L’individu, nous dit-on de réforme en réforme, doit être « acteur de son parcours ». Mais pour y parvenir, il doit pouvoir s’orienter, et donc y voir clair à la fois sur ses aspirations, sur ses capacités et sur l’offre de formation existante. C’était tout l’enjeu du Conseil en évolution professionnelle (CEP), créé par la réforme de 2014, et sujet d’un rapport d’étape du Cnefop paru fin juin 2017. Peu après, le Copanef publiait à son tour l’état de sa réflexion sur le bilan de compétences, dont la redondance possible avec le CEP suscitait dès les débuts de la réforme les questionnements des professionnels. Nous avons lus pour vous ces deux rapports.
Les réformes successives de la formation professionnelle au cours des deux dernières décennies se sont généralement fixé, parmi leurs objectifs, celui de « rendre le salarié acteur de son parcours professionnel ». Autrement dit, de l’inciter à réfléchir lui-même à ses besoins de formation et de l’aider à utiliser les outils existants pour acquérir de nouvelles compétences, de sa propre initiative. La réforme qui s’annonce semble aller encore plus loin dans ce sens. Mais revenons à la précédente.
Deux mesures de la réforme de 2014, complétées par une troisième ultérieure, sont venues conforter les moyens à disposition des salariés (et des demandeurs d’emploi) pour prendre en main leur parcours professionnel et de formation.
Ce fut d’abord la création du Conseil en évolution professionnelle. Il ne s’agit pas d’une instance, comme son nom pourrait le laisser entendre, mais d’une mission d’intérêt général, confiée à 5 organismes ou réseaux différents :
La mission consiste à apporter gratuitement à qui le demande un conseil visant à faire le point sur sa situation, à élaborer un projet professionnel, et à commencer à le mettre en œuvre. Il existe un cahier des charges commun, mais chaque organisme met en œuvre à sa façon le CEP.
Rappelons que l’employeur doit obligatoirement, lors de l’entretien professionnel, fournir au salarié une information sur le CEP et la possibilité d’y recourir.
La même réforme créait le Compte personnel de formation (CPF), attaché à la personne, donnant un accès individuel au financement de la formation. Par la suite, la loi travail du 8 août 2016 a rendu le bilan de compétences éligible au CPF : depuis le 1er janvier 2017, il est ainsi possible, à certaines conditions, de financer son bilan avec ses heures de CPF.
Qu’est-ce qu’un bilan de compétences ? Expérimenté à partir de 1986 par la DGEFP, le dispositif est inscrit dans la loi du 31 décembre 1991 sur la formation professionnelle, suite à l’accord national interprofessionnel signé le 3 juillet précédent. Le code du travail le définit à son article L. 6313-10, qui reprend à peu près la formulation des l’ANI : « Les actions permettant de réaliser un bilan de compétences ont pour objet de permettre à des travailleurs d’analyser leurs compétences professionnelles et personnelles ainsi que leurs aptitudes et leurs motivations afin de définir un projet professionnel et, le cas échéant, un projet de formation. » Difficile à première vue de faire la distinction avec la finalité du CEP : on retrouve bien les deux premiers points de celui-ci, l’examen de la situation et la formulation du projet professionnel. Le CEP va plus loin, puisqu’il propose un début de mise en œuvre.
Toute personne salariée depuis au moins 5 ans, présente dans son entreprise depuis au moins un an, peut demander un congé pour effectuer un bilan de compétences. La demande doit être déposée au moins 60 jours avant la date envisagée. L’employeur peut reporter le congé jusqu’à 6 mois plus tard, mais pas le refuser.
A première vue, donc, on se retrouve avec deux dispositifs concurrents :
– l’un, le CEP, délivré gratuitement par des institutions publiques et semi-publiques ;
– l’autre, le bilan de compétences, délivré par des organismes le plus souvent privés, moyennant finances, mais pouvant être pris en charge par le CPF.
En pratique, ces deux outils se complètent-ils ou sont-ils au moins partiellement redondants ?
Le Cnefop (Conseil national de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelles, créé par la réforme de 2014), comme en 2016, consacre un rapport conjoint au CEP et au CPF, considérant ces deux dispositifs comme les deux faces d’une même réalité : la formation à l’initiative de l’individu. On a ainsi :
« – le CPF attaché à la personne afin de sécuriser ses mobilités professionnelles s’appuyant sur des
garanties collectives, dont…
– … le CEP, droit à un accompagnement facilitant la réalisation de choix éclairés et autonomes. »
Le rapport constate d’abord une indéniable montée en charge du dispositif. Le nombre de bénéficiaires du CEP a en effet dépassé les 1,5 million en 2016, soit le double de l’année précédente. Le premier problème du CEP reste l’hétérogénéité des organismes qui sont chargés de le délivrer. Un arrêté du 16 juillet 2014 avait fixé un cahier des charges, identifiant bien les trois niveaux du CEP (faire le point, construire un projet professionnel, accompagner la mise en œuvre du projet) et les moyens à mettre en face. Mais le rapport de l’année dernière le disait bien : chaque organisme a eu tendance à intégrer ces tâches au prisme de son propre métier. Par exemple, en privilégiant ses propres financements dans la phase de mise en œuvre du projet… Alors qu’il s’agit bien de mobiliser l’ensemble des ressources disponibles.
Le rapport de 2017 note des progrès dans l’appropriation par les différents organismes de la mission CEP. Le rapport se réjouit de l’attitude adoptée, de la prise de conscience de la nécessité de professionnaliser les agents, des travaux engagés pour standardiser la mission et l’évaluer. On apprend ainsi que l’Afpa s’est vu confier la mission « d’élaborer, en lien étroit avec les opérateurs, le référentiel de compétences associé au « panier de services du CEP », de nature à nourrir leur réflexion sur leurs processus respectif de professionnalisation ». On n’en est pas encore, cependant, au stade des résultats.
Le rapport formule des recommandations. Il s’agit d’abord d’ « assurer un suivi renforcé du déploiement du panier de service du CEP », c’est-à-dire de faire en sorte que la mission soit remplie de manière aussi homogène que possible par les différents opérateurs. Le suivi doit également porter sur les « actions de professionnalisation mises en œuvre » pour améliorer le service. Autres pistes d’action : la création d’un titre ou diplôme du conseiller CEP, en réalisant un référentiel de compétences ; la mise en place d’un référentiel qualité avec tous les opérateurs ; intégrer le CEP dans le portail du Compte personnel d’activité (CPA). Enfin, l’accent doit être mis sur la compétence d’ « ensemblier » des conseillers, qui doivent être capables de construire l’ingénierie des parcours et de leur financement en recourant à tous les outils du système.
Si le ton du rapport est positif, on garde l’impression que le CEP est loin d’avoir atteint, à cette date, les objectifs qui lui avaient été fixés. De fait, après un rapide tour des sites internet des différents réseaux, on constate que seuls les Fongecif et l’Apec identifient le CEP sur leur page d’accueil. Le site de Pôle Emploi y consacre un article assez loin dans l’arborescence. Les missions locales et les Cap emploi ne semblent pas afficher la mission en tant que telle – même si leur offre de service la comprend.
Le Copanef (Comité paritaire interprofessionnel national pour l’emploi et la formation, autre création de la réforme de 2014) s’est penché de son côté sur le destin du bilan de compétences et sur son évolution. Ce suivi était prévu par l’accord national interprofessionnel du 14 décembre 2013, et a déjà donné lieu à deux rapports. Mais la réflexion est bien partie des risques de redondance avec le CEP. Le rapport part de deux préoccupations : la nécessité de faire évoluer le bilan de compétences, mais aussi celle de le définir précisément pour l’harmoniser et évité l’hétérogénéité des pratiques, dans un souci d’équité.
Le bilan de compétences est en principe un exercice très codifié, qui comprend trois phases :
– une phase préliminaire au cours de laquelle le bénéficiaire précise la nature de ses attentes, tandis que le prestataire présente la démarche.
– une phase d’investigation, pour analyser les compétences, l’expérience, les motivations (personnelles et professionnelles), et envisager des parcours possibles.
– une phase de conclusions, où les résultats de la phase d’investigation sont restitués, les différentes possibilités évaluées, un projet retenu et un calendrier de mise en œuvre posé.
Mais tous les organismes ne déploient pas cette méthodologie de la même manière, d’où une certaine distorsion de prestations. La durée est souvent de 24 heures, durée maximum du congé bilan de compétences, mais rien n’oblige, en l’état, à respecter cet horaire.
En pratique, le rapport s’articule autour de 4 questions sur le bilan de compétences :
– quel contenu ?
– quelle articulation avec le CEP ?
– quel processus qualité ?
– quel modèle économique ?
Le contenu, pour le Copanef, devrait évoluer (en particulier la phase 2) en faveur de l’élaboration de « projections professionnelles », entendues comme « la construction de perspectives futures adaptées ». Le bilan de compétences est aujourd’hui souvent réservé aux périodes de crise et de reconversion, forcée ou non, des bénéficiaires. Il faudrait en faire un outil mobilisable à tout moment pour faire le point et envisager l’avenir de façon proactive.
Ce travail sur le contenu vise également à établir un cahier des charges commun, qui permette d’homogénéiser les prestations des différents organismes, et notamment les livrables.
La question de la complémentarité avec le CEP est abordée de façon diplomatique et politique. Le principe est posé que « le bilan de compétences reste irremplaçable et complémentaire à l’offre de service du CEP », même s’il est établi que ses « finalités et objectifs » sont « similaires à ceux du niveau II du CEP » (construire son parcours professionnel).
Une piste qui se dégage est l’utilisation du bilan de compétences pour réaliser le niveau II du CEP, ce qui suppose un certain degré d’harmonisation des méthodes et des grilles de lecture, ainsi qu’une bonne communication entre le conseiller CEP et le centre de bilan de compétences. Ce dernier doit en effet pouvoir prendre en compte les acquis de la première phase de CEP (faire le point sur la situation), et restituer fidèlement les résultats du bilan pour permettre au conseiller CEP, en aval, de mettre en place concrètement le programme.
Le Copanef suggère donc que l’on établisse d’abord une grille de lecture comparative des deux dispositifs, pour bien définir ce qui les rapproche et ce qui les différencie. CEP et bilan de compétences partagent une même finalité, une même posture d’accompagnement et de facilitation, sans contrainte. Mais ils se différencient sur plusieurs points :
– le CEP a vocation à être un accompagnement régulier : on peut y recourir gratuitement et autant qu’on le souhaite. Le bilan de compétence est plutôt conçu comme une démarche ponctuelle, et il doit être financé.
– les moyens mobilisés par le bilan de compétences dans la phase d’investigation sont plus importants et plus approfondis que pour le CEP.
– le bilan de compétences est plus adapté aux situations complexes, urgentes, ou encore les situations « où les perspectives d’évolution sont faiblement structurées et étayées ».
On peut donc, effectivement, imaginer que le conseiller CEP oriente, à l’issue de la première phase, son interlocuteur vers un bilan de compétences, s’il estime que cela pourrait être profitable. En amont, il l’aidera à mettre en place le projet élaboré. Sur le terrain, cela se produit déjà. Dans cette perspective, le Copanef recommande la rédaction d’un guide pour aider les bénéficiaires à choisir leur centre de bilan de compétences.
Le rapport conseille également de créer un référentiel qualité en annexe du cahier des charges, un peu sur le modèle du Datadock, permettant de lister les prestataires de bilan de compétences, à l’usage des Opacif. Il recommande enfin la prise en charge des bilans via un forfait en euros et en heures. Le forfait de base serait de 16 heures, porté éventuellement à 24 si la phase préliminaire en révélait le besoin. L’heure serait valorisée chaque année en fonction des prix moyens constatés.
Les deux rapports décrivent donc une situation qui n’est pas encore stabilisée : le CEP n’est pas encore pleinement déployé, loin s’en faut ; et le bilan de compétences, du haut de ses 30 ans, a besoin d’une bonne révision. Les pistes esquissées par les deux organismes seront-elles suivies par les concepteurs de la réforme ? L’avenir – proche – devrait nous le dire.
Crédits photo : fotolia/3d_generator
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Ou comment compliquer les choses, comme on aime en France...
Il existait des pros du bilan de compétences avant la création du CEP, par professionnels j'entends : des psychologues (et surtout du travail) et/ou des experts de la compétence. Pourquoi ce n'est pas à eux qu'on demande de faire le travail de CEP ? Ce serait plus logique et eux-mêmes expriment ce besoin de faire évoluer l'outil "bilan de compétences", trop rigide, trop standardisé, trop ponctuel.
Le CEP de son côté est bien souvent un conseiller monté en charge de travail. Il n'est pas expert de la compétence mais devrait arriver en amont et en aval du BC ? Comme-ci le BC devenait un sous-traitant du CEP ? Multiplication des interlocuteurs et des lieux de réalisation, travail à la chaine, perte de sens et plus couteux !
Le risque n'est-il pas qu'à terme le BC se généralise et puisse être réalisé par "n'importe qui", j'entends par-là des professionnels non spécialisés dans la compréhension des mécanismes psychiques, non spécialisés dans l'écriture de la compétence et non spécialisés dans la systémique ? Déjà que le BC apparait aujourd'hui comme une réponse à tout un tas de maux du travail, illégitimement, ne va-t-on pas renforcer cela ?
Je reste sceptique, surtout quand on sait que le bon sens pouvait proposer beaucoup plus simple, moins couteux et efficace.
Ou alors c'est une belle ruse pour que le CEP devienne d'abord le référent national de l'orientation et ensuite le nouveau prescripteur du BC car après tout, on n'a jamais autant entendu parler du BC que maintenant... Mais à trop en faire, on finit par décrédibiliser la qualité du dispositif.
Merci pour votre commentaire. Il est sans doute trop tôt pour savoir comment va évoluer le dispositif. Mais votre remarque met aussi en lumière cet éternel problème de l’orientation et du conseil en matière d’évolution professionnelle : la nécessité d’une double compétence, connaissance du système/des métiers et expertise psychologique.