La formation professionnelle : qu’en pensent les salariés et les responsables formation ? Deux enquêtes récentes nous dessinent un panorama actualisé de cette question récurrente. Il en ressort notamment que si le Compte personnel de formation (CPF) est aujourd’hui bien connu des salariés, il est encore très peu mobilisé. On découvre également que l’opinion des salariés et des responsables formation sur le système et sa réforme est très partagée. Quelques chiffres marquants.
Fin janvier s’est tenue à Biarritz la 17e université d’hiver de la formation professionnelle, organisée chaque année par Centre Inffo. L’événement a été l’occasion de faire un point sur la réforme, mais également de dévoiler des enquêtes de perception instructives. Il s’agit :
Selon le Baromètre Centre Inffo, les outils du système de formation professionnelle les plus connus des salariés restent le CPF, l’apprentissage, le bilan de compétence et la VAE. Le Conseil en évolution professionnelle (CEP), le CPF de transition ou la Pro-A sont en revanche totalement ignorés d’une majorité de salariés.
Le point commun entre ces trois derniers « inconnus » : ils sont de création récente – la réforme de 2014 pour le CEP, celle de 2018 pour les deux autres. De même, les dispositifs les plus renommés sont de création ancienne : l’apprentissage date du premier après-guerre, le bilan de compétences et la validation des acquis professionnels (ancêtre de la VAE née en 2002) remontent aux années 1980.
Source : baromètre de la formation et de l’emploi, Centre Inffo
Il reste une exception : le CPF, qui figure parmi les dispositifs les plus souvent connus (85% des répondants). La communication gouvernementale aura donc produit ses effets sur la notoriété du dispositif. Une nuance cependant, et de taille : un quart seulement des répondants connaît le montant de ses droits. Ces chiffres ne représentent pas un progrès considérable par rapport à fin 2017, s’il est permis de les comparer à ceux du 4e Observatoire des trajectoires professionnelles du Lab’Ho d’Adecco : 21% des salariés avaient alors ouvert leur compte (contre 25% aujourd’hui, si on peut considérer qu’ouvrir son compte équivaut à peu près à en connaître le montant), et 75% connaissaient le dispositif (contre 85% aujourd’hui).
Source : baromètre de la formation et de l’emploi, Centre Inffo
Pour ce qui est de l’appli CPF, il y a encore du chemin à parcourir : elle est certes connue de 59% des participants, mais seuls 13% l’ont téléchargée. Rappelons cependant qu’il n’y a pas besoin de l’appli pour smartphone pour mobiliser son CPF : il est possible d’accéder à toutes les fonctionnalités sur internet, via le site moncompteformation.gouv.fr.
En savoir plus sur l’appli CPF
La formation professionnelle est d’abord l’affaire d’un triangle d’acteurs : le salarié, l’organisme de formation, l’entreprise (et les RH). C’est ce qui ressort clairement de l’enquête Centre Inffo/Harris : interrogés sur l’importance du rôle des différents intervenants dans leur parcours de formation, les salariés se placent eux-mêmes en tête de la liste, à 84%. Sur le papier, la responsabilisation appelée de ses vœux par les réformes successives est donc bien acquise. Viennent ensuite les prestataires de formation (78%), puis l’employeur et les ressources humaines de l’entreprise (75%). On retrouve, en regardant bien, les principaux interlocuteurs que les Français souhaitaient d’abord voir associés à la réforme dans sa phase de négociation, fin 2017 : les actifs (salariés mais aussi chômeurs), les organismes de formation (initiale et continue), les chefs d’entreprise.
Les grands acteurs collectifs ne viennent qu’après, en commençant par les acteurs de proximité : branches professionnelles, collectivités territoriales, structures d’information. Les Opco arrivent en fin de liste : ils sont même l’acteur qui remporte le plus important score de « je ne sais pas / non concerné / je ne connais pas cet acteur » (18%) !
Source : baromètre de la formation et de l’emploi, Centre Inffo
En jouant la carte de la désintermédiation, la réforme du CPF semble donc bien « raccord » avec la perception des salariés. Pour autant, ces derniers ne sont que 3 sur 10 à avoir déjà demandé une formation à leur manager au cours d’un entretien professionnel, 22% à avoir déjà contacté directement un organisme de formation, et 13% à avoir co-construit un parcours de formation avec leur employeur.
La formation continue, en elle-même, conserve une bonne image : elle est perçue comme un moyen d’améliorer sa façon de faire son métier, d’évoluer professionnellement, de maintenir son employabilité, par la quasi-totalité des salariés. Cette appétence pour la formation se retrouve généralement au fil des études.
Un gros tiers d’entre eux estime cependant qu’en l’état actuel des choses, la formation est inutile, soit qu’ils déplorent n’avoir jamais vraiment l’occasion de mettre en œuvre ce qu’ils ont appris, soit qu’ils jugent l’offre de formation inadaptée. La moitié cependant envisage de suivre prochainement une formation. Parmi ceux-ci, 3 sur 5 ont une formation précise en tête.
Que pensent-ils du système de formation ? Une enquête YouGov de janvier 2019 relayait un jugement sévère de leur part : seuls 28% estimaient que le système était en phase avec les besoins des entreprises, et les trois quarts jugeaient que les dirigeants ne se préoccupaient pas suffisamment de formation. Pourtant, malgré un discours médiatique sévère sur la question de la dépense de formation professionnelle, un salarié interrogé sur deux estime que celle-ci est pertinente. Il ne se trouve que 37% de répondants pour considérer que l’argent de la formation professionnelle est assez ou très mal dépensé. La proportion de mécontents augmente, cependant, parmi les publics qui bénéficient le moins de la formation : chômeurs, seniors, salariés des PME, ouvriers – sans toutefois dépasser 45%. Le système de formation professionnelle n’a pas si mauvaise presse que cela.
Source : baromètre de la formation et de l’emploi, Centre Inffo
Interrogés sur l’évolution de leur métier, la très grande majorité des répondants (80%) estiment qu’il va évoluer dans les années à venir. Cependant tous n’anticipent pas le changement de la même façon. Une importante minorité (33%) considère que les transformations vont très vite et qu’il faut se former en permanence. Un peu moins de la moitié (47%) prévoit une évolution lente des métiers, qui rend la formation nécessaire mais de façon épisodique. Les deux tiers des salariés interrogés estiment qu’ils continueront à exercer le même métier dans 5 ans.
Source : baromètre de la formation et de l’emploi, Centre Inffo
Nous avions déjà constaté cette modération des perceptions en commentant fin 2017 une étude OpinionWay sur la question. Nous remarquions que loin d’être impressionnés par les discours catastrophistes sur la disparition des métiers actuels, 62% des Français interrogés ne craignaient absolument pas de se faire remplacer par des machines. Ce qui ne signifie pas, comme le démontre l’étude Centre Inffo, qu’ils sont dans le déni du changement.
L’enquête commandée par Centre Inffo à Harris Interactive comporte également un focus sur les soft skills, dont il ressort que les Français pratiquent ces derniers comme M. Jourdain, c’est-à-dire sans le savoir. Ils ne sont que 14% à voir précisément ce que recouvre cette expression. En revanche, lorsqu’on leur explique qu’il s’agit des compétences comportementales, ils sont 72% à en louer l’importance.
Autre chiffre parlant : la question, très philosophique, de savoir si les soft skills peuvent s’acquérir ou non, divise l’échantillon en deux parts inégales : 62% jugent que oui, 38% ne le croient pas. Plus de 3 salariés sur 5 sont donc prêts à adhérer aux nombreuses formations dédiées aux compétences comportementales. Parmi celles-ci, celles qui ont à leurs yeux le plus haut niveau de crédibilité (plus des ¾ des répondants) sont celles qui correspondent à des fonctions précises : manager, encadrer, gérer un projet, gérer la relation avec les clients. Les compétences plus générales, comme la communication, l’argumentation, l’organisation, la gestion des émotions, sont considérées un peu moins souvent comme pouvant faire l’objet de formation (entre 63% et 73% des répondants). Moins de la moitié de l’échantillon estime que la créativité, l’écoute ou l’autonomie peuvent s’enseigner.
Source : baromètre de la formation et de l’emploi, Focus sur les soft skills, Centre Inffo
Enfin, un tiers des salariés interrogés ont déjà suivi une formation aux soft skills. Les cadres, les dirigeants et les moins de 35 ans en ont bénéficié plus souvent que les autres.
L’enquête de Centre Inffo ne nous renseigne pas sur la perception de la réforme par les salariés. En revanche, celle du Garf nous donne un aperçu du ressenti des responsables formation, à partir d’un échantillon relativement restreint et plutôt concentré sur les grandes entreprises. Il en ressort que la profession est partagée : 52% d’entre eux expriment une insatisfaction, et parmi les satisfaits, la modération domine (avec seulement 5% de « très satisfaits »). En outre 83% des responsables interrogés considèrent que la réforme les impacte – et même beaucoup, pour 53% d’entre eux.
La première conséquence perçue est l’impact en matière de financement. La part de ceux qui anticipent une baisse de leur budget formation en 2020 augmente de quelques points par rapport à 2019. Vient ensuite, parmi les préoccupations, l’ingénierie des compétences et des certifications, qui est le domaine de compétence le plus souvent cité parmi ceux sur lesquels les responsables formation devront évoluer. Le changement du système de certification, mais aussi le bouleversement de l’apprentissage, de l’alternance, de la définition de l’action de formation expliquent sans doute ce ressenti.
On remarque cependant que les responsables formation interrogés estiment devoir faire évoluer leurs pratiques, mais de façon souple et non institutionnalisée : ils plébiscitent la mobilisation du CPF par la co-construction des parcours (comme le soulignait déjà cette enquête de TopFormation), mais pas la conclusion d’accords d’entreprise autour de l’abondement ; ils manifestent l’intention d’évoluer en matière d’ingénierie des compétences et d’ingénierie pédagogique, mais sans aller jusqu’à la mise en place d’un organisme de formation interne.
Enfin, interrogés sur les acteurs avec qui leur relation devrait le plus évoluer suite à la réforme, les responsables formation placent naturellement en tête les Opco, dont ils ont bien perçu la transformation par rapport à leurs prédécesseurs les Opca. Viennent ensuite les DRH, les managers, les organismes de formation, les branches professionnelles et… le DAF !
La réforme et son cortège de campagnes d’information ont-ils eu pour effet d’améliorer la connaissance et la perception du système de formation professionnelle ? Les chiffres livrés par ces études nous livrent un bilan contrasté, et globalement, 57% des répondants estime encore ne pas être suffisamment informé sur la formation professionnelle continue. L’employeur, selon le baromètre Centre Inffo, reste le premier interlocuteur auquel songent les salariés pour se renseigner – devant les moteurs de recherche. Plus que jamais, le responsable formation a donc un rôle essentiel à jouer !
Si vous souhaitez vous inscrire à la newsletter mensuelle du blog MANAGEMENT DE LA FORMATION : rendez-vous ici.
Découvrez le site RHEXIS, l’externalisation au service de la gestion de votre formation.
Retrouvez les articles qui peuvent vous intéresser sur des thèmes proches :
Le Dif a 20 ans, le CPF a 10 ans, Mon compte formation a 5…
L'intelligence artificielle apporte des outils nouveaux à la formation et à l'innovation pédagogique, pour qui…
Les entreprises sont les principaux financeurs des organismes de formation, et les les salariés et…
L'urgence d'accompagner les reconversions professionnelles, face à l'obsolescence rapide des métiers et des compétences, fait…
La contribution des entreprises à la dépense de formation professionnelle a considérablement augmenté entre 2014…
Formations obligatoires et non obligatoires obéissent à des logiques de gestion différentes. Pourquoi ne pas…