Le rapport publié fin janvier par la Cour des comptes sur le bilan du Plan d’investissement dans les compétences (PIC, 2018-2023), a été largement commenté. Plus nuancé qu’il n’y paraît, il est dominé par un jugement global sévère qui n’apparaît pas toujours justifié. Plus précisément, les attentes que le Pic est accusé d’avoir déçues n’étaient pas forcément très réalistes. Et sur le terrain, le Pic, combiné à la réforme de 2018, semble bien avoir contribué à une amélioration des grands indicateurs de la formation continue.
Sommaire
Un plan pour contribuer à une « société de la compétence »
Des résultats limités mais réels
Des promesses non tenues en matière de gouvernance et de pilotage
Le Pic a-t-il failli à transformer la formation ?
La nécessité d’une vision globale
Evaluation des politiques publiques : des progrès, mais peut mieux faire
Le Plan d’investissement dans les compétences (Pic) était l’un des 4 piliers du « Grand plan d’investissement » (GPI) lancé en 2018 suite au rapport Pisani-Ferry de septembre 2017. Le GPI comportait en effet 4 volets, résumés dans ce tableau :
Le Pic correspond à la 2e ligne, « Edifier une société de compétences ». Plus prosaïquement, il visait à « rendre l’accès à l’emploi à un million de chômeurs peu qualifiés et à un million de jeunes décrocheurs », via « des formations longues et qualifiantes, assorties d’un accompagnement personnalisé ». Le détail des sommes envisagées sur la période 2018-2022 est donné par le tableau suivant :
Le Pic était conçu pour prendre place dans « un ensemble de réformes du dialogue social, de la formation professionnelle et de l’apprentissage et de l’assurance chômage. » Il devait donc s’articuler avec la future loi « Avenir professionnel » de septembre 2018, encore en discussion à l’époque. Il représentait en somme un volet « financement exceptionnel » de la réforme.
Le plan était prévu pour être mis en œuvre en partie à l’échelon national et en partie en partenariat avec les Régions. Deux d’entre elles ont refusé de contractualiser (Auvergne-Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte-d’Azur), leur rôle étant assumé directement par Pôle emploi dans ces deux régions.
Le Pic, enfin, était prévu pour couvrir la période 2018-2022. Il a été reconduit pour l’année 2023, les crédits n’ayant pas été tous consommés. Un « Pic 2 » a été lancé pour 2024-2027, mais avec une dotation bien moindre. Il est essentiellement tourné vers la contractualisation avec les régions.
Une nouveauté est justement saluée par le rapport de la Cour des comptes : le Pic a fait l’objet de rapports annuels d’un comité scientifique dédié (ainsi que de rapports régionaux). Le dernier en date est sorti en décembre 2023 (pour l’année 2022). Un 5e devrait sortir bientôt pour couvrir 2023.
Le rapport de la Cour des comptes porte donc moins sur le détail des dépenses que sur une évaluation globale de l’atteinte des objectifs. Les chiffres qu’il donne sont en réalité étonnamment positifs. La page « chiffres clés », bien que sous-titrée « une ambition sans lendemain », donne des indicateurs plutôt encourageants :
Au total, les problèmes qui ont donné naissance au GPI et au Pic n’ont pas été résolus, mais plusieurs indicateurs ont bougé dans la bonne direction. Les progrès sont également qualitatifs : selon le rapport de la Cour, le plan d’investisssement « a, par sa pluriannualité et son volume budgétaire inédit, permis, principalement au niveau régional, par le biais de conventions avec les régions (Pric), d’engager une modernisation des méthodes d’accompagnement et de réaliser un certain nombre d’expérimentations. »
Que reproche donc la Cour des comptes au Pic ? Les principales critiques portent sur la gouvernance et le pilotage du plan.
Le rapport Pisani-Ferry prévoyait de fait que le pilotage du GPI soit assuré, pour chacun des 4 piliers, par un comité interministériel dominé par le ministère concerné – c’est-à-dire, dans le cas du Pic, par le ministère du travail. De fait, il était initialement prévu que des représentants du ministère de l’économie et du ministère des comptes publics participent au comité de pilotage du Pic. En pratique, seul le ministère de l’éducation a été convié, pour les sujets qui le concernaient.
De la même façon, les contrats avec les régions auraient dû être coordonnés par les Dreets, c’est-à-dire les représentants de l’Etat en région sur les questions d’emploi et formation, mais celles-ci n’ayant pas reçu de moyens supplémentaires pour cette mission n’ont pas vraiment pu la conduire à bien.
En somme, le Pic aurait dû être un plan d’investissement déployant une stratégie centralisée. En pratique, il s’est traduit par un abondement de dépenses décentralisées, s’inscrivant dans la continuité de dispositifs de financement déjà existants (notamment le « plan 500 000 » de 2016). En conséquence :
En contrepartie, cependant, le plan a permis aux politiques soutenues, notamment en région, de s’inscrire dans la durée avec un minimum de visibilité. Et il n’est pas certain que la décentralisation de la dépense, confiée aux acteurs de terrain, ait été une si mauvaise chose que cela.
Le rapport de la Cour des comptes reproche au PIC d’avoir abandonné dès le départ l’« ambition de transformation structurelle » du système de formation initialement prévue. Pour autant, cette ambition n’est jamais clairement définie dans le rapport, et on peine à voir de quoi il aurait pu s’agir concrètement.
Elle n’est pas vraiment développée non plus dans le rapport initial de Jean Pisani-Ferry. Celui-ci mentionne bien l’importance d’« édifier une société de compétences », mais les objectifs fixés au Pic lui-même sont très pragmatiques : « rendre l’accès à l’emploi à un million de chômeurs peu qualifiés et à un million de jeunes décrocheurs. Il s’agira de formations longues et qualifiantes, assorties d’un accompagnement personnalisé ».
En somme, les Sages de la rue Cambon reprochent au Pic d’avoir été un simple plan de financement, qu’il semble avoir toujours été. Et on voit difficilement comment un plan d’investissement de 15 milliards d’euros sur 5 ans aurait pu à lui seul transformer la France en « société de compétences ».
En réalité, l’exercice qui consiste à évaluer le Pic indépendamment des autres politiques de développement de la formation peut sembler un peu vain. Que l’on puisse établir ou non des liens de causalité entre les financements du Pic et l’amélioration de tel ou tel indicateur (notamment le nombre d’entrées en formation) est une question intéressante mais très théorique. Le fait est qu’en l’absence du Pic, il y aurait eu moins de ressources pour la formation, et les résultats énumérés plus haut auraient selon toute vraisemblance été moindres.
Le Pic est à évaluer de pair avec la réforme de la formation de 2018, avec laquelle il était conçu pour s’articuler. Or, cette réforme a bien marqué une transformation, au moins partielle, du système de formation français, dans les directions prévues : autonomisation des personnes, modernisation des organismes de formation, dépense de formation conçue comme un investissement, refonte de la gouvernance du système. Indirectement, le Pic a bel et bien contribué au financement de cette transformation. Evaluer sa contribution à la formation/insertion des demandeurs d’emploi en excluant du champ considéré le « CPF autonome », par exemple, est un peu artificiel.
Le rapport de la Cour des comptes contient des détails intéressants quant à l’utilisation des fonds publics mobilisés dans le cadre du Pic. Pour autant, l’exercice même a des limites, et amène les rapporteurs à juger le Pic à l’aune d’objectifs stratégiques généraux en matière de politique de formation professionnelle, objectifs qui dépassent largement son périmètre. Le Pic a bien fait l’objet d’un suivi et d’une évaluation annuelle très appréciable dans un pays réputé (à juste titre, selon beaucoup d’experts) en retard en matière d’évaluation des politiques publiques.
Paradoxalement, la réforme de la formation de septembre 2018 n’a, elle, bénéficié d’aucun dispositif d’évaluation similaire. Cette lacune a du reste été relevée par la Cour des comptes dans son rapport relatif à la réforme publié à l’été 2023. Un rapport d’ailleurs beaucoup plus élogieux que celui qui vient d’être consacré au Pic. L’analyse de ce dernier aurait gagné, incontestablement, à être replacée dans le cadre de celle de la réforme prise dans son ensemble.
Comme nous le rappelions dans notre commentaire du jaune budgétaire 2025, la dépense de formation globale a augmenté de 56% en euros constants entre 2014 et 2023. La dépense publique (Etat, collectivités, établissements publics), hors formation des fonctionnaires, a augmenté de plus de moitié. Dans le même temps, le système a été profondément changé, les organismes de formation se sont modernisés – il est vrai en grande partie sous la nécessité née du Covid – et l’accès à la formation s’est amélioré. Si la « société de compétences » n’est pas encore parfaite, il semble que nous nous en soyons malgré tout plutôt rapprochés.
Crédit photo : Shutterstock / HJBC
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