Après l’ambitieuse réforme « Avenir professionnel » de 2018, comment aller plus loin sans sombrer dans la réformite ? C’est la question que s’est visiblement posée le cabinet Quintet, composée d’anciens collaborateurs de Muriel Pénicaud, ministre du Travail à l’époque de la réforme. Sans s’afficher comme le programme du candidat Macron, le rapport constitue probablement une base d’inspiration pour celui-ci. 8 000 € de CPF pour les jeunes sans diplômes, fermeture des formations en alternance sans débouchés, apprentissage à tout âge, financement massif des reconversions… Les 12 propositions avancées coûteraient 5 milliards d’euros par an pendant 5 ans.
L’ambition manque un peu de précision, mais sonne bien comme un engagement de campagne : « Faire de la France une nation leader mondial des compétences en 10 ans ». Le rapport du cabinet Quintet aligne cependant derrière ce slogan 3 objectifs et 12 propositions bien concrètes. Ce travail est présenté extensivement sur la page d’accueil du site du cabinet de conseil, qui ne s’étend guère sur ses autres activités.
Composé exclusivement d’anciens collaborateurs de Muriel Pénicaud, l’organisme pourrait bien passer pour un think tank chargé de préparer les positions de la majorité sur ce sujet. On y trouve Antoine Foucher, ancien directeur de cabinet de la ministre du Travail et ancien DGA du Medef ; Alain Druelles, ancien conseiller « formation professionnelle » de la même ministre, et lui aussi ancien permanent du Medef ; mais aussi l’ancien directeur de la stratégie de l’Apec, Bertrand Lamberti, et les juristes Philippine Ray et Damien Delevallée, tous trois anciens membres du cabinet de Muriel Pénicaud.
En tout état de cause, le document du cabinet Quintet constitue la première contribution significative de cette campagne sur le sujet de la formation professionnelle, jusqu’à présent largement absent des débats.
Les propositions du cabinet s’articulent en 3 objectifs :
Les auteurs de l’étude partent de trois priorités gouvernementales : la transition énergétique, les secteurs identifiés par le plan France 2030, la « reconquête de l’appareil productif » prônée par le Haut-Commissariat au Plan. En partant de ce corpus d’intentions stratégiques, le rapport préconise de mettre en place un « volet compétences » qui donne à la France les moyens cognitifs de ces transformations. Les formations préparant aux certifications et aux compétences identifiées dans ce plan bénéficieraient de mesures spécifiques, afin de résorber l’écart entre l’existant et le nécessaire en matière d’offre de formation, et ce en 5 à 10 ans.
3 des 5 mesures proposées pour atteindre cet objectif portent directement sur le financement :
La mesure la plus coûteuse serait la première de ces propositions (l’abondement systématique du CPF), qui mobiliserait un peu moins de 500 M€ sur 5 ans, soit une augmentation annuelle d’un peu moins de 5 % du montant alloué actuellement au CPF. Le CET universel coûterait de l’ordre de 60 M€ aux finances publiques (essentiellement en avantages fiscaux, peut-on supposer). Les bonus aux CFA ne sont envisagés que sur un périmètre de 5 M€ sur 5 ans.
Une 4e mesure équivaut également à une mesure de financement indirect, en solvabilisant le temps passé en formation, par l’intermédiaire de Pôle emploi : les salariés qui démissionneraient pour s’engager dans une « reconversion d’intérêt général » bénéficieraient des allocations chômage. Il s’agirait d’un assouplissement d’une mesure de la loi « Avenir professionnel », qui permet sous des conditions très restrictives de toucher le chômage après une démission. La procédure normale suppose que la commission paritaire interprofessionnelle régionale (CPIR) statue sur le dossier, une formalité dont les salariés qui se reconvertissent dans les métiers identifiés comme stratégiques seraient exonérés automatiquement.
Le coût anticipé pour cette mesure atteindrait 340 M€ sur 5 ans.
Ces propositions seraient rendues possibles et cohérentes par la création d’un outil d’information centralisé, dans lequel seraient référencés à la fois les compétences et métiers visés, les offres d’emploi correspondantes, les certifications concernées et les organismes de formation qui y préparent. Cette plateforme de reconversion en ligne permettrait à chacun de trouver les informations nécessaires à construire son parcours vers un nouveau métier. Le projet prévoit 110 M€ pour mettre en place et entretenir cet outil sur 5 ans.
Au total, ce volet « reconversion » du programme Quintet ne mobiliserait qu’un peu moins d’1 Md € sur les 5 Mds supplémentaires budgétés pour la période 2023-2027. Mais les montants seraient distribués stratégiquement pour maximiser les incitations, tant sur l’offre de formation que sur la demande.
Les auteurs du rapport entendent également mettre en cohérence offre de formation et offre de travail. Il s’agit d’orienter les jeunes et les demandeurs d’emploi vers les formations qui ont des débouchés. La solution imaginée par le cabinet repose tout entière sur le calcul et la diffusion d’un indicateur bien précis : le taux d’insertion dans l’emploi à l’issu de chaque formation. L’idée est de rendre public ce taux pour chaque formation, et de permettre ainsi un choix éclairé des jeunes et des demandeurs d’emploi. Les sections des lycées professionnels qui obtiendraient un taux de moins de 50 % seraient fermées administrativement, les filières d’apprentissages seraient privées de financements dans la même situation.
L’idée peut paraître séduisante dans sa simplicité, d’autant qu’elle ne coûte pas grand-chose (le rapport n’en évalue pas le financement, sans doute jugé négligeable). Une note de la Dares parue cet été suggère cependant qu’il est délicat de juger de la valeur ajoutée d’une prestation de formation sur le seul indicateur « taux d’insertion dans l’emploi » (nuance importante : la note traite des organismes de formation, le rapport parle d’évaluer les formations, probablement au sens large, comme dans « les formations à l’anglais »). Une formation bénéficie-t-elle d’un fort taux d’insertion parce qu’elle est bonne et pertinente, ou parce qu’elle attire des publics employables ? Si l’on supprime une formation qui n’insère que 40 % de ses stagiaires, que deviendront ces 40 % ? Le rapport suggère bien de compléter avec d’autres indicateurs (comme le taux de poursuite d’études), mais il n’est pas certain que l’idée soit très opérationnelle en l’état.
L’affichage systématique des taux d’insertion, en revanche, ne peut que s’avérer utile pour éclairer les choix des individus. Mais il n’est pas certain que les institutions soient actuellement en état de produire systématiquement cette donnée de façon fiable. Un portail de Pôle emploi, labonneformation.pole-emploi.fr, s’y efforce déjà, et collecte des données depuis 2013, par bassins d’emploi. Mais beaucoup de formations ne sont pas renseignées.
Par ailleurs, il y a une forme de contradiction entre cette partie et la précédente : comme le disent eux-mêmes les auteurs, en matière de reconversion, « la principale difficulté consiste, après avoir identifié les secteurs clés (ex : nucléaire, batteries, hydrogène, rénovation énergétique…), à anticiper les compétences nécessaires et organiser leur production en amont, alors que les besoins sur le marché du travail ne sont pas encore massifs. » En appliquant la règle des « moins de 50 % d’insertion », un certain nombre de formations d’avenir seraient ainsi fermées. La question délicate de l’adéquation entre offre de formation et marché de l’emploi ne trouve pas ici de réponse ferme et définitive – sans doute parce qu’il n’y en a pas de simple.
La dernière partie s’intéresse à la dimension individuelle de la formation. Il s’agit de « Donner à chacun le maximum de liberté professionnelle en garantissant un accès simple à une formation de qualité tout au long de la vie ». Curieusement, les rédacteurs estiment que « n’est pas, à proprement parler, corrélé à un objectif de développement économique », ce qui peut paraître étonnant de la part d’auteurs de culture libérale. Faire confiance aux individus pour se former à ce qu’ils veulent en enverra sans doute quelques-uns dans des impasses au moins provisoires, mais on peut supposer que la majorité empruntera une voie qui les conduira à l’emploi, si le marché fonctionne correctement.
De fait, les 4 propositions qui concourent à cet objectif sont les mieux dotées budgétairement. Près du tiers de l’enveloppe supplémentaire totale des 12 propositions est attribué à la mesure la plus chère (1,6 Mds€ sur 5 ans) : réduire d’un quart d’ici 2027 et de la moitié d’ici 2030 le nombre de personnes en situation de difficulté de lecture et de calcul dans la population active française. Cela suppose de multiplier par 30 les formations à CléA, le certificat des compétences de base, qui deviendraient gratuites à tout âge de la vie. Un tel effort passerait par la formation de 500 000 personnes par an et permettrait à la France, mauvais élève de l’OCDE en la matière, de remonter parmi les 3 meilleurs pays à ce point de vue.
Rien n’est cependant précisé sur la façon dont les apprenants seraient amenés à se former, en dehors de l’incitation indéniable que représenterait la gratuité.
La 2e mesure la plus onéreuse du programme (plus d’1 Md€) concerne les jeunes sans diplôme. C’est peut-être la mesure la plus originale, et l’une de celles qui feront couler le plus d’encre. Il s’agirait d’abonder le CPF des jeunes qui ne vont pas plus loin que le bac, à hauteur de 8 000 à 10 000 €. En somme, les auteurs proposent une incitation financière à ne pas poursuivre ses études immédiatement, à entrer directement sur le marché du travail pour reprendre une formation plus tard.
La mesure répond au constat suivant : « alors que plus de 80% d’une génération obtient aujourd’hui son baccalauréat, et plus de 60% se lance dans des études supérieures, le marché du travail est constitué, lui, à plus de 50% par des emplois de niveau ouvrier et employé ». Sans le dire explicitement, le rapport suggère qu’une partie des jeunes seraient ainsi poussés à se former plus tard à des métiers moins prestigieux que ceux auxquels préparent les études supérieures mais présentant des débouchés plus certains.
Il n’est pas certain qu’une telle mesure serait politiquement réalisable, ni que l’objectif de rompre avec la culture française du diplôme serait nécessairement atteint. La proposition a le mérite de mettre le sujet sur la table de façon assez radicale.
L’idée d’ouvrir l’apprentissage à tous les adultes au-delà de la limite actuelle de 30 ans, en revanche, pourrait séduire davantage. Elle sortirait l’apprentissage du giron institutionnel de la formation initiale, ce qui pourrait poser des problèmes politiques. Mais elle permettrait de capitaliser sur l’engouement actuel pour cette modalité pédagogique et généraliserait l’alternance comme voie privilégiée de développement des compétences. 700 M€ y seraient consacrés sur 5 ans.
Dernière proposition, un dispositif collectif d’assurance accompagnement permettrait aux individus de financer des bilans de compétences ou du coaching dans la continuité du CEP. Doté d’un peu plus de 600 M€, ce système vise à concrétiser davantage la prestation d’orientation et, sans doute, à éviter aux bénéficiaires de devoir arbitrer entre faire un bilan et se former, dans l’emploi des fonds de leur CPF.
Cette première contribution formelle à un projet de campagne pour la formation professionnelle livre donc des pistes intéressantes, dont il reste à voir si les candidats se saisiront. Aux 5 Mds€ sur 5 ans que coûteraient les nouvelles propositions, s’ajouterait une intensification de 20 Mds€ des dépenses existantes sur la même période. Par rapport aux ressources pérennes de la formation professionnelle (contribution des entreprises, des Régions et de Pôle emploi), cela représenterait un surcoût de 5 Mds€ par an, qui serait pris en charge par l’État ou par l’emprunt. C’est l’un des grands mérites de l’étude : elle ne cherche pas à dissimuler le coût de ses ambitions, ni à résoudre les problèmes de financement en comptant sur d’hypothétiques économies.
Crédit photo : Shutterstock / SEVENNINE_79
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