La loi « Avenir professionnel » portant réforme de la formation professionnelle fêtera bientôt ses 3 ans, et les autorités parlent déjà de l’adapter. Plus que de corriger le tir, il s’agit de trouver les ressources nécessaires pour faire face, notamment, au succès de l’apprentissage et du CPF. Au même moment, le dernier texte applicatif important vient d’être publié, au sujet du transfert aux Urssaf de la collecte au 1er janvier 2022. Nous faisons le point sur l’état de la réforme et les principales propositions pour l’amender.
La réforme votée le 5 septembre 2018 aura mis plus de 3 ans à entrer en vigueur. 3 dates vont marquer dans les 6 mois à venir l’achèvement de son déploiement.
A compter du 1er juillet 2021, les derniers souvenirs du Droit individuel à la formation (DIF), ancêtre du CPF, seront soldés. Supprimé en 2015, le DIF était libellé en heures, au même titre que la première version du CPF. Avec la monétisation de ce dernier au 1er janvier 2019, les délais de récupération des heures de DIF acquises avant 2015 (et converties en euros à raison de 15€ par heure) avaient été prolongés, d’abord à fin 2020, puis au 30 juin 2021. Ces droits peuvent être dépensés au-delà de cette date, à condition d’avoir été réclamés à temps.
La récupération des heures de DIF est extrêmement simple : il suffit d’entrer le nombre d’heures acquises au 31 décembre 2014 dans l’interface moncompteformation.gouv.fr. Aucun justificatif n’est demandé a priori, mais des vérifications seront effectuées a posteriori. Il faut donc être en mesure de justifier du nombre d’heures saisies. En principe, celui-ci est renseigné sur la fiche paie de décembre 2014 ou sur celle de janvier 2015. Le département RH a également pu envoyer un document aux salariés à l’époque.
La Caisse des Dépôts et Consignation a mis à disposition un tutoriel, qui peut encore être utile dans les dernières heures qui restent, et auquel les DRH peuvent référer les collaborateurs qui se réveillent à la dernière minute.
L’une des mesures les plus marquantes de la réforme de la formation de 2018 aura été la fin, historique, de la collecte des fonds de la formation par les partenaires sociaux. La formation professionnelle et l’apprentissage étaient, avec le logement, les sujets les plus consensuels du dialogue social, des thèmes sur lesquels les représentants des employeurs et des salariés tendaient à parler d’une seule voix face à l’Etat et aux régions. A ce titre, ils ont défendu pendant 50 ans un modèle dans lequel ils fixaient l’essentiel des règles, validées par le législateur, et où la ressource mutualisée des entreprises était collectée et gérée par eux.
C’est ce modèle qui va prendre fin le 1er janvier 2022, après un demi-siècle. Les OPCO, après avoir assuré la transition, ne poursuivront pas la mission de perception assumée par leurs prédécesseurs, les OPCA. Une ordonnance du 23 juin 2021 vient en effet d’inscrire les conditions de la transition dans la loi – même si les décrets d’application sont encore attendus.
Les principaux points à retenir sont les suivants :
L’ordonnance apporte une petite précision : le pourcentage exact de la part principale de la taxe d’apprentissage est à arrondir à 0,59%, et non 0,5916% (soit 87% de 0,68%). En conséquence, le solde (ancien « hors quota ») s’élève à 0,09% (et non 0,0884%).
A noter qu’à partir de 2024, les entreprises pourront également choisir de verser à l’Urssaf leurs cotisations conventionnelles. L’Urssaf les reversera ensuite aux Opco. Il en résulterait une simplification supplémentaire de la gestion pour les entreprises.
Le 1er janvier 2022 est également le moment de la transition vers le nouveau système de certification de la qualité de la formation. Tous les organismes de formation qui souhaitent que leurs prestations soient financées par les Opco ou un autre financeur public ou mutualisé devront avoir obtenu la certification Qualiopi.
Selon la DGEFP, près de 11 000 organismes avaient déjà été certifiés au 15 juin, et un peu plus de 9 000 étaient en cours de certification. 20 000 prestataires sont donc certifiés ou en voie de l’être, à 6 mois de l’échéance. Ces chiffres sont à comparer aux 55 000 organismes référencés sur Datadock. Selon la DGEFP, il y a environ 100 000 organismes de formation dotés d’un numéro de déclaration d’activité. Tous n’engageront pas une démarche de certification Qualiopi : organismes qui n’ont pas ou peu recours aux fonds mutualisés s’en passeront probablement. Sans doute, également, nombre de formateurs individuels se placeront sous l’égide d’un prestataire certifié pour poursuivre leur activité.
Les Centres de formation d’apprentis (CFA), en revanche, n’auront pas le choix. Devenus « organismes de formation » comme les autres avec la réforme, ils devront justifier de la certification Qualiopi pour bénéficier des financements Opco dont ils dépendent largement. Les CFA d’entreprises ne font pas exception à cet égard.
Alors que les principaux volets de la réforme de la formation s’apprêtent ainsi à entrer pleinement en vigueur, le gouvernement et les partenaires sociaux ont déjà lancé une démarche d’évaluation et de réflexion sur son application. Représentants des employeurs et des salariés planchent depuis le 9 avril dans l’espoir d’aboutir à un nouvel accord national interprofessionnel (ANI) sur la question. Or, les ANI sont traditionnellement les brouillons des réformes – même si celui de 2018 n’a été que très imparfaitement suivi par le législateur.
Un thème central est celui du financement. On sait, depuis le début, et même depuis le lancement du DIF en 2004, que les réformes de la formation ne sont financées que si elles ne fonctionnent pas. Or celle-ci fonctionne :
France Compétences devrait ainsi afficher un déficit de 2,5 milliards d’euros en 2021, en raison de la crise qui réduit les recettes, mais aussi du fait de la hausse des dépenses liées à l’apprentissage et au CPF.
La loi exigeant un retour à l’équilibre en 2022, il va falloir trouver de nouvelles sources de financement. Le patronat s’oppose à une augmentation des contributions, le gouvernement ne veut pas réduire le niveau d’alimentation du CPF. Il faudra donc probablement se tourner vers une réduction de la prise en charge de l’apprentissage, une piste déjà envisagée l’été dernier.
Le succès du CPF suscite également des critiques chez les partenaires sociaux. Le Medef trouve que l’entreprise devrait avoir davantage de contrôle sur le contenu des formations, ce qui va à l’encontre de la philosophie de la réforme. Une partie des syndicats rejoint ce point de vue. Les deux premiers types de formation financés sont le permis de conduire (12,8%) et les langues (12%). Pour les partenaires sociaux, ces usages ne sont pas satisfaisants : il faudrait que des mécanismes contraignent davantage le CPF à être utilisé en cohérence avec les besoins en compétences des entreprises.
A première vue, ou pourrait penser que ces doléances ont peu de chances d’aboutir : on voit mal le gouvernement revenir en arrière sur un point aussi central de la réforme de la formation de 2018, à savoir la responsabilisation des individus et l’accessibilité maximale du CPF. Pourtant, il semble que le gouvernement ait répondu à ces inquiétudes, et travaille avec les partenaires sociaux à une grille d’indicateurs permettant d’évaluer l’utilité des formations financées. Cela signifierait un sérieux retour en arrière et une re-complexification du système. Une autre voie pourrait également être suivie, en créant par exemple davantage d’incitations à la co-construction.
Parmi les demandes des partenaires sociaux, la CFTC s’est prononcée, dans le prolongement d’une revendication syndicale de 2018, pour une plus grande association du Comité social et économique (CSE) à l’élaboration du Plan de développement des compétences. Le syndicat suggère notamment une utilisation systématique des procès-verbaux des entretiens professionnels pour évaluer les besoins. Les représentants des salariés s’étaient déjà engagés, en vain, pour une négociation sociale autour du plan de développement des compétences.
A ce stade, il est encore trop tôt pour définir les contours d’une nouvelle réforme de la formation, « correctrice » de la précédente. Les débats, pour le moment, laissent présager des modifications de détail qui risquent d’éroder les quelques gains de la réforme en matière de simplification. Les partenaires sociaux pourraient profiter de l’occasion pour essayer de regagner un peu du terrain perdu lors de la réforme de 2018. Il reste à voir comment le gouvernement réagira. Une chose est sûre : il va falloir trouver des ressources, et il est probable que les grandes entreprises et les formations aux niveaux de certification les plus élevés seront mises à contribution.
Crédit photo : Shutterstock / A Lot Of People
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