Comme nous l’évoquions dans notre article sur les programmes des candidats, la formation professionnelle a introduit dans cette campagne, à travers un questionnement sur l’avenir des Opca, un sujet aussi essentiel que mal connu : le rôle du paritarisme de gestion. Dans la protection sociale, le logement, l’assurance-chômage, la formation professionnelle, les partenaires sociaux (salariés et employeurs) conservent un rôle considérable dans le pilotage du modèle social français. Régulièrement critiqué, ce mode de gestion a fait l’objet récemment d’un rapport de l’Institut Montaigne. Principaux points relatifs à la formation professionnelle.
En France, de larges pans du modèle social sont gérés par les partenaires sociaux de façon paritaire, c’est-à-dire par des conseils d’administration composés à égalité de représentants des salariés et de représentants des employeurs. Le rapport de l’Institut Montaigne a le grand mérite de peindre un tableau global de ce modèle, d’en retracer l’historique et d’en chiffrer les grandes masses.
Le paritarisme de gestion est né, pour l’essentiel, dans l’après-guerre. Les ordonnances de 1945 et les grandes réformes sociales qui ont suivi créent la Sécurité sociale et en confient la gestion aux représentants des salariés et des employeurs. Après 1967, la représentation devient paritaire dans les caisses de Sécurité sociale : une moitié de représentants des salariés, une moitié de représentants des employeurs.
Progressivement, le paritarisme de gestion s’étend à d’autres domaines des politiques sociales : le logement (1953), le chômage (1958), la retraite complémentaire (obligatoire à partir de 1972), et bien sûr la formation professionnelle, après l’accord national interprofessionnel de 1970 et la loi de 1971.
Le rapport permet de se faire une idée de ce que représente la formation professionnelle dans cet ensemble. Une précision : l’assurance maladie et la retraite de base, qui continuent à compter dans leur organigramme des instances paritaires, n’ont plus de véritable autonomie depuis les réformes Juppé de 1995-96. On ne les compte donc plus dans le périmètre du « paritarisme de gestion ».
Malgré cette limitation, on arrive tout de même à un total de 150 milliards d’euros gérés par des organismes paritaires. Les principales grandes masses sont les suivantes :
La formation professionnelle représenterait donc le 3e poste, et un peu moins de 10% des fonds gérés par les partenaires sociaux. Le chiffre retenu par l’Institut Montaigne est cependant discutable. Il ne correspond heureusement pas aux fameux « 32 milliards » souvent cités, qui incluent également les dépenses des Régions et de l’Etat. Mais il comprend les dépenses directes des entreprises, y compris la rémunération des stagiaires pendant leurs formations sur le temps de travail. Ces dernières sommes ne sont pas gérées, par définition, par les partenaires sociaux. Si l’on s’en tient aux sommes collectées par les Opca et les Opacif, on se situerait plutôt autour de 6,75 milliards d’euros (collecte 2015 selon le jaune budgétaire).
Les organismes engagés dans la formation professionnelle et dont la gestion est paritaire incluent :
L’Institut Montaigne inclut également l’Afpa dans le champ du paritarisme de gestion. Les partenaires sociaux y sont, de fait, représentés au conseil d’administration, à côté de représentants de l’Etat et des régions.
Trois facteurs de crise du paritarisme de gestion sont identifiés :
Un 4e facteur, la culture contestataire du syndicalisme français, concerne moins la formation professionnelle, traditionnel bastion du consensus entre partenaires sociaux.
Face à ce constat, l’Institut Montaigne offre une « dernière chance » au paritarisme de gestion, avant d’envisager les alternatives : l’étatisation ou la privatisation.
Pour y parvenir, il propose d’abord des solutions transversales à l’ensemble des organismes concernés – y compris, donc, aux Opca :
Viennent ensuite les solutions propres à chaque domaine (chômage, retraite, logement, formation).
Aujourd’hui, le système de formation professionnelle est géré dans le cadre d’un « quadripartisme », alliant Etat, régions, représentants des salariés et représentants des employeurs. Mais trois logiques se mêlent dans les dispositifs :
Pour l’Institut Montaigne, il faudrait clarifier les rôles des différents acteurs sur ces trois objectifs.
La gouvernance globale du système, qui comporte trop d’organismes différents (le rapport liste « COPANEF, CNEFOP, FPSPP, COPAREF, CREFOP, CPNE de branche, etc. »), devrait être revue.
Enfin, il faudrait réformer les Opca « en revoyant leur nombre, leurs missions et leurs modalités de gestion ». Cela supposerait notamment de les positionner encore davantage « comme offreurs
de services aux entreprises, en adéquation avec les besoins et les attentes des entreprises ». Mais aussi d’imaginer « un nouveau partage des rôles entre OPCA et URSSAF »… On devine, en filigrane, que l’Urssaf prendrait en charge la collecte.
Sur tous ces points, le rapport s’avère finalement assez peu explicite. Il y est question, dans la continuité des précédent travaux de l’Institut, de s’orienter vers une désintermédiation entre individus et organismes de formation, avec création d’un véritable marché assaini par la labellisation des prestataires. Dans le même temps, l’Urssaf collecterait les fonds. À terme, on n’est pas très sûr qu’une telle évolution conserve véritablement un rôle très significatif aux Opca, déjà réduits au nombre de 20 et qu’il faudrait encore regrouper. Centré davantage sur l’assurance chômage et la retraite complémentaire, le rapport laisse-t-il finalement véritablement une « chance au paritarisme de gestion » dans la formation professionnelle ?
Le projet évoque assez, dans son inspiration si ce n’est dans le détail, celui du candidat Macron, explicité récemment par l’économiste Marc Ferracci dans Le Point : « L’objectif est de renforcer les droits individuels à la formation via le compte personnel d’activité (CPA) ». Les salariés achèteraient directement leurs formations aux prestataires. « La formation professionnelle deviendrait ainsi un vrai marché, ce qu’elle n’est pas aujourd’hui. Le rôle de l’État serait d’organiser la labellisation. » Une opinion que Marc Ferracci ne sort pas brusquement du chapeau : il s’en faisait déjà l’écho sur ce blog en 2015 !
Crédit illustration : fotolia/alexlmx
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