Face aux difficultés de recrutement, les entreprises choisissent de plus en plus souvent de former elles-mêmes les profils qu’elles embauchent. Nous avons déjà évoqué les leviers de financement qu’elles peuvent mobiliser dans ce sens auprès de Pôle emploi. L’alternance, également, est un moyen de recruter en formant et en bénéficiant d’aides financières. Techniquement, on peut considérer qu’il s’agit également d’un type de formation à l’embauche ! Même si la relation de travail, dans un cas comme dans l’autre, ne se poursuit pas toujours. La Dares nous permet d’en savoir un peu plus sur les profils et les parcours de ces salariés.
Tout recrutement s’accompagne, presque par définition, d’un effort de formation. Le salarié « clés en mains » n’existe pas. Il faut apprendre à connaître le contexte de l’entreprise, les équipes, les outils – ou, si les outils sont déjà maîtrisés, la façon dont ils sont configurés et utilisés. Le plus souvent, cette phase formative est courte et informelle, et se confond avec le processus d’onboarding.
Face aux pénuries de compétences, cependant, les entreprises sont amenées à recruter des profils de plus en plus éloignés de la description de tâches du poste à pourvoir. Et donc à organiser la formation en bonne et due forme des nouveaux embauchés. Le plus souvent, ces formations sont organisées en interne. Elles peuvent également être réalisées par un organisme externe, financé sur le plan de formation de l’entreprise. Il est difficile de mesurer l’ampleur du phénomène. Mais nous disposons de données sur une catégorie particulière de nouveaux embauchés : ceux dont la formation bénéficie de financements publics. Les données de la Dares nous permettent d’avoir un aperçu du phénomène sur deux principaux publics :
Au total, ce sont donc environ 1,2 million de personnes qui ont bénéficié d’une formation financée dans le cadre d’un accès à l’emploi en 2021. En 2022, le chiffre définitif sera probablement plus élevé. Et ces données ne comprennent pas les salariés dont la formation est financée exclusivement via leur CPF (sans abondement public).
En 2021, selon les chiffres de la Dares, Pôle emploi a financé ou co-financé un peu moins 800 000 formations de demandeurs d’emploi. Parmi ces derniers, 350 000 (soit 44%) ont suivi une période de stage en entreprise.
Ce chiffre recouvre en réalité deux publics différents :
La finalité de ces périodes de formation diffère suivant les cas.
Ces publics sont de tous âges, même si les jeunes représentent 29% des demandeurs d’emploi sortis de formation. Ceux qui ont réalisé leur formation entièrement en entreprise sont un peu plus souvent non diplômés (n’ayant pas le bac).
En valeur absolue, ces chiffres permettent de reconstituer la présence d’environ 145 000 salariés engagés dans une démarche d’adaptation au poste de travail via la formation de type POE ou AFPR (en entreprise, partiellement en entreprise ou hors entreprise). Ces démarches aboutissent à un emploi 6 à 9 mois après dans 36% des cas (soit un peu plus de 50 000 stagiaires embauchés), dont un peu plus de la moitié en CDI (soit un peu moins de 28 000 personnes). Les stagiaires qui effectuent leur formation intégralement dans l’entreprise sont plus souvent embauchés que les autres (46% contre 36% en moyenne), et plus souvent en CDI (59% contre 53%).
En résumé, les données nous permettent de dire que sur 800 000 demandeurs d’emploi formés en 2021, 145 000 l’étaient dans le cadre d’un projet de recrutement, qui a abouti dans un peu plus d’un cas sur 3. Le fait de réaliser la formation entièrement en entreprise fait monter cette probabilité, mais on reste en dessous d’un cas sur deux.
Attention : les autres demandeurs d’emploi (ceux qui se forment en vue d’une certification ou dans le cadre d’une formation préparatoire) ont également pu être embauchés, même si ce n’était pas le but explicite du dispositif. La Dares ne nous donne cependant pas ces chiffres.
Même si le million d’apprentis n’a pas été atteint et constitue vraisemblablement un objectif inatteignable, l’année 2022 aura vu le nombre total de nouveaux alternants (contrats de professionnalisation + apprentis) approcher de cette barrière symbolique. Fin novembre 2022, on recensait 809 125 apprentis entrés en formation depuis le début de l’année, et 108 109 nouveaux contrats de professionnalisation. Soit au total 917 134 alternants. En décembre 2021, 37 000 nouveaux alternants étaient entrés en formation ; en tablant sur un résultat similaire, la barre des 950 000 alternants sera bien franchie en 2022.
Ce public est essentiellement constitué de jeunes de moins de 30 ans, si l’on excepte les quelques 60 000 nouveaux bénéficiaires adultes du contrat de professionnalisation. Le taux d’insertion dans l’emploi est nettement plus élevé que pour les stagiaires de Pôle emploi (36% en moyenne, voir ci-dessous). Selon une autre étude de la Dares (janvier 2022), les deux tiers (65%) des apprentis de 2021 qui ne poursuivaient pas leurs études à la sortie de leur formation étaient en emploi 6 mois plus tard, dont 6 sur 10 en CDI. Les chiffres concernent les niveaux CAP à BTS, et excluent donc les alternants très diplômés, dont les taux d’insertion sont probablement supérieurs.
La formation en entreprise suscite globalement l’approbation tant des employeurs que des stagiaires. 90% des demandeurs d’emploi en formation ayant effectué une période en entreprise estiment que celle-ci a été utile. Les trois quarts estiment s’être sentis bien intégrés à l’équipe. Ceux qui n’ont fait qu’une partie de leur formation en entreprise se sont plus souvent vus confier des tâches ou des missions (63%) que ceux qui effectuaient toute leur formation en entreprise (43%), mais cela peut s’expliquer par la finalité même des formations (le plus souvent certification dans un cas, le plus souvent insertion dans l’autre). Seuls 8% déclarent s’être sentis exploités.
Du côté de l’alternance, le niveau de satisfaction est comparable : 88% du côté des employeurs et 87% pour les alternants eux-mêmes, selon la 2e édition de l’Observatoire de l’alternance (groupe Adecco). Dans le détail, les employeurs sont plus souvent « très satisfaits » (63%) que les alternants (43%). Ces derniers estiment pour la plupart d’entre eux (94%) qu’ils n’ont pas vraiment bénéficié d’un parcours d’intégration dans l’entreprise, 72% des employeurs ne se sont pas donné la peine de former les tuteurs.
Les entreprises ont de plus en plus souvent recours à l’alternance comme « renfort humain » (49% contre 43% l’année dernière), et 30% choisissent cette voie de recrutement du fait des aides gouvernementales. Avec de potentiels effets pervers : selon une nouvelle étude de la Dares, la hausse de l’alternance pourrait être responsable d’un cinquième du recul de la productivité observé en France depuis 2019 ! Le fait de privilégier des salariés présents uniquement une partie du temps et qui apprennent leur métier en cours de route pèse sur les chiffres. Il faudra attendre quelques années et la stabilisation des dispositifs de financement pour juger de l’effet global des politiques publiques en la matière : peut-être assistons-nous simplement à une période de transition pendant laquelle une partie du poids de la formation se voit transféré du monde éducatif vers l’entreprise ?
Crédit photo : Shutterstock / Studio Romantic
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