Management de la formation – by RHEXIS

Depuis 2015, chaque salarié dispose d’un compte personnel de formation (CPF), sur lequel sont versés chaque année des droits à se former, libellés en heures. Au 1^er janvier 2019, le CPF passe en euros. Le taux de conversion annoncé (15€) fait couler beaucoup d’encre : peut-on vraiment se former à ce prix-là ? Et quelles seront les conséquences de ce changement pour le salarié, l’entreprise, l’organisme de formation ?

 

10 réponses à la question « combien coûte une heure de formation »

A la différence du blé, de l’or ou du pétrole, l’heure de formation n’a pas de cours officiel. Pour autant, ne peut-on pas évaluer un prix horaire moyen ? Il n’y a pas de réponse unique. Nous vous en proposons… 10. La question prend un sens particulier en cette fin d’année 2018, où les « heures de formation » dont disposent les Français sur leur CPF s’apprêtent à être converties en euros. Le taux de conversion prévu, après avoir été annoncé pendant longtemps à 14,28€, sera finalement fixé à 15€.

• Réponse 1 : 15€.

Jusqu’à présent, chaque bénéficiaire recevait 24 heures par an. Désormais, le CPF sera alimenté à hauteur de 500 euros chaque année. Si on s’en tient à la clé de conversion retenue, on pourrait croire que les droits des salariés augmentent : à 15€ de l’heure, 500€ représentent en effet 33 heures de formation… Mais on peut raisonner différemment, à droits constants : si on estime, en 2018, que 24h = 500€, alors l’heure de formation représente un peu moins de 21€. Pour les non-qualifiés, en outre, l’alimentation se faisait au rythme de 48 heures par an ; on sera désormais à 800 heures. Dans ce cas, l’heure de CPF est à 16,77€…

• Réponse 2 : 21€
• Réponse 3 : 16,77€

Une autre façon d’aborder la question est de regarder à combien les Opca valorisent l’heure de CPF. Les Opca fixaient des plafonds de financement par heure : la moyenne de ces plafonds s’établissait à 40€, avec un minimum à 10€ (pour certaines formations du commerce de gros) et un maximum à 80€ (dans le travail temporaire). A combien s’élève, en moyenne, la prise en charge de l’heure de CPF par les Opca ? On parle de 31€, ou de 41€ – le 2^e chiffre incluant sans doute les abondements des Opca. Les données, reprises dans la presse et dans le débat politique, semblent provenir de la Caisse des Dépôts et Consignation.

• Réponse 4 : 31€
• Réponse 5 : 41€

A noter que les heures de CPF, lorsqu’elles sont mobilisées par un demandeur d’emploi, sont valorisées au montant unique de 9€.

• Réponse 6 : 9€

Selon les partenaires sociaux, cités dans Les Echos, le gouvernement a fait la moyenne pondérée des heures de CPF mobilisées par les salariés et par les demandeurs d’emploi, pour arriver à un taux moyen de 12 ou 13 euros. Le choix a donc été fait de fixer le montant juste un peu au-dessus, à 15€. Nous avons refait le calcul, à partir des données 2015-2016 du CPF, publiées par la Dares au début de l’année : nous arrivons bien à 12,48€. Cette faible moyenne s’explique par le fait que les demandeurs d’emploi ont représenté près de 7 dossiers sur 10 en 2015-2016, pour des formations en moyenne 3,6 fois plus longues.

• Réponse 7 : 12,48€

Ces calculs, bien sûr, sont purement théoriques. Le CPF est avant tout un outil de financement, et il n’a pas vocation à définir la valeur de l’heure de formation. Que dit le marché ? D’après les chiffres du Jaune Budgétaire pour 2018 (celui de 2019 n’était pas disponible au moment de la rédaction de cet article), les quelques 68 500 organismes de formation actifs en France en 2014 ont réalisé cette année-là 14,3 milliards d’euros de chiffre d’affaires, pour 1,15 milliards d’heures de formation. En faisant simplement la division, on arrive à 12,45€ par heure. Un peu plus dans le privé à but lucratif (14,04€), un peu moins dans le public (10,20€), beaucoup moins pour les formateurs individuels (5,94€).

• Réponse 8 : 12,45€

Ce chiffre n’est pas non plus totalement satisfaisant. Le chiffre d’affaire des organismes de formation peut comporter d’autres éléments que la facturation des formations, d’autant qu’une partie des prestataires n’a pas la formation comme activité principale. (Notons cependant que les prestataires pour qui la formation est une mission secondaire ne comptent que pour environ le tiers du chiffre d’affaire total).

Autre façon de compter, utilisée par Marc Dennery il y a quelques années : prendre les dépenses de formation des entreprises et diviser par le nombre d’heures financées pour les salariés. Il trouvait 51,73€ (hors rémunération des salariés en formation), avec les chiffres de 2010.

• Réponse 9 : 51,73€

Parmi les autres tentatives de chiffrer le coût horaire de la formation, signalons celle de Didier Cozin, qui tente dans les Echos une reconstruction (pas totalement convaincante) en partant du chiffre de 10€ de l’heure dans l’Education nationale, pour aboutir à environ 40€.

• Réponse 10 : 40€

 

Vers une transformation du marché ?

Le nouveau dispositif statistique, qui remplace l’utilisation des déclarations 2483 d’avant la réforme de 2014, livrera peut-être des chiffres plus précis. Mais la question du coût horaire de la formation a-t-elle vraiment un sens, en dehors de la fixation arbitraire d’un taux de conversion des heures de CPF en euros ? Le coût de la formation varie considérablement suivant le thème, la technicité, le mode d’organisation, le lieu, le nombre de participants…

Le système qui aura existé entre 2015 et 2018, dans lequel les Opca fixaient le montant de prise en charge de l’heure de formation, tenait compte de cette diversité. Les Opca, pendant cette période, ont joué un rôle curieux d’intermédiaires de marché, avec toutes les questions que cela posait. N’ont-ils pas contribué à une certaine inflation des prix, comme le soutient le gouvernement, en survalorisant l’heure de CPF pour certaines formations ? Dans le même temps, le système ne fonctionne-t-il pas de façon anti-redistributive, en attribuant une part disproportionnée des fonds de mutualisation aux formations les plus chères, qui sont souvent destinées aux plus qualifiés ?

Ces arguments et d’autres ont contribué au choix d’un CPF en euros. Un mérite indéniable ce celui-ci est qu’il simplifie considérablement l’équation, et accroît la lisibilité du système. Trois questions au moins demeurent :

• Que peut-on s’acheter avec 500€ ? Quelques heures de formation en langue ou en bureautique, voire davantage en module e-learning ; mais guère plus d’une demi-journée d’une formation courte en interentreprises à un domaine d’expertise (les conséquences d’une nouvelle loi, les fondamentaux de la paie ou de la comptabilité…) ou à une compétence comportementale (prendre la parole en public, etc.). Pour financer son permis de conduire, il faudra sans doute attendre deux ans de CPF, et sans doute davantage pour un bilan de compétences. Pour une formation longue en vue d’une reconversion, le plafond de 5000€ du CPF pourrait s’avérer insuffisant. Ce qui nous conduit à la question suivante :
• D’où vont venir les compléments de financement ? L’entreprise pourra abonder, et sera encouragée à le faire dans le cadre de la négociation d’accords collectifs. Les Opco disposeront d’enveloppes pour les salariés des entreprises de moins de 50 salariés. Pour les salariés des autres entreprises, les financements seront possibles, mais réservés à l’alternance (contrat de professionnalisation, apprentissage, Pro-A). Les demandeurs d’emploi bénéficieront d’aides, comme aujourd’hui. On peut imaginer également que la simplicité d’accès à un CPF en euros conduira davantage d’individus à compléter les financements de leur poche.
• Comment va évoluer le marché de la formation ? La réforme instaure la « désintermédiation » du CPF prônée par de nombreux acteurs, dont Marc Ferracci. En réduisant les financements mutualisés, il pourrait pousser à une baisse des prix : les promoteurs de la réforme l’espèrent. Il reste à savoir si les marges des organismes de formation et les réserves de productivité sont telles que cette baisse puisse réellement avoir lieu !

 

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