Jacques Abécassis dirige LUCID Conseil et Formation, cabinet spécialisé dans le conseil en formation professionnelle, notamment en matière d’enregistrement des certifications du Compte personnel de formation et de démarche Qualiopi. Consultant depuis 30 ans, sa carrière l’a aussi conduit à la Fédération de la formation professionnelle (FFP, aujourd’hui Acteurs de la Compétence), à l’ISQ (certificateur Qualiopi), ou comme expert à AFNOR Normalisation. Il connaît très bien le référentiel national qualité de Qualiopi et les procédures d’enregistrement de France compétences. Il répond à nos questions sur la réforme de 2018 et l’avenir du système de formation.
La réforme comporte plusieurs volets, je vais vous répondre sur la partie formation.
Je perçois trois conséquences, une préoccupation plus grande pour les résultats des formations, un ciblage plus précis des financements vers certains publics ou secteurs, ou vers certains dispositifs jugés plus producteurs de compétences, et une plus grande autonomie possible dans l’achat de formation.
La réforme précédente et la mise en place du Datadock avaient déjà contribué à faire monter en professionnalisme une partie des prestataires de formation. Qualiopi a permis de franchir un cran supplémentaire. Il y a des règles de l’art en formation professionnelle, et beaucoup de prestataires ne les pratiquaient pas. Le processus de certification Qualiopi les y amène, mais je ne sais si l’objectif qualitatif a été atteint pour autant.
Il y avait 45 000 organismes de formation référencés au Datadock ; nous en sommes aujourd’hui à environ 35 000 certifiés Qualiopi. Un peu plus de 22% des datadockés n’ont pas voulu faire la démarche à ce jour, mais ils n’ont pas disparu pour autant. Il y a eu de nombreuses créations d’organismes, d’autre se sont transformés pendant la crise sanitaire. Pour certains, le marché non financé par un tiers est tout à fait confortable.
Il s’y ajoute un autre niveau de ciblage des financements : celui du CPF. Pour les entreprises de 50 salariés et plus, le CPF – avec l’alternance – reste l’un des derniers moyens d’obtenir (avec l’assentiment du salarié) des financements mutualisés. La réforme de 2018 a initialement ouvert le nombre de formations finançables par le CPF en supprimant les listes d’éligibilité : toute formation préparant à une certification enregistrée au RNCP ou au répertoire spécifique est devenue accessible au CPF. Mais depuis 2021, France Compétences a resserré les critères d’enregistrement des certifications, et un certain nombre d’organismes (environ 10 000) ont perdu depuis le 1er janvier 2022 la possibilité de présenter leur offre sur la plateforme Mon Compte Formation. Là encore, la puissance publique réduit le champ des organismes finançables.
Jusque récemment, beaucoup d’organismes de formation étaient surtout des organisateurs d’événements de formation, et pas forcément les plus petits… Leur activité pouvait parfois se résumer à louer une salle, payer un formateur et occuper les stagiaires à des activités et des réflexions souvent intéressantes, mais sans mesure des acquis opérationnels. En imposant une démarche qualité (comme ticket d’entrée aux fonds publics ou mutualisés) et, en sus, un ciblage plus serré vers l’alternance et les Comptes personnels de formation (CPF), l’État incite les prestataires de formation à adopter une certaine représentation de ce qu’est une formation professionnelle et à intégrer des pratiques professionnelles qui n’étaient pas les leurs jusqu’à présent. On parle d’ailleurs d’action concourant au développement des compétences, cette nouvelle formulation est assez explicite. Les organismes de formation ne se sont pas toujours rendu compte de ce « nudge ».
Il faudrait aussi parler du bouleversement du modèle économique, en pleine turbulence depuis plusieurs années.
La certification de personnes est un peu le niveau ultime dans la professionnalisation d’un organisme de formation professionnelle. Elle suppose de respecter scrupuleusement un référentiel. L’organisme de formation doit être en mesure d’évaluer l’atteinte des objectifs de la prestation et d’attester que le stagiaire a bien acquis au moins une partie des savoir-faire mentionnés dans les objectifs de la prestation..
C’est une évolution très récente dans notre pays. Dans les années 1970, le but de la formation professionnelle était la mobilité sociale, il s’agissait souvent d’aider l’actif à s’émanciper de ses conditions d’origine. Aujourd’hui, il s’agit davantage d’acquérir des compétences pour produire de la valeur ajoutée économique. Les actifs sont invités à faire évoluer leur niveau de compétences pour assurer la croissance et parfois le bien commun. Tout en s’épanouissant individuellement si possible.
Le rapport aux certifications et diplômes, également, a changé. Avant 2014, on dénigrait plutôt les diplômes au profit de l’expérience et de la compétence, dans les discours en tout cas. On se référait à l’exemple américain, en assurant que là-bas les diplômes ne sont pas importants, les emplois affluant vers les audacieux détenteurs de compétences. Depuis 2014, mais surtout 2018, on a décidé au contraire qu’un diplôme, un titre ou un certificat devenait une sorte de garantie de compétences. L’idée sous-jacente est que cette certification va rassurer à la fois les employeurs, en leur envoyant le message que son porteur maîtrise vraiment la compétence certifiée, mais aussi le porteur de la certification, en l’assurant de la preuve de la transportabilité de sa compétence. La valorisation des acquis de l’expérience (VAE) s’inscrit également dans cette logique : l’expérience est elle aussi sanctionnée par un diplôme, éventuellement après un complément de formation.
Tout à coup, on s’est mis à redire que le diplôme garantissait l’emploi. Ce que beaucoup d’études tendent à montrer d’ailleurs, pour certains diplômes et certificats en tout cas.
Aujourd’hui le système met la pression sur l’organisme de formation certificateur : on lui dit « Attention, vous devez délivrer un certificat, et quand vous le délivrez, vous vous engagez ». C’est un enjeu déontologique et commercial; une formation, doit produire les effets promis dans les objectifs négociés, et si elle débouche sur une certification, celle-ci doit véritablement attester de savoir-faire supplémentaires. . Ce n’est pas évident, parce qu’il faut finement identifier les compétences cibles, puis monter le dispositif pédagogique pertinent et que ça vient se cogner sur la tentation de la standardisation de bout en bout, comme on le voit avec certaines offres numériques à distance. Une partie des prestataires aimeraient pouvoir vendre des formations certifiantes et automatisées pas chères et à beaucoup de gens à la fois. Une certification qui atteste efficacement de la compétence est rarement compatible avec un tel modèle.
La plupart des CFA ont dû demander la certification Qualiopi, ce qui les a conduits à changer certaines de leurs pratiques. En particulier, certains CFA avaient l’habitude de déléguer totalement le pédagogique et l’administratif à des sous-traitants. Avec les exigences de Qualiopi, c’est devenu beaucoup plus difficile : il faut désormais être en mesure de rendre des comptes, et les relations entre les partenaires ont dû être rediscutées.
Il est aussi devenu plus facile de créer un CFA, pour les entreprises notamment. Au début de la réforme, le sujet des CFA d’entreprise a suscité beaucoup d’intérêt, mais c’est un peu moins le cas aujourd’hui. Les entreprises intéressées ont pour la plupart étudié et tranché la question du CFA interne dans un sens ou dans l’autre. Il y a des contraintes particulières à prendre en compte : on accueille des mineurs, et il y a un aspect social qui fait qu’un CFA ne se gère pas simplement comme une entreprise de formation. Mais le CFA d’entreprise tente certains employeurs parce qu’il permet de recruter des jeunes et de les former aux besoins spécifiques du métier tel qu’il se pratique dans l’entreprise. Tout en optimisant les coûts.
Certains experts, comme ceux du cabinet Quintet, proposent de publier les résultats des lycées pros et des CFA, de moduler le financement des CFA en fonction, notamment, du taux d’insertion dans l’emploi 6 mois après la fin de leur contrat d’apprentissage, ou de donner un bonus financier à ceux qui préparent aux métiers de France 2030. C’est pragmatique pour orienter les candidats à l’apprentissage vers l’emploi tout en maîtrisant peut-être mieux le financement global qui a atteint des niveaux très importants, avec une augmentation de 40% des contrats entre 2019 et 2020 par exemple.
La tentative de fraude au CPF a été un phénomène d’une ampleur considérable. Mais elle a beaucoup reculé, sans disparaître totalement. La Caisse des Dépôts et Consignation a réuni récemment des acteurs du secteur pour créer un mouvement citoyen de lutte contre ce phénomène. D’autres moyens plus lourds et plus conventionnels ont bien entendu aussi été mobilisés. L’une des mesures décisives de la CDC a été d’imposer l’identification via France Connect sur le site, ce qui complique beaucoup la tâche du fraudeur. Du côté de l’offre disponible sur la plateforme, le respect des critères d’éligibilité est beaucoup mieux contrôlé. . Fin 2021, il y avait 23 000 organismes de formation dans la plateforme Mon Compte Formation. Aujourd’hui, il en reste environ 13 000. La fraude n’est largement pas la seule raison de cette diminution. Beaucoup d’histoires ont circulé l’année dernière : depuis le cashback sur les cartes bancaires jusqu’à à l’ordinateur ou à la tablette tactile offerts, en passant par des prestations de type « 7 jours dans le désert pour retrouver le sens de sa vie ». . À présent, ce n’est plus possible, en tout cas pas sans la complicité du client.
Le véritable enjeu, c’est l’avenir du CPF. Laissera-t-on les gens décider seuls de ce qu’ils en font ? Le dispositif vise à favoriser l’accès à des formations certifiantes, qui débouchent sur une preuve de compétence, dans la perspective de l’intégration ou de la mobilité sur le marché du travail. Dans cette optique, que doit-on rendre éligible au CPF ? On parle beaucoup des soft skills, qui sont identifiées comme très importantes pour les entreprises comme pour les salariés. Mais dans quelle mesure peut-on certifier les soft skills comme des compétences ? Pour le moment, France Compétences semble s’y opposer : les soft skills sont plutôt considérées comme des capacités associées à une compétence professionnelle.
En attendant, les formations les plus demandées via le CPF restent le permis de conduire, la création ou la reprise d’entreprise et les tests de langues. Si on peut parler d’un succès du CPF, je pense que ce n’est pas ce qui était envisagé à la création du dispositif. Et si on décide que les actifs devront mettre davantage la main à la poche pour financer leur propre formation, il faudra l’assumer clairement.
Quelle que soit l’issue des élections, nous aurons un nouveau gouvernement, et il y aura probablement une nouvelle réforme ou un aménagement significatif… J’imagine mal, cependant, que l’État revienne sur la structure actuelle. Si les professionnels ne s’en occupent pas eux-mêmes, les pouvoirs publics vont probablement continuer à augmenter le niveau d’exigence en matière de qualité des résultats des prestations, ce qui me semble d’ailleurs souhaitable.
On peut anticiper également des actions plus volontaires pour orienter les actifs vers les métiers favorisant la transition écologique. . Une difficulté réside dans la forte compétition institutionnelle qui existe dans le champ de la formation professionnelle : il y a les organismes de formation, les acteurs paritaires, les régions, l’Etat, Pôle emploi… Chacun essayant d’intervenir sur les terrains qui intéressent ses mandants. C’est un point à garder en tête quand on analyse l’écosystème de la formation : il y a des tensions fortes entre certains acteurs, qui sont compréhensibles d’un point de vue sociologique, mais qui peuvent conduire à des solutions plus ou moins optimales par rapport aux objectifs prévus, c’est le moins que je puisse dire.
Un enjeu important est celui des passerelles qu’il faut continuer de créer pour permettre aux gens de réaménager leurs aptitudes au fil de leur vie professionnelle, pour pouvoir se réinventer périodiquement. Les changements de métier ne sont pas, le plus souvent, des changements radicaux de domaine : on recompose les compétences et les aptitudes que l’on a pour bouger dans un domaine adjacent. Le but est d’arriver à la fois à suivre autant que possible ses aspirations tout en répondant aux besoins de l’économie et de la société.
En définitive, la vraie question est celle-ci : les acteurs vont-ils renoncer aux modes de fonctionnement du 20e siècle ? Il n’est plus possible de s’en tenir à des modèles qui comptent sur la combinaison des égoïsmes débridés pour résoudre les problèmes. Il y a plus de 9 millions de personnes sous le seuil de pauvreté en France métropolitaine. Beaucoup de gens ne sont pas en mesure de contribuer à construire du bien commun, avec des effets négatifs pour eux comme pour la collectivité. Beaucoup font des métiers toxiques pour l’environnement, parce qu’ils n’ont pas le choix. Il faudra bien s’occuper de tous ces défis. Je parie, ou plutôt j’espère, que ces enjeux dicteront notre conduite dans les mois et les années qui viennent !
Crédit photo : Clément Garnier
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