Dirigeant et fondateur de l’agence Parlons RH, leader en Marketing RH, Thomas Chardin est expert de la fonction ressources humaines. Il vient de publier DRH : mission ou démission – 3 pistes d’action à l’heure du choix, chez Diateino, un manifeste pour la réinvention de la fonction RH face aux défis de l’avenir. Il nous parle de la pertinence de ces pistes d’action pour la fonction formation.
Ainsi que la crise sanitaire l’a montré de façon exacerbée, la fonction RH, et avec elle la fonction formation, sont à la fois :
J’ai voulu, dans ce bref ouvrage, proposer aux DRH des pistes de transformation pour relever ces défis et réinventer leur fonction, dont nous avons tous besoin.
Cette feuille de route comporte trois pistes d’action, étroitement liées les unes aux autres : concentration, perception et audace. Ces pistes s’appliquent aussi bien au responsable formation qu’au DRH.
Ces trois phases sont cumulatives : pour expérimenter et faire preuve d’audace, les responsables RH et formation ont besoin d’y voir clair sur les attentes de leurs clients (les collaborateurs et les managers) ; et pour déployer les outils nécessaires à professionnaliser l’écoute, ils doivent se dégager du temps et des ressources, en déléguant tout ce qui peut l’être. Tout cela requiert de l’audace.
La question est légitime, et la réponse est non. L’entreprise n’a pas besoin d’un responsable formation qui se contente d’administrer les tâches technico-juridico-comptables. Elle a besoin d’un responsable compétences. Certaines organisations l’ont déjà compris, et le titre existe. Encore faut-il lui donner un contenu, une réalité et des moyens à la hauteur de l’enjeu.
C’est précisément le sens de la transformation que je propose. L’audace consiste à passer d’un responsable formation, qui gère des processus et des obligations, à un responsable des compétences qui anticipe et développe le capital « savoir et savoir-faire » de l’entreprise. Cela suppose notamment de concevoir et déployer les ingénieries de formation nécessaires, d’anticiper la pénurie de compétences en allant chercher des nouveaux talents, d’identifier et développer les parcours des compétences internes, de promouvoir les soft skills transformatrices…
Mais le responsable compétences n’a pas pour seul mission de répondre à la pénurie de talents, il doit aussi affronter la pénurie d’envie. La formation peut être un outil formidable de reconnaissance, de développement professionnel, d’ouverture, de motivation, d’engagement.
Il est difficile de caractériser une évolution globale de la fonction formation, tant les contextes dans lesquels elle s’inscrit sont variés. On ne trouve pas les mêmes enjeux selon que l’entreprise relève du tertiaire ou de l’industrie, selon qu’elle évolue dans un contexte international ou franco-français, selon qu’elle soit en phase de croissance ou de recul, TPE ou grand groupe, entreprise familiale ou non, monosite ou multisite… La fonction formation est polymorphe, elle s’adapte à tous ces environnements.
Ce que l’on va retrouver de plus en plus, cependant, c’est une vraie articulation entre recrutement et formation. Le talent management doit marcher sur ses deux jambes : attirer les talents et les développer. Et les deux doivent fonctionner de façon synchrone : la réponse à un besoin de compétences passe par la bonne combinaison de recrutement et de formation. De plus en plus, les entreprises vont raisonner de cette façon et organiser leurs ressources RH dans ce sens. C’est un peu le périmètre de la fonction « développement RH » que l’on retrouve dans beaucoup d’organisations, et qui rassemble en fait une très grande partie de ce qui reste de la fonction RH quand on a externalisé le non stratégique !
Le responsable formation, comme le DRH, ne peuvent pas continuer à consacrer l’essentiel de leurs ressources à des tâches administratives, de logistique ou de conformité légale. Le service des achats peut gérer les achats, le service juridique prendre en charge les aspects juridiques, un prestataire externe peut assurer le déploiement du plan de développement des compétences, les relations avec les Opco et les organismes de formation, la recherche de financements, voire la facturation…
On n’externalise pas pour se débarrasser mais au contraire parce que ces activités sont importantes et doivent être bien faite. La décision managériale comme la relation avec le salarié ne s’externalisent jamais.
Je ne le crois pas. Il ne s’agit pas de démembrer la fonction formation, mais de la recentrer sur ses missions à haute valeur ajoutée, à savoir la gestion prévisionnelle des compétences et des savoirs, l’accompagnement des parcours, le développement des talents, l’ingénierie pédagogique.
C’est pour cela que tout recours à des prestataires extérieurs doit faire l’objet d’un soin particulier : je suis entièrement favorable à l’externalisation à condition qu’elle ne se fasse pas uniquement pour des raisons économiques. Lorsqu’une entreprise ne recherche que la réduction des coûts, elle trouvera toujours moins cher ailleurs et dégradera progressivement la gestion de la formation. Il peut y avoir un intérêt économique à externaliser, mais c’est d’abord l’intérêt en matière d’efficacité pédagogique qu’il faut viser.
L’apport de l’externalisation réside dans la construction de véritables partenariats avec des experts, qu’ils soient internes à l’entreprise (DAF, direction des achats, direction juridique, DSI) ou externes (spécialistes de la gestion de la formation, organismes de formation, OPCO). Le but n’est pas simplement que le technico-juridique soit assumé par d’autres, mais qu’il soit bien fait, voire mieux fait qu’en interne, afin de garantir la performance du service et libérer du temps de cerveau disponible pour les collaborateurs du service formation.
Il devra se repenser entièrement. Comme je l’écris au sujet de la DRH, si le service formation se veut transformateur, il devra se transformer. Il comptera moins de chargés de formation et davantage de consultants internes, d’experts en ingénierie pédagogique, de spécialistes de la prospective des métiers ou du digital learning… Le responsable compétences, en fonction des dimensions de l’entreprise ou du groupe, peut assumer une partie de ces expertises, tout en animant une équipe resserrée de collaborateurs et un réseau de partenaires internes et externes.
Mais la transformation est aussi digitale. Du LMS aux solutions de gestion, les technologies sont là, mais beaucoup d’entreprises sont encore sous-équipées. Il a fallu que nous traversions une crise majeure pour que la formation digitale décolle véritablement. Or, le Salon du E-Learning est né avec le siècle et vient de tenir sa 21e édition ! Du point de vue des techniques de diffusion de la formation, des barrières mentales sont tombées, permettant d’élargir la palette des solutions possibles, mêlant plus librement distanciel et présentiel, synchrone et asynchrone, formation en situation de travail et formation théorique, sans que le digital ne puisse plus être assimilé à de la formation « low cost ».
La transformation digitale de la fonction « compétences » ne se limite pas aux modalités pédagogiques et à la diffusion des contenus : elle concerne aussi la gestion des politiques de formation et son intégration au SIRH. L’enjeu est d’assurer la circulation et la cohérence de l’information entre les différents moments de la gestion des parcours – recrutement, entretien professionnel, mobilité, formation. Le changement de posture du responsable formation au sein de la DRH et de l’entreprise implique logiquement une meilleure intégration aux systèmes d’information et de gestion.
Il est difficile, en l’absence d’études précises, de connaître à l’instant t l’état des entreprises par rapport à l’évolution des pratiques. Il y a certains signes cependant. Dans l’édition 2021 de notre baromètre national de l’expérience collaborateur, nous avons pu établir que les entreprises se positionnaient, au regard de l’innovation RH en général, en 3 groupes. Il y a d’abord celui des pionniers, qui expérimentent et tirent véritablement les conséquences des beaux discours sur l’écoute des salariés. Ce sont souvent des entreprises qui vendent du capital humain, des prestations intellectuelles, comme Mazars ou Deloitte ; mais pas toujours, comme le montre l’exemple, trop rare, de Décathlon ou Kiloutou.
Ces leaders sont suivis par un « ventre mou » composé d’entreprises convaincues de l’intérêt d’innover, mais qui hésitent encore sur le seuil de la transformation, et ne savent pas trop comment s’y prendre.
Vient enfin le groupe de réfractaires endurcis, qui sont convaincus que le bon sens leur impose d’en rester aux méthodes du XXe siècle, voire à celles du XIXe ; c’est le monde du « command and control » post-industriel, dans lequel on ne forme les salariés que quand on y est vraiment obligé. Cette arrière-garde est minoritaire : seules 19 % des entreprises interrogées dans le cadre du baromètre de l’expérience collaborateur n’envisageaient pas d’apporter de changements à leur organisation du travail suite à la crise. Mais quand même : presque une entreprise sur cinq !
Même si nous n’avons pas de données spécifiques sur les pratiques de formation, le baromètre montre que les innovations RH volent en escadrille : les entreprises qui avaient les politiques RH les plus ouvertes avant la crise sont celles qui ont le plus souvent déployé une démarche d’amélioration de l’expérience collaborateur, et qui sont les plus susceptibles de modifier leur organisation du travail suite à la crise sanitaire.
Au regard du changement de paradigme que l’on connaît au 21e siècle, un changement correspondant s’impose dans la fonction formation. Comme la fonction RH dont elle fait partie, elle doit renouer avec le R de la Relation humaine ou avec celui de la Richesse, et déléguer la gestion du R de la Ressource et de celui du Risque juridique. Non qu’elle ne doive pas prendre des risques, au contraire : mais il s’agit des risques inhérents à toute innovation – risque d’échouer, risque d’être incompris dans un premier temps, risque de passer pour farfelu et dépensier… Mais ces risques ne sont rien comparés à ceux de l’inaction, qui conduirait fatalement à la marginalisation de la fonction formation, au détriment de la performance collective et de long terme de l’entreprise.
Comme la fonction RH, la fonction compétences doit se transformer elle-même si elle se veut transformatrice. Dans l’économie de la connaissance, et particulièrement en période de pénurie de talents, c’est un défi stratégique pour les entreprises.
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