La Cour des comptes vient de remettre un rapport complet d’évaluation de la réforme de la formation professionnelle. Le volet « formation » de loi « Avenir professionnel » du 5 septembre 2018 portait aussi bien sur le CPF et l’apprentissage que sur la qualité de la formation et le système de certification, tout en réformant de fond en comble l’organisation et la gouvernance du système. Où en est-on de cette réforme systémique, et que reste-t-il à faire ? Nous avons lu pour vous le rapport, et nous nous arrêtons sur certains points qui ne figurent pas forcément dans les synthèses.
Sommaire
France Compétences : une création rapide et plutôt réussie
Les Opco : un déploiement efficace
Du CIF au PTP : était-ce bien nécessaire ?
Certifications : moins d’enregistrements, mais encore peu de contrôles
Qualiopi : plus de 40 000 prestataires certifiés
Les lacunes du système qualité de la formation professionnelle
Le CPF : un franc succès et quelques doutes
Grandeur et déclin de la fraude au CPF
Une utilisation tous azimuts
Au fil des chapitres, le rapport de la Cour des comptes paru le 30 juin 2023 raconte toujours un peu la même histoire. Sur ses différents volets, la réforme d’ampleur qui a été promulguée le 5 septembre 2018 a été mise en œuvre rapidement et efficacement. Des pans entiers du système ont été redéployés. Certains changements sont superficiels, mais beaucoup sont au contraire très substantiels. Pour autant, tout n’a pas pu être mis en place, et beaucoup d’effets secondaires attendus ou inattendus doivent faire l’objet de correctifs. Nous passons en revue les principaux aspects.
La Cour des comptes se montre satisfaite de la rapidité du déploiement de France Compétences, l’organisme créé par la loi de 2018 pour chapeauter le nouveau système. Selon le rapport, « le nouvel établissement public a été rapidement opérationnel » et « remplit de manière satisfaisante ses principales missions ». Et ce d’autant plus que les effectifs étaient limités : en 2019, on comptait 70 emplois à plein temps. En 2023, ce nombre est monté à 91. Le coût de fonctionnement, entre 20M€ et 23M€, est considéré comme « peu élevé » par la Cour.
Le rapport rappelle les principaux chantiers mis en œuvre :
Certaines missions ont été sacrifiées, en revanche. C’est le cas du rôle de coordination que l’agence est censée jouer en matière d’évaluation et d’observation du système de formation, malgré quelques études de qualité. Mais les deux principales réserves des sages de la rue Cambon portent sur la place qu’aurait dû occuper France Compétences dans la gouvernance du système et sur son absence de marge de manœuvre financière.
La transition des 20 Opca aux 11 Opco s’est elle aussi effectuée dans de bonnes conditions, selon la Cour des comptes. Une exception : Constructys, l’Opco du secteur de la construction, n’a pas été véritablement opérationnel avant janvier 2022, pour des problèmes de gouvernance. Mais globalement, les principales missions ont bien été mises en œuvre.
Les Opco ont eu à gérer plusieurs défis, notamment le déploiement de leurs réseaux territoriaux, la gestion de leurs effectifs, et la transformation des compétences internes. Il a fallu basculer en effet d’un rôle de collecteur/gestionnaire vers un rôle de conseil et d’accompagnement, ce qui a supposé d’importantes reconversions du personnel. Au total, les effectifs ont baissé de 6,5%, passant de 5 499 salariés à 5 142 entre 2018 (pour les Opca) et 2022 (pour les Opco).
Les systèmes d’information sont un point faible du dispositif : chaque Opco a développé le sien, sans envisager une architecture d’ensemble. Même si les Opco ont bel et bien mis en place un espace commun pour la gestion dématérialisée des dossiers d’apprentissage.
A noter que les Opco sont de dimensions très différentes, et les montants qu’ils gèrent vont du simple (Uniformation, 300M€ en 2021) au quadruple (Akto ou Opco EP, 1,2 Mds€).
« Le remplacement des Fongecif par les associations Transitions Pro : une réforme à l’utilité non démontrée », titre le rapport. Les Fongecif, rappelons-le, assuraient la gestion du Congé individuel de formation, tout en faisant partie des « bons élèves » parmi les opérateurs du Conseil en évolution professionnelle (CEP). Cette dernière mission leur a été retirée. Au moment où les Fongecif se sont transformés en associations Transitions Pro, les effectifs globaux ont donc baissé d’un tiers, passant de 687 à 417.
A la différence des Opco, en revanche, les associations Transitions Pro ont bénéficié dès le départ d’un système d’information unifié, avec gestion dématérialisée des dossiers.
Globalement, cependant, la transformation s’est traduite par une baisse de la notoriété du dispositif.
En matière de certification, la réforme s’est traduite par une plus grande exigence des conditions d’enregistrement, et donc par une baisse entre 2019 et 2022 du nombre de certifications enregistrées au RNCP (de 2 200 à 1 800, hors titres des ministères) et au répertoire spécifique (de 2 100 à 1 000). La Cour des comptes souhaiterait que l’on mette fin à l’enregistrement automatique des titres ministériels, et que France Compétences puisse examiner ces derniers comme toutes les autres certifications.
France Compétences a par ailleurs le pouvoir de contrôler les organismes certificateurs, mais seules 3 personnes sont affectées à ce service. Le rapport cite l’exemple d’un organisme qui « avait présenté une certification portant sur l’apprentissage de l’orthographe et de la grammaire, tandis que la présentation sur les réseaux sociaux proposait à chacun, grâce à cette formation, de devenir écrivain en recourant au CPF. » La certification a été annulée, puis reposée sous un autre nom, mobilisant encore les ressources de France Compétences… À mi-2022, 135 contrôles avaient été effectués, conduisant à 75 mises en demeure – mais seulement 2 retraits des répertoires.
Le déploiement de la certification Qualiopi s’est fait dans les temps (au 1er janvier 2022). Malgré la complexité de la démarche, les organismes se sont emparés du dispositif : 40 214 prestataires de formation étaient certifiés Qualiopi le 1er août 2022, soit 7 mois après l’entrée en vigueur de l’obligation. « Selon le ministère chargé du travail, ces chiffres sont cohérents avec le nombre d’organismes de formation financés sur fonds publics ou sur les ressources issues des contributions légales, estimé à 33 000 selon les données des bilans pédagogiques et financiers transmis par les organismes de formation aux services de l’État en septembre 2022 ».
Qualiopi est bel et bien en train de « devenir une norme de marché, au-delà de l’obligation légale ». Ce résultat va au-delà des objectifs affichés dans l’étude d’impact de la loi. Celle-ci visait avant tout à s’assurer de la qualité des processus de formation financés sur fonds publics ou mutualisés.
Fin 2022, on recensait 31 organismes accrédités par le Cofrac pour délivrer la certification Qualiopi, et 3 organismes autorisés à le faire en attendant leur accréditation. Un si grand nombre de candidats à l’accréditation est inhabituel, d’autant que plus de la moitié (18) de ces certificateurs sont de nouveaux acteurs de la qualité, attirés par le marché.
Le rapport souligne plusieurs failles dans le dispositif :
Plus généralement, la Cour estime que le Cofrac manque de moyens pour contrôler les certificateurs. Il n’existe aucune limite au nombre de candidatures, et un candidat refusé peut se représenter autant de fois qu’il le souhaite sans délai. En principe rien n’empêche un candidat certificateur de délivrer des labels à la chaîne pendant la période d’instruction de son dossier, de redéposer sa candidature une fois la précédente refusée, et ainsi de suite ! Pour la Cour des comptes, le système existant n’apporte « pas aujourd’hui les garanties attendues dans le champ de la formation professionnelle ».
Le ministère prépare déjà les correctifs par voie d’arrêtés et de décrets sur la plupart des points soulevés par la Cour. Mais ceux-ci ne sont pas suffisants selon cette dernière, qui souhaite qu’un bilan d’ensemble du système qualité soit effectué en 2024.
La désintermédiation du CPF, sa traduction en euros, la création de l’application et du site moncompteformation.gouv.fr ont eu pour conséquence un essor considérable du CPF.
Fin mars 2023, le nombre total de comptes activés s’élevait à 21 millions, contre 8,7 millions avant la réforme. 85% des salariés du privé ont donc activé leur CPF. C’est une transformation considérable du paysage, par rapport aux premières années du CPF où le dispositif peinait à décoller.
La Cour s’est aperçue au passage que les titulaires de 67 ans et plus pouvaient continuer à utiliser leur compte ! Suite à cette découverte, la Caisse des dépôts a verrouillé ces comptes en février 2023.
La réforme s’est également traduite par une utilisation accrue du CPF, tant en nombre de dossiers qu’en montants mobilisés. Les très hauts niveaux atteints en 2021 ont été suivis par une baisse début 2022 et une chute fin 2022 pour revenir aux niveaux des premiers mois de 2020. Cette diminution fait suite aux efforts réalisés par les autorités pour lutter contre la fraude et les utilisations abusives.
Le rapport souligne l’importance de la fraude, mais aussi celle des mesures prises pour l’enrayer. 3 garde-fous ont joué un rôle pour réduire l’accès des organismes de formation à la plate-forme CPF :
Au total, le nombre d’organismes enregistrés dans la plateforme est passé de 21 364 début 2022 à 13 423 fin février 2022, avant de remonter à 15 788 au 1er août 2022, soit tout de même -26% en 7 mois.
Le rapport détaille notamment une offensive des formations à la création d’entreprise début 2022. Entre mars 2021 et mars 2022, le nombre d’organismes proposant ce type de prestation est passé de 2 493 à 4 188. Au 1er trimestre 2022, ces prestations représentaient plus du quart de la dépense totale du CPF. Le gouvernement a réagi en encadrant par décret les prestations visées, conduisant la Caisse des dépôts à suspendre au moins temporairement 2 127 organismes. La situation est ensuite rentrée dans l’ordre.
L’utilisation du CPF atteint-elle ses objectifs ? Pas vraiment, selon la Cour. Certes, la part des moins de 25 ans est passée de 3,5% à 9% des dossiers. La part des salariés peu qualifiés a également augmenté, mais ils restent très minoritaires (22% de titulaires d’un BEP/CAP). L’objectif de certification n’est pas non plus atteint : un tiers des dossiers aboutiraient effectivement à des certifications. Et un part croissante des dossiers (38% en 2022) ne visent pas vraiment à la montée en compétences des salariés.
La Cour enjoint donc le gouvernement à mettre en œuvre le « reste à charge » en le modulant pour lui donner une dimension incitative. Il s’agirait de motiver les bénéficiaires à utiliser leurs droits pour financer les formations les plus utiles à l’économie et au développement des compétences professionnelles.
Le rapport de la Cour des comptes dessine donc une réforme ambitieuse qui a en partie atteint ses objectifs. Mais beaucoup reste à faire, et la « réforme-relai » que l’on attend depuis maintenant de nombreux mois devrait avoir pour mission de combler les lacunes et d’améliorer ce qui peut l’être. Parmi les principaux points soulignés par la Cour, mentionnons la rationalisation des outils destinés aux reconversions, la réponse à la question du financement du système, la finalisation de la gouvernance. Le rapport apporte d’importantes suggestions sur tous ces points, et nous aurons certainement l’occasion de nous y référer souvent dans les mois qui viennent.
Crédit photo : Shutterstock / HJBC
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