L’ardoise du CPF s’allonge, et les acteurs de la formation sont divisés quant aux solutions à adopter pour la financer. Non seulement en 2022, mais sur la longueur. Gouvernement, patronat, syndicats, experts et formateurs ont chacun leurs opinions sur la question. Les réponses entrent, selon nous, dans 8 grandes familles de mesures.
Sommaire
La dépense CPF : sky’s the limit
Piste 1 : Faire payer les particuliers
Piste 2 : Réduire le champ des formations finançables
Piste 3 : Réintermédier l’accès
Piste 4 : Cibler les publics
Piste 5 : Augmenter la contribution des entreprises
Piste 6 : Réglementer les tarifs
Piste 7 : Fixer une enveloppe maximale
Piste 8 : Ne rien faire du tout
La dépense CPF va dépasser les 2,6 Mds€ en 2022. C’est environ la moitié de la contribution obligatoire à la formation professionnelle (hors taxe d’apprentissage), qui s’est élevée à 5,4 Mds€ en 2021, selon le dernier Jaune budgétaire. Or celle-ci doit également financer le plan de développement des compétences des entreprises de moins de 50 salariés, le contrat de professionnalisation, le CEP et la formation des demandeurs d’emploi. Certes, c’est surtout le succès de l’apprentissage qui pèse sur les finances de France Compétences. Mais la montée en puissance du CPF après sa désintermédiation n’arrange rien et fait craindre une croissance exponentielle d’une dépense considérée comme n’étant pas toujours très bien ciblée.
Les autorités parlent donc de prendre des mesures. Selon les informations des Echos, elles l’auraient sans doute déjà fait, dans le cadre des débats sur la loi des Finances 2023, si la CFDT ne leur avait pas rappelé que les partenaires sociaux étaient déjà engagés dans une négociation sur ce sujet. Un texte paritaire est en effet prévu pour la fin du mois de novembre.
A ma droite, une contribution assise sur la masse salariale, au rendement dépendant de la conjoncture. A ma gauche, une dépense laissée au libre arbitre des bénéficiaires, dans la limite des droits acquis, dont la somme totale augmente d’année en année. Entre les deux, aucun mécanisme ne permet d’instaurer une équivalence entre les deux sommes. Comment s’assurer que le CPF soit financé ?
Il y a selon nous au moins 7 types de pistes d’action. Certaines sont expressément défendues par tel ou tel acteur de la formation professionnelle. D’autres non. En théorie, elles se ramènent toutes à 2 groupes de réponses : augmenter les ressources ou réduire la dépense. Certaines pistes agissent sur ces deux leviers simultanément.
C’est la solution envisagée par le gouvernement, selon Les Echos. Une économie de 800 M€ pourrait être réalisée en instituant un reste à charge obligatoire de 20% à 30% pour le bénéficiaire du CPF. L’idée est à la fois de compléter le financement et de responsabiliser les consommateurs de formation. Une participation financière obligerait, suppose-t-on, les particuliers à réfléchir avant de mobiliser leur compte. Il y aurait donc à la fois une augmentation des ressources et une possible réduction de la consommation. Ou en tout cas, un meilleur ciblage de la dépense.
La mesure pourrait être partielle : les demandeurs d’emploi, qui représentent 30% des dossiers CPF, seraient exemptés de ticket modérateur. La participation pourrait également être modulée en fonction des publics, du niveau des formations choisies, des thématiques.
Le patronat est favorable à cette mesure, les syndicats s’y opposent. FO suggère que le conseil en évolution professionnelle (CEP) pourrait servir d’instance de validation des projets de formation. Ceux qu’il approuve n’auraient pas à payer de reste à charge. Le CPF « libre » tel qu’il existe aujourd’hui, sans intermédiation, continuerait donc à exister, mais il aurait un coût.
Il est probable qu’une forme ou une autre de participation financière des bénéficiaires sera retenue par le gouvernement. Pour information, 8% des dossiers CPF de 2022 ont fait l’objet d’un cofinancement de la part de l’apprenant (contre 11% en 2020), pour un montant moyen de 414€ par dossier.
Chiffres : Caisse des Dépôts et Consignations
Un autre moyen de diminuer la dépense tout en améliorant son rendement consisterait à réintroduire des limitations au champ des formations finançables avec le CPF. Depuis la réforme de 2018, toutes les formations préparant à une certification inscrite soit au RNCP, soit au répertoire spécifique, sont accessibles. S’y ajoutent, hors répertoires, le permis de conduire, le bilan de compétences et les formations à la création/reprise d’entreprises. Or, la part de ces trois dernières catégories d’actions est passée de 25% à 35% du total entre 2020 et 2022.
Chiffres : Caisse des Dépôts et Consignations
Une première façon de limiter le nombre de formations finançables par le CPF consiste à faire appliquer la loi existante, afin d’évacuer les profiteurs et les fraudeurs. La Caisse des Dépôts fait ainsi la chasse aux formations à la création d’entreprises qui n’en sont pas vraiment : seules les formations liées directement à la pratique de la direction d’entreprise, de la comptabilité ou des RH sont acceptées. Selon Les Echos, l’écrasante majorité des 3 828 organismes de formation concernés a subi des mesures de bannissement temporaire (9 mois pour la moitié d’entre eux, 3 mois pour un tiers). Le gouvernement entend également s’attaquer au démarchage téléphonique, pour limiter les arnaques au CPF. Malgré les mesures mises en œuvre, la fraude semble cependant s’être poursuivie à haut niveau en 2022, selon Tracfin.
Mais réduire le champ des formations accessibles via le CPF peut aussi passer par un changement de critères. Par exemple, exclure les formations qui ne préparent qu’à des blocs de compétences ; se concentrer sur certains niveaux de certification ; ou encore, prioriser certains grands domaines de formation. La difficulté de cette option consiste à trouver une définition claire et compréhensible des formations éligibles, sans revenir au complexe système de listes qui existait avant la réforme de 2018.
Si la lutte contre la fraude fait l’unanimité, la limitation des certifications éligibles ne fait pas partie des principales propositions des acteurs de la formation.
Les partenaires sociaux, qui ont perdu le contrôle du CPF avec la réforme de 2018, seraient partants pour réinstaurer une forme ou une autre de contrôle à l’entrée. Pour accéder à son CPF, un salarié devrait ainsi justifier de l’apport de son projet de formation à son efficacité dans son poste actuel, ou à son parcours professionnel futur. L’idée est de s’assurer que la dépense CPF contribue à la productivité, à la croissance et à l’emploi.
Un tel projet suppose qu’une instance – entreprise, Opco, CEP ou autre – examine la pertinence du projet avant de débloquer les fonds. Ce serait donc la fin du CPF désintermédié voulu par la précédente réforme. Le bénéficiaire aurait des comptes à rendre. Il n’est pas sûr qu’une mesure aussi contraire à la philosophie de l’appli MonCompteFormation soit soutenue par le gouvernement, mais cela n’est pas exclu non plus. Les partenaires sociaux étant fort susceptibles de proposer un dispositif de ce genre, le gouvernement sera contraint de se prononcer. La proposition de FO mentionnée plus haut, qui allie piste 1 et piste 3 (accès sur dossier à l’exemption du ticket modérateur), semble être une option plausible.
Une autre possibilité consisterait à limiter les publics bénéficiaires. Par exemple en instaurant une condition de ressources ou de niveau maximum de qualification. Une telle mesure ne serait concevable qu’en l’associant, là encore, à la piste 1 et/ou à la piste 3. Par exemple, un cadre ou un diplômé du supérieur devrait dans tous les cas payer un ticket modérateur, et/ou devrait faire valider son projet de formation, là où un employé ou un non-diplômé serait exempté de ces formalités. Sous cette forme, cette piste est envisageable, mais ce serait un départ significatif par rapport à la philosophie universaliste du CPF.
Une piste privilégiée par certains syndicats, mais exclue par le patronat et le gouvernement, serait tout simplement d’augmenter la contribution des entreprises. La réforme de 2018 a maintenu le taux global de 1,68% de la masse salariale pour les entreprises de plus de 10 salariés (dont 0,68% pour l’apprentissage). Il est très peu probable que cette option soit choisie à court terme.
Le CPF coûte-t-il si cher parce qu’il pousserait les prix de la formation vers le haut ? Il est difficile de le dire avec certitude. Les données de la CDC montrent cependant une baisse de la durée des formations financées par le CPF ; dans le même temps, le coût moyen a également reculé, mais pas dans les mêmes proportions. Résultat : le coût horaire des formations CPF a augmenté significativement, passant de moins de 13€ en 2020 à près de 18€ en 2022 (sur les 10 premiers mois).
Chiffres : Caisse des Dépôts et Consignation
Bien sûr, on ne peut pas en déduire que les organismes de formation ont augmenté leurs tarifs : la répartition des thèmes de formation a en effet évolué dans le même temps, comme nous l’avons vu. Pour autant, les dispositifs d’aide et de subvention sont notoirement inflationnistes en marché ouvert (c’est le cas dans le logement) ; il ne serait pas surprenant qu’un effet de ce type soit mesuré dans le secteur de la formation.
Comment y remédier ? Dans l’apprentissage, il y a les coûts-contrats. Pourrait-on imaginer un dispositif analogue dans la formation professionnelle ? Sur le papier, sans doute, mais outre qu’une telle initiative serait très complexe à mettre en œuvre, elle irait largement contre le mouvement confirmé réforme après réforme en faveur d’une « libéralisation » du marché de la formation.
Aucune des solutions précédentes ne résout le problème de fond : aucun mécanisme n’assure la concordance entre les ressources de France Compétences (hors subvention de l’Etat) et le coût du CPF. Un moyen simple d’y parvenir serait de procéder comme pour le projet de transition professionnelle (ex Cif) : une fois que la ressource annuelle est dépensée, on ferme les vannes. France Compétences fixerait en début d’année le budget alloué au CPF, et la CDC ne le dépasserait pas. En fin d’année, le CPF serait inaccessible.
La sélection pourrait se faire en mode « premier arrivé, premier servi », ou passer par une version de la piste 3 (admission sur dossier) ou de la piste 4 (condition de ressources ou de niveau de qualification).
L’esprit de l’outil changerait assez radicalement, mais la cohérence budgétaire serait au rendez-vous. A notre connaissance, personne ne préconise cette solution.
Pourquoi, après tout, faudrait-il agir ? En réalité, à ce stade, le dépassement n’est pas aussi spectaculaire qu’il n’y paraît. L’étude d’impact de la réforme de 2018 anticipait le fait qu’en rythme de croisière, le CPF allait coûter bien davantage qu’à ses débuts, les salariés ayant accumulé de plus en plus de droits. La dépense CPF prévue pour 2022 au moment de la réforme se montait à 2,3 Mds€ : avec 2,6 Mds€, nous ne sommes pas si loin du compte. Et l’évolution dans le temps montre plutôt une stabilisation.
Il serait donc tout à fait envisageable de laisser le dispositif en l’état. France Compétences, après tout, n’est pas une entreprise qui se devrait de présenter des comptes en équilibre, mais une sorte d’agence gouvernementale qui répartit des crédits. Il n’y a aucune raison pour que les recettes de la contribution formation rencontrent a priori les dépenses, et aucun mal, en soi, à ce que l’Etat prenne en charge la différence.
L’avantage de cette solution serait de pérenniser un droit concret à se former, de favoriser le réflexe du développement des compétences, et accessoirement de soutenir le secteur de la formation. L’inconvénient est que la dépense n’est pas nécessairement optimale : des publics qui n’en ont pas nécessairement besoin financièrement en bénéficient, et les formations achetées ne contribuent pas nécessairement à l’économie. Et dans le contexte actuel de limitation globale des dépenses, l’option n’est pas la plus vraisemblable.
A l’heure actuelle, une combinaison des pistes 1 (ticket modérateur du bénéficiaire) et 3 (contrôle du dossier a priori par un intermédiaire) semble l’option la plus probable. Une dose de solutions « piste 2 » (moins de formations éligibles) et « piste 4 » (ciblage des publics) n’est pas non plus exclue. Le CPF n’en est sans doute pas à ses derniers ajustements. Force est de constater cependant que l’outil semble bel et bien s’installer dans la durée.
Crédit photo : Shutterstock / EFKS
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