4,622 Mds € : le déficit de France Compétences en 2020

Dans son 2e rapport d’activité, paru en juin, France Compétences affiche un déficit de 4,622 milliards d’euros. Ce résultat est lié à la crise sanitaire d’un côté, au succès de l’apprentissage et du compte personnel de formation de l’autre. Alors que l’année 2021 laisse entrevoir un déficit de l’ordre de 3 milliards, la question du financement à long terme de la réforme de 2018 se pose à nouveau avec acuité. Les partenaires sociaux s’apprêtent à proposer des pistes de solution.

 

Un déficit à la fois structurel et conjoncturel

Le déficit affiché par France Compétences en 2020, tel que présenté dans son 2e rapport d’activité, découle de deux causes principales :

  • La baisse des ressources liées à la crise sanitaire, associée à des dépenses exceptionnelles (causes conjoncturelles) ;
  • L’augmentation des dépenses liées à la réforme (cause structurelle).

La baisse des ressources

Les ressources de la formation professionnelles ont subi un manque à gagner évalué à 1,1 milliards d’euros, selon le rapport d’activité de France Compétences. Les contributions légales perçues par l’organisme se sont élevées à un peu moins de 4,5 milliards d’euros. Hors versements volontaires et conventionnels, les OPCO avaient collecté 5,43 milliards d’euros en 2020. Ces chiffres ne sont pas totalement comparables entre eux : dans cette période de transition du système de financement, les périmètres ne sont pas stabilisés.

La baisse est bien sûr une conséquence du ralentissement de l’économie et de la moindre activité des entreprises dans la crise sanitaire. Le PIB de la France a diminué de 7,9% en 2020, même si les mesures d’accompagnement ont pu limiter l’impact immédiat de ce recul sur les entreprises et les ménages.

L’augmentation des dépenses d’apprentissage

Les dépenses liées à l’apprentissage ont connu une augmentation considérable en 2020 (+44%).  L’effondrement des recrutements en contrats de professionnalisation est loin de compenser les effets de cette hausse. Or l’apprentissage est financé en grande partie par France Compétences par le biais du mécanisme de la péréquation interbranches.

Cette hausse découle d’une conjonction de facteurs structurels et conjoncturels.

  • Facteur conjoncturel : l’aide exceptionnelle à l’embauche d’alternants, mise en place par le gouvernement dans le cadre de l’accompagnement de la crise, a incontestablement joué un rôle majeur dans la hausse des recrutements en apprentissage.
  • Facteurs structurels : la réforme a confié à France Compétences et aux Opco le financement de l’alternance, y compris la reprise du stock existant de contrats d’apprentissage, jusqu’à présent financés par les régions. Dans le même temps, la création des CFA et le recours à l’apprentissage ont été considérablement simplifiés, notamment par la suppression de l’autorisation régionale préalable pour les nouveaux CFA.

L’articulation de la réforme et des aides gouvernementales se traduit directement dans les comptes de France Compétences : 5,85 milliards d’euros ont été consacrés à ce poste. A lui seul, l’apprentissage a donc coûté davantage que les contributions des entreprises n’ont rapporté. Sur ce montant, 3,3 milliards d’euros correspondent à la reprise du stock de contrats existants.

Le succès du CPF

La désintermédiation du compte personnel de formation (CPF) et le lancement en novembre 2019 de l’application mobile et de l’interface web Mon Compte formation ont stimulé le recours au CPF, dont le financement transite par France Compétences. Selon la Caisse des dépôts et consignations, gestionnaire du dispositif, près d’1,2 millions de dossiers ont été déposés entre le 21 novembre 2019 et le 31 décembre 2020 (soit un peu plus que la période d’un an couverte par le rapport d’activité). Le coût total s’est élevé à 1,44 milliards d’euros. Pour 2020 stricto sensu, France Compétences fait état d’une dépense de près de 1,2 milliards d’euros pour le CPF. Soit un tiers de plus que les 900 millions d’euros environ dépensés en 2018 et probablement en 2019 (même s’il faudra attendre le Jaune Budgétaire 2022 pour être fixés sur 2019).

Le succès du CPF aura donc coûté environ 2 à 300 millions d’euros de plus que prévu à France Compétences.

 

Comment financer le déficit ?

On le sait depuis le début : la réforme de 2018 pose un problème de financement majeur, surtout… si elle fonctionne. Un rapport IGF-IGAS d’avril 2020 identifiait déjà l’apprentissage et le CPF comme les deux sources potentielles de déficit. Le rapport, conçu avant l’épidémie, projetait un déficit cumulé de 5 milliards d’euros pour 2020-2023. On atteint déjà presque ce montant pour la seule année 2020, sur le seul périmètre de France Compétences.

Le rapport identifiait des pistes d’économies à hauteur de 4,8 milliards sur la période 2020-2023. Les principales mesures proposées reposent sur la baisse de la prise en charge des contrats d’apprentissage, en particulier ceux qui portent sur des diplômes de niveau licence et au-delà.

Les partenaires sociaux ont entamé depuis mars 2021 un travail d’évaluation de la réforme de 2018. Le besoin de financement fait partie des principaux sujets abordés, et fait l’objet de plusieurs propositions. Les divergences de vues entre les parties limitent cependant significativement l’étendue des possibles. Le Medef a proposé aux autres partenaires sociaux un texte récapitulatif, qui pourrait, après discussions, aboutir à un nouvel accord national interprofessionnel, ou à défaut à un simple relevé de conclusions.

 

Augmenter les recettes

Sauf décision contraire du politique, l’augmentation des recettes ne passera pas par une hausse de la cotisation des entreprises : le patronat s’y oppose farouchement. La « contribution unique » restera fixée à 1,68 % pour les entreprises de plus de 10 salariés, et à 1,23% pour les entreprises de 10 salariés ou moins. Une partie des syndicats de salariés aurait souhaité une augmentation, que FO chiffrait à 2% de la contribution unique (+0,32 points).

Le projet de texte n’en propose pas moins une mesure d’augmentation des ressources. En effet, certaines structures échappent aujourd’hui à la taxe d’apprentissage, en particulier :

  • les associations ;
  • les mutuelles ;
  • les entreprises qui emploient des apprentis et dont la masse salariale est inférieure à 6 fois le Smic annuel (soit 111 930 € en 2021).

Au départ, la réforme de 2018 devait mettre fin à ces exonérations, mais les autorités avaient reculé devant le lobbying des intéressés. Les partenaires sociaux pourraient proposer de les remettre à l’ordre du jour, et donc de supprimer ces exonérations de taxe d’apprentissage. Cette disposition pourrait générer 700 millions d’euros par an.

Le texte propose par ailleurs des incitations, notamment fiscales, en faveur des contributions volontaires et conventionnelles des entreprises, ainsi que de l’abondement de co-construction.

 

Réduire la dépense

Les partenaires sociaux proposeraient en outre de réduire certaines dépenses, à hauteur de 400 millions d’euros supplémentaires. Il serait ainsi question de :

  • Supprimer le financement de l’apprentissage lorsqu’il est assuré dans le cadre de l’Education nationale, ce qui basculerait ces dépenses sur le budget de cette dernière ;
  • Rendre à France Compétences les sommes attribuées au Plan d’investissement des compétences et destinées à des actions de solidarité nationale, qui n’ont pas vocation à être prises en charge par le système de formation professionnelle.

Les partenaires sociaux déplorent en outre l’usage qui est fait du CPF, selon eux insuffisamment conforme à la logique professionnelle. Ils souhaiteraient encadrer davantage la mobilisation du dispositif, notamment lorsqu’il est utilisé pour financer des formations conduisant à des certifications non inscrites au RNCP. Ces dernières comprennent notamment le permis de conduire, excessivement financé par le dispositif selon les partenaires sociaux. Les mesures proposées conduiraient à une réduction de la dépense, mais au prix d’une complexification du système.

 

Les mesures proposées par les partenaires sociaux permettraient d’économiser environ 1 milliard d’euros par an, en plus de celles de l’IGF/IGAS. Ni les unes ni les autres, cependant, ne résolvent le problème à moyen terme : la logique de guichet qui est celle du nouveau système trouvera-t-elle un financement cohérent ? Au-delà de la question comptable du déficit de France Compétences, la réponse ne peut venir que du politique.

 

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