Qui se forme à quoi ? Sur le sujet, on entend toujours un peu les mêmes choses : des données parcellaires sur l’utilisation de tel ou tel dispositif, ou des généralités – justes au demeurant – sur l’accès insuffisant à la formation des catégories socio-professionnelles qui en ont le plus besoin. Un « Bref » du Céreq paru en décembre 2019 nous permet d’aller plus loin, et de lever le voile sur les réalités très diverses de la formation continue dans l’entreprise. 6 grandes tendances s’y dessinent, qui confirment en les précisant des évolutions connues ou pressenties.
Rançon de la précision, l’étude du Céreq (avec son supplément statistique) porte sur des données déjà un peu anciennes, mais exhaustives : celles de l’enquête Defis pour les années 2014-2015. Elle analyse l’ensemble des 6 millions de sessions de formations suivies par les actifs en France entre janvier 2014 et juin 2015. La base contient près de 10 000 formations, réparties en 35 familles, elles-mêmes classées en 4 grands domaines : formations métiers, formations transversales, habilitations, formations obligatoires hygiène et sécurité. Les actifs eux-mêmes sont répartis en 4 groupes : cadres, techniciens, employés et ouvriers.
Globalement, les formations sont d’abord considérées comme utiles pour exercer le même métier à 82%, puis pour changer de métier à 52%, et pour progresser hiérarchiquement à 39%. 91% des formations suivies par les actifs entre 2014 et mi-2015 sont intervenues dans le cadre de l’entreprise, et 4% dans celui du chômage. On peut supposer que les 5% restants comprennent les formations hors temps de travail, à l’initiative du salarié.
6% d’entre elles débouchent sur un diplôme ou un titre, 8% sur un certificat de qualification professionnelle (CQP) et 18% sur une habilitation. Un tiers du total des formations suivies correspond à des formations obligatoires.
Enfin, selon les données de l’enquête, les PME ne paraissent pas défavorisées, au moins quantitativement : 36% des formations ont eu lieu au bénéfice de leurs salariés, alors qu’elles représentent environ 27,5% des effectifs salariés globaux selon l’Insee (attention cependant : les catégories « PME » de l’Insee et du Céreq ne sont pas exactement les mêmes). Les entreprises de plus de 250 salariés bénéficient de 53% des formations, ce qui correspond à peu près à leur poids dans les effectifs salariés. Les grandes perdantes sont les TPE, qui ne reçoivent que 11% des prestations, pour au moins 19% des effectifs totaux (entreprises de 3 à 9 salariés selon l’Insee).
Première remarque : on retrouve dans les chiffres le constat maintes fois dressé de la surreprésentation des cadres dans l’accès à la formation. 28% des sessions ont été suivies par les cadres, alors que ceux-ci représentent, selon l’Insee, 16% des actifs.
De quelles prestations bénéficient-ils ? Les cadres sont particulièrement présents dans les formations transversales au management, aux langues, dans les formations visant la compréhension des process (« amélioration continue », « bonnes pratiques de production », « gestion de production »…) et l’acquisition de nouvelles normes. On les retrouve également dans certaines formations « métier » : droit, digital, banque. Les formations en lien avec la transformation numérique concernent aussi majoritairement les cadres.
Beaucoup de ces formations sont jugées, par leurs bénéficiaires, mieux à même que la moyenne de favoriser la progression de carrière : c’est le cas des formations du secteur de la banque, des formations aux langues ou aux nouvelles normes (respectivement 13, 16 et 16 points au-dessus de la moyenne). Mais les plus importantes pour la carrière restent les formations au management, qui bénéficient à la promotion professionnelle dans 69% des cas, soit 30 points de plus que la moyenne des formations. Elles représentent 8% du total des actions de développement des compétences suivies, et profitent dans 54% des cas aux cadres.
En revanche, les formations suivies par les cadres ne sont pas particulièrement diplômantes ou certifiantes, à l’exception de celles qui visent l’acquisition de normes, qui débouchent très souvent sur des CQP (dans presque la moitié des cas).
Employés, ouvriers et techniciens, chacun dans leurs domaines, se forment souvent en vue de suivre les évolutions techniques et réglementaires de leur métier.
C’est ainsi que les ouvriers, logiquement, se retrouvent davantage dans des prestations relatives aux métiers de l’industrie et du bâtiment : mécanique, utilisation de machines, techniques de l’industrie (soudure, chaufferie, hydraulique…) ou du bâtiment (couverture, plomberie, climatisation…). On y trouve un mélange de modules courts et de formations longues et souvent certifiantes. Mais les ouvriers sont également les premiers concernés par les formations à la qualité/conformité, souvent obligatoires. Dans tous les cas, il s’agit de s’adapter au changement. Avec une nuance : les formations à la qualité sont perçues dans la moitié des cas comme des moyens de progresser hiérarchiquement. Elles ne servent pas seulement à rester en emploi.
Les employés bénéficient fréquemment de cursus métiers relatifs à la banque, à la vente et aux services. On les retrouve beaucoup dans les prestations relatives au développement personnel. Les techniciens, quant à eux, se concentrent davantage dans les formations « produit », mais aussi la comptabilité, l’immobilier et l’assurance (formations « métier ») ainsi que dans la communication et la maîtrise de logiciels. Là encore, il s’agit de s’améliorer dans ce qu’on fait déjà et de suivre les évolutions.
Techniciens et employés se forment plus volontiers que les autres catégories au paramédical et à l’aide à la personne. Il peut s’agir d’approfondissements ou de changements de trajectoire : dans un tiers des cas, ces formations ne sont pas suivies dans le cadre de l’entreprise. Il s’agit donc de formations hors temps de travail ou dans le cadre de l’assurance chômage, et dans 41% des cas, le but est de changer de métier. Ces prestations s’appellent par exemple «bientraitance du patient », « fauteuil roulant », «dépendance », «fin de vie », précise le Céreq.
Les ouvriers, mais aussi les employés, optent souvent pour des formations à la sécurité, dans l’optique d’une reconversion dans 57% des cas. Ces prestations correspondent souvent à des obligations réglementaires, comme la sécurité incendie. On y rencontre également des intitulés comme «maniement d’arme », « gardien de la paix », « vidéosurveillance », « vigilance », ou encore « vols ».
Les ouvriers sont largement surreprésentés parmi les bénéficiaires de formations obligatoires, puisqu’ils en représentent 44% des stagiaires, pour 24% de la population active formée sur la période. Ils sont, fort logiquement, la très grande majorité des bénéficiaires du Caces et du permis de conduire (77%), qui ne représentent pas moins 8% des formations délivrées au total. Ils sont également les premiers clients habilitations électriques (53%), des formations à la sécurité des équipements (42%), à l’hygiène et sécurité (44%). Ils sont rejoints par les employés pour monopoliser les formations à l’hygiène et à la sécurité incendie.
Au total, parmi les 7 familles de formation (sur 35) où les ouvriers font partie des catégories prédominantes, 5 sont constituées exclusivement ou quasi-exclusivement de formations obligatoires. Ces 5 familles représentent au total plus d’une formation délivrée sur 4, tous publics confondus. Sur les 2 familles restantes, une seule présente un taux de formations obligatoires inférieures à la moyenne : les formations métiers de l’industrie et du bâtiment.
Aucune de ces familles de formation ne figure parmi celles qui préparent mieux que la moyenne à la progression hiérarchique – avec une seule exception, non comprise dans les 7 familles citées plus haut : les formations à la création d’entreprise, privilégiées par les ouvriers mais aussi par les employés. En revanche, les formations obligatoires dont bénéficient les ouvriers sont souvent suivies pour changer d’orientation professionnelle et pour trouver un nouvel emploi.
Dernière tendance : les formations liées à la transition écologique attirent indifféremment toutes les catégories socio-professionnelles. Ce groupe assez hétéroclite recouvre à la fois des formations à des métiers agricoles et des mises en conformité avec les nouvelles normes (recyclage, pollution). Ces prestations ne représentaient que 1% de l’ensemble en 2014-2015, mais leur répartition relativement équitable entre les catégories traduit à la fois un verdissement des fonctions existantes et le développement de nouvelles activités.
L’étude présente de multiples intérêts pour la connaissance du marché de la formation professionnelle. Elle nous révèle un paysage beaucoup plus varié que les enquêtes partielles. On apprend ainsi que les formations en langues ne représentent pas 39% des dossiers, comme le suggère l’étude de la Caisse des dépôts et consignation sur le CPF, ni même 15% des achats, comme l’estimait en 2017 Place de la formation, mais 5% des formations suivies par les actifs – ce qui est déjà respectable. Les cadres sont bel et bien privilégiés, mais les PME ne sont pas aussi défavorisées qu’on le pense parfois (à la différence des TPE). Le développement des métiers d’aide à la personne est perceptible, ainsi que la prévalence de l’écologie, du numérique et des évolutions légales. Un tableau tout en nuances qui ressemble davantage à la réalité des responsables formation et de leurs politiques d’achats ; un tableau qui, espérons-le, sera encore approfondi à l’avenir, et reproduit dans le temps.
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