un papier publié par quatre universitaires sur les ressorts de l’apprentissage informel. Les chercheurs ont réalisé une expérience en soumettant une tâche complexe (faire avancer une roue en plaçant de façon optimale des poids situés sur 4 rayons différents de la roue) à des participants organisés en chaînes de 5. Chacun a droit à 5 essais, avant de passer la main au suivant, à qui on transmet les deux dernières combinaisons de positions utilisées, avec les résultats obtenus. Il en résultait un apprentissage « culturel » progressif, chaque participant faisant avancer la roue plus vite que ses prédécesseurs. En revanche, le dernier de la chaîne n’avait pas acquis une connaissance théorique plus élevée. « La technologie s’est améliorée, mais pas la compréhension », conclut l’article.
Les chercheurs ont poussé l’expérience plus loin : à chaque transmission, le participant sortant avait le droit de fournir au suivant une théorie, tirée de son expérience, expliquant le mouvement de la roue. Résultat : la compréhension n’a pas progressé davantage en fin de chaîne. Elle a même régressé dans certains cas, les participants privilégiant un aspect du réel par rapport aux autres !
En résumé, on apprend en faisant, mais faire ne permet pas toujours de comprendre, et donc de transmettre. D’où, sans doute, la très lente progression des savoirs traditionnels transmis de génération en génération. D’où également l’intérêt, sans doute, des formations en alternance et en situation de travail avec phase « réflexive » !
Crédit photo : fotolia / Grafvision
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