La trêve estivale aidant, on se retourne volontiers sur le chemin parcouru. C’est peut-être ce qui explique la salve d’études et de rapports relatifs à l’application de la précédente réforme de la formation professionnelle ? La Dares, le Cnefop, le FPSPP, le Cedefop, la FFP, plusieurs Opca ont publié des études, des rapports et des documents en juillet. Nous les avons lus pour vous et nous vous en livrons les principaux enseignements.
La Dares vient de publier une étude qualitative sur le CPF, réalisée au premier semestre 2018, pour en comprendre l’utilisation et le fonctionnement effectifs. L’enquête est construite autour de 230 entretiens conduits sur le terrain et avec des acteurs du système, dans deux régions et auprès de 4 Opca (Constructys, Fafiec, Agefos PME et Uniformation). Outre les institutionnels, 40 demandeurs d’emploi et 80 salariés ont été interrogés, ainsi que 18 représentants d’organismes de formation et 17 représentants d’entreprises.
L’étude cherchait à répondre à des questions touchant à l’accès à la formation via le CPF : en quoi favorise-t-il la réalisation des projets de formation des salariés et des demandeurs d’emploi ? Les professionnels se saisissent-ils de l’outil ? Les certifications financées sont-elles pertinentes ? L’ingénierie financière joue-t-elle son rôle, donner accès à la formation ?
Les réponses sont nuancées, et plutôt négatives. Comme le rapport de l’Igas remis il y a un an le constatait déjà, le CPF a été conçu et mis en œuvre dans une logique très institutionnelle, insuffisamment tournée vers l’utilisateur. Il a été « traité avant tout comme un objet technique et une ligne de financement des actions de formation professionnelle » par les acteurs du système, constate la Dares. Le rapport relève cependant que « les OPCA ont montré des capacités d’adaptation aux demandes émanant d’individus », notamment en développant un accompagnement sur le CPF « autonome » (c’est-à-dire à l’initiative du salarié indépendamment de son entreprise). Le système de listes est par ailleurs perçu comme ayant ralenti et compliqué le déploiement du CPF.
Pour ce qui est des demandeurs d’emploi, le CPF n’a pas pu jouer pleinement son rôle : il a été utilisé comme financement complémentaire dans des projets décidés par ailleurs, et il n’apparaît pas que les demandeurs d’emploi eux-mêmes s’en soient saisis pour construire leur parcours. Le montant très faible de la valorisation de l’heure (9€) renforce ce constat. Les salariés qui ont eu recours au CPF, en revanche, semblent l’avoir fait davantage dans l’esprit du dispositif, pour financer des projets de formation très variés. Mais en définitive, le CPF a surtout bénéficié aux publics les plus autonomes, qualifiés, ayant déjà reçu des formations et pouvant compter sur un service RH structuré. Les autres publics ont besoin d’un accompagnement qui reste insuffisant.
L’étude comporte également quelques chiffres précieux, tirés directement du système d’information du CPF, dans le périmètre des 4 Opca concernés, pour l’année 2017. On apprend ainsi que :
On voit donc que les différents Opca ont des politiques assez différenciées, adaptées à leur public. Il y a peut-être là une expertise qu’il faudra veiller à ne pas perdre dans la réforme et la transformation en Opco (opérateurs de compétences) – même si le CPF aura désormais vocation à être directement mobilisable par le salarié.
La part des CPF « autonomes », mobilisés à l’initiative du seul salarié, varie aussi beaucoup selon les Opca ; mais elle est loin d’être négligeable : chez Agefos PME et Uniformation, respectivement 44,5% et 43% des dossiers ont été déposés de manière autonome par des salariés. Cette proportion est plus faible au Fafiec (30%) et à Constructys (27%), mais on reste à un niveau important.
On laissera le mot de la fin à un salarié qui a mobilisé son CPF en autonomie, et qui résume bien la question : « C’est compliqué d’avoir accès à toutes les informations, plus on avance plus on découvre de nouvelles démarches à faire. En fait, c’est ça qui est usant, à chaque fois on pense que c’est terminé et non il y a d’autres dossiers à faire, d’autres personnes à contacter, ça n’en finit pas… »
Les chiffres de la formation professionnelle pour l’année 2015, première année pleine d’application de la réforme, ont valeur de test pour ce qui est de l’impact des réformes sur l’activité du secteur et les dépenses de formation.
La Dares a publié un rapport sur la question en juillet 2018, reprenant et analysant pour l’essentiel les chiffres du Jaune budgétaire 2018. On y retrouve donc pour l’essentiel ce que nous évoquions dans notre article de l’époque : la dépense de formation (hors dépenses directes des entreprises, qui ne sont plus prises en compte) a reculé légèrement de 1,7% en 2015, les financements des entreprises accusant une baisse plus importante de 3,9%. Celles-ci restent cependant, et de loin, les premiers financeurs. La collecte des Opca s’est maintenue, mais les financements mutualisés transitant par eux ont reculé de 8,8% : la baisse des dépenses liées au plan n’a pas été totalement compensée par la montée du CPF et l’accroissement du recours au Cif.
Le Cnefop et la Dares se sont en outre livrés à un nouvel exercice, qui leur a été confié par la réforme de 2014 : faire le suivi des données concernant « l’utilisation des ressources affectées à l’emploi, à la formation et à l’orientation professionnelles ». Le rapport utilise notamment des données régionales, venant des Crefop.
On y apprend que l’effort national en matière d’emploi, formation et orientation (la dépense « Efop ») frôle les 100 milliards d’euros, soit 4,5% du PIB. La moitié est représentée par l’indemnisation des demandeurs d’emploi. Si l’on considère la dépense Efop hors indemnisation chômage, la formation professionnelle et l’apprentissage comptent pour un tiers de la dépense restante, les politiques d’emploi pour un autre tiers. La formation initiale et l’orientation se partagent l’essentiel du troisième tiers.
Rapportée au PIB, la dépense Efop varie peu suivant les régions. Deux exceptions : elle représente une part nettement plus faible du PIB en Ile-de-France (dont le PIB par habitant est plus élevé) ; et nettement plus élevée dans les Drom.
Le rapport présente ensuite le profil de chaque région. L’avenir nous dira si cette façon de présenter les données apporte véritablement un éclairage nouveau et utile.
La réforme qui se dessine va faire disparaître ou transformer beaucoup d’acteurs. En particulier, les Opca vont céder la place aux Opco, opérateurs de compétences ; le Cnefop, le FPSPP, le Copanef vont « fusionner » dans l’agence France Compétences. Les organismes existants prennent position en faisant leur bilan.
Créé par la réforme de 2009, le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP) mutualise une partie des fonds de la formation professionnelle afin de financer des actions en faveur des demandeurs d’emploi et des salariés en insertion.
Il publie ce qui pourrait bien être son dernier (ou avant-dernier) rapport annuel, puisque la structure devrait en principe disparaître au 1er janvier 2019 au sein de France Compétences. Le rapport n’élude pas la question, en évoquant en introduction un bilan de 9 années d’activité au service de l’insertion dans l’emploi par la formation. 9 milliards d’euros ont ainsi été utilisés pour financer des actions de ce type.
En 2017, sur 1 milliard de ressources gérées, le FPSPP en a versé 818M aux Opca. Les fonds ont bénéficié à la formation de près de 800 000 personnes, salariés et demandeurs d’emploi confondus.
Le rapport insiste en outre sur le rôle d’animateur du réseau des organisations paritaires du FPSPP (Copanef, Opca, Opacif…) ; sur son soutien aux dispositifs formation (CPF, CléA, conseil en évolution professionnelle) et à l’innovation pédagogique. Il se conclut sur une description de la future agence France Compétences, en soulignant que le FPSPP remplit déjà une partie de ses missions (« régulation, financement, évaluation… »), et que le « paritarisme interprofessionnel » devra avoir sa place dans l’organisation.
Selon des chiffres publiés par Agefos PME ce mois-ci, l’année 2017 a représenté une hausse de 21% pour le recours au CPF dans cet Opca. L’année 2018 semble déjà marquée par une accélération du recours à ce dispositif, avec 18 000 CPF validés au premier semestre, pour 21 169 en 2017. Le nombre de CPF autonomes pourrait atteindre les 10 000, contre 8756 en 2017. Une croissance qui pourrait s’expliquer simultanément par une montée en puissance « naturelle » du dispositif, mais surtout par l’urgence de dépenser ses heures de CPF tant qu’elles ne sont pas converties en euros, au taux peu avantageux de 14,28€.
L’Opca interprofessionnel annonce par ailleurs une collecte en hausse de 3,5% à 751,8 millions d’euros, une augmentation de 12% des contrats de professionnalisation financés, et la signature de 137 conventions territoriales de financement.
Plusieurs Opca ont publié récemment leurs résultats de collecte :
On notera que pour ces trois Opca, les versements volontaires progressent, tout en représentant une part très inégale de la collecte « formation professionnelle » : 3,5% au Forco, 15,3% pour Transports et Services, 31,3% à l’Anfa. Des différences très importantes qui témoignent de fortes spécificités de branches.
Le Cedefop (Centre européen pour le développement de la formation professionnelle) vient de publier une étude sur les changements traversés par les systèmes de formation professionnelle en alternance européens au cours des 20 dernières années. Le rapport est accompagné de 10 études de cas correspondant chacune à un pays européen, parmi lesquels la France. Il y est beaucoup question de formation initiale, mais aussi d’alternance en formation continue.
Nous aurons l’occasion de revenir sur l’étude européenne dans le cadre de notre tour d’Europe des systèmes de formation. Retenons quelques points du document consacré à la France :
Selon une information reprise dans Entreprises & Carrières n°1394-1395 (16 juillet – 26 août, p.10), l’U2P (le syndicat patronal de l’artisanat) et les 5 syndicats de salariés négocient actuellement pour constituer un opérateur de compétences unique pour l’artisanat et les professions libérales. Actalians, l’Opca de ces dernières, réunirait autour de lui toutes les branches de l’artisanat, actuellement disséminées dans les autres Opca. Les promoteurs du projet espèrent que l’Opco qui en résulterait répondrait bien à la logique de filières « économiquement cohérentes » demandée par la loi. Rappelons que la réforme en débat à l’Assemblée prévoit que les Opca disparaissent au profit d’opérateurs de compétences (Opco) dépourvues de la faculté de collecter les fonds de la formation, mais gestionnaires de l’apprentissage et des fonds destinés aux TPE-PME. Le périmètre de ces nouveaux organismes doit faire l’objet de négociations entre les partenaires sociaux, mais l’Etat tranchera en dernier recours.
Les entrées en apprentissage sont en hausse, nous apprend Inffo Formation n°947 (juillet 2018, p.5). Un mois avant la fin de l’année scolaire, elles avaient passé la barre des 300 000, et le précédent record (2012-2013). Le journal de Centre Inffo fait également le point (p.17) sur les nouveaux dispositifs d’aide à l’apprentissage, tels que contenus dans le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Les dispositifs actuels seront remplacés par une aide unique, recentrée sur les entreprises de moins de 250 salariés, et les formations de niveau bac au maximum. L’aide devrait être supérieure à 6000€ sur 2 ans, et représenter un avantage d’environ « 100€ par mois par rapport à la situation actuelle ». En outre, les entreprises de moins de 11 salariés qui emploient un apprenti paieront une cotisation unique de formation professionnelle de 0,55%, au lieu de 0,99% s’ils n’en emploient pas.
Crédit illustration : fotolia / catherinelprod
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