L’administration Macron réussira-t-elle, pour la première fois, à susciter une crise sociale à partir d’une réforme de la formation professionnelle ? Traditionnellement, les gouvernements vont plutôt à l’affrontement sur le contrat de travail, et se concilient les partenaires sociaux sur la formation. Certes, il est trop tôt pour être certain d’un passage sans encombre des ordonnances réformant le code du travail ; et la feuille de route de la réforme suivante n’est pas encore connue. Mais plusieurs indices peuvent laisser entrevoir des difficultés sur la formation professionnelle. En cause, notamment : la place des Opca dans le dispositif.
A quoi va ressembler la prochaine réforme de la formation professionnelle ? Après une réforme du droit du travail qui, si elle est votée définitivement, apparaît à beaucoup d’observateurs comme très pro-flexibilité (de l’organisation du travail comme du contrat), les deux volets suivants, assurance chômage et formation, devraient en toute logique apporter la contrepartie « sécurité ». Une sécurité qui, dans le cas de la formation professionnelle, se fonde sur l’accroissement de l’employabilité – même si le lien entre les deux n’est pas aussi fermement établi qu’on ne le présuppose souvent.
Les forces en présence
Les acteurs – Etat, région, syndicats de salariés, organisations patronales, Opca, Pôle emploi, organismes de formation… – ont tous leur opinion sur les priorités et les orientations d’une nouvelle réforme. Les experts, souvent, ont d’autres avis encore. A l’approche de l’échéance, on voit se multiplier les déclarations, d’autant plus vagues et générales que les organismes concernés sont proches du processus de décision : on n’abat pas ses cartes.
Les germes de conflit
Toutes ces formulations parfois vagues dissimulent des enjeux moins explicites. Certains pourraient déboucher sur de véritables conflits entre les acteurs de la formation professionnelle.
Or, le projet macronnien de simplification du CPF prévoit la réorientation directe de l’essentiel des contributions des entreprises en direction de ce dispositif. Les salariés pourraient puiser librement dans leur CPF pour acheter la formation qu’ils souhaitent, pourvu qu’elle soit labellisée. Quel rôle resterait aux Opca dans une telle architecture ? Peut-être la labellisation, justement ; peut-être du conseil, peut-être encore la gestion de tout ou partie de la collecte ?… Ou peut-être rien du tout, même si cette option reste peu probable.
Avant les vacances, l’un des principaux Opca, Opcalia, est passé à l’offensive, commanditant une étude (analysée sur ce blog) qui visait à chiffrer l’apport de l’organisme à l’économie. L’objectif avoué était de démontrer l’utilité des Opca dans leur ensemble et d’Opcalia en particulier, au moment où arrivaient au pouvoir des politiques plutôt favorables à la diminution, voire à la suppression de leur rôle.
Or, les Opca sont gérées par les partenaires sociaux. Des représentants des syndicats de salariés et d’employeurs siègent dans leurs conseils d’administration. Certes, depuis la réforme de 2014, les syndicats ne perçoivent plus le fameux « préciput », prélevé sur la collecte avant la réforme. Mais ils reçoivent du Fonds pour le financement du dialogue social des sommes issues d’une contribution de 0,016% de la masse salariale, dont on ne peut exclure qu’elle serait revue à la baisse si le rôle des partenaires sociaux dans la formation professionnelle perdait en importance. Et quoi qu’il en soit, par effet de structure, les syndicats salariés et patronaux sont plutôt enclins à défendre le rôle des Opca, quitte à les réformer encore. Toucher à cet enjeu vital pour les partenaires sociaux pourrait donc déclencher des réactions inhabituelles de leur part dans le débat sur la formation professionnelle.
En attribuer l’essentiel au financement d’un CPF désintermédié priverait le monde de l’entreprise de tout contrôle sur les fonds de la formation professionnelle. Une issue qui pourrait, là encore, susciter davantage de résistances que le gouvernement ne l’anticipe. Et qui explique sans doute la proposition medefienne d’une nouvelle configuration du « quadripartisme » : la formation des demandeurs d’emploi à l’Etat et aux régions ; celle des salariés et des jeunes aux partenaires sociaux syndicaux patronaux de la branche et de l’entreprise. A noter que derrière cette architecture, on peut deviner la volonté de fusionner l’apprentissage, géré par le public, et le contrat de professionnalisation, géré par les partenaires sociaux, au profit de ces derniers.
Le point clé : la méthode
En définitive, ce qui risque de déterminer l’issue de la réforme est le choix de la méthode. Les ordonnances sur le travail ont fait l’objet d’une concertation avec les syndicats : ceux-ci ont été associés aux travaux, ont pu donner leur avis, leurs orientations. Mais le gouvernement a décidé seul du contenu des ordonnances.
La loi du 31 janvier 2007 sur le dialogue social rend obligatoire cette phase de concertation, préalablement à toute loi touchant aux relations de travail, à l’emploi et à la formation professionnelle. Elle laisse également ouverte la possibilité, pour les partenaires sociaux, d’ouvrir une négociation, débouchant dans l’idéal sur un accord national interprofessionnel. Celui-ci est alors traduit en projet de loi par le gouvernement, puis soumis au Parlement. C’est de cette façon que se sont déroulées la plupart des réformes de la formation professionnelle depuis 1970.
La question de la méthode retenue est donc cruciale : en se disant jeudi dernier « très preneuse » d’une négociation interprofessionnelle, Muriel Penicaud, ministre du Travail et de la formation professionnelle, a semblé ouvrir la porte à un processus « classique », laissant l’initiative aux partenaires sociaux. Mais en réalité, la tenue ou non d’une négociation est tout entière à l’initiative de ces derniers : le gouvernement ne peut ni l’imposer ni la refuser. En revanche, il oriente la négociation, si elle a lieu, en fournissant aux partenaires sociaux ses éléments de diagnostic et les solutions qu’il envisage. Et l’accord national interprofessionnel issu éventuellement de la négociation n’est pas nécessairement transformé tel quel en loi. Le gouvernement dispose donc d’une vaste marge de manœuvre pour faire avancer sa vision des choses. Tout dépendra de l’écart entre les attentes des uns et des autres, et de leur perception de cet écart.
Dans l’histoire sociale récente, le seul véritable exemple d’un recul gouvernemental complet sous la pression de la rue est l’épisode du CPE, le contrat première embauche lancé par Dominique de Villepin en janvier 2006. Le Premier ministre avait alors choisi de se passer totalement de concertation avec les partenaires sociaux – pas davantage avec le Medef qu’avec les syndicats de salariés. D’expérience, aucune réforme ne passe si l’intégralité des syndicats s’y oppose. Sans doute le respect de la procédure et de la place du dialogue social par le gouvernement écarte-t-il, dans le cas présent, la perspective d’un blocage total. Mais il est peu probable que les partenaires sociaux se laissent dépouiller d’un pan entier de leur mission historique sans réagir. La réforme qui s’annonce pourrait s’avérer moins paisible que les précédentes.
Crédit photo : fotolia/Olivier Le Moal
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