Dirigeant et fondateur de l’agence Parlons RH, leader en Marketing RH, Thomas Chardin est expert en ressources humaines et en marque employeur. Il nous parle des liens entre la fonction formation en entreprise, la marque employeur et le marketing.
La marque employeur est l’application au domaine RH, donc aussi à la formation, du concept de « marque ». C’est une démarche de marketing RH. Concevoir une marque employeur suppose d’abord de considérer les interlocuteurs de la fonction RH – collaborateurs (présents, passés, futurs) et candidats (déclarés ou potentiels) – comme des clients, regroupés en segments de marché distincts. C’est à eux que la marque employeur s’adresse. Elle synthétise l’ensemble des valeurs non seulement revendiquées, mais également incarnées par l’entreprise dans son rôle d’employeur. Comme une marque commerciale, pour s’inscrire dans le moyen et long terme, elle doit être sincère, et correspondre véritablement à la réalité vécue par les collaborateurs. Voilà, très rapidement résumés, les enjeux que recouvre l’expression « marque employeur ».
C’est une notion particulièrement importante aujourd’hui, au moment où les entreprises sont confrontées à une véritable guerre des talents. 51% d’entre elles déclarent éprouver des difficultés à recruter, alors même que la France continue à afficher un taux de chômage encore proche de 9%. Cet apparent paradoxe s’explique notamment par le fait que la pénurie règne sur certains métiers (souvent dans les professions intellectuelles supérieures, mais pas que, loin de là), qui correspondent à des compétences insuffisamment maîtrisées dans la population active. Cette guerre des talents se double d’une guerre de l’attention : le temps de cerveau disponible du salarié/consommateur fait l’objet d’une compétition intense, et l’entreprise doit savoir susciter et maintenir l’attention ! Elle doit d’ailleurs en faire preuve si elle veut un minimum de réciprocité en la matière. Dans ce contexte, la marque employeur devient un outil indispensable pour attirer les talents, pour les retenir, et pour susciter leur engagement.
On voit bien le rôle que peut jouer la formation dans la résolution du paradoxe français de l’emploi : c’est bien grâce à elle que l’offre et la demande de compétences pourront se rapprocher. Parmi les métiers en tension identifiés par Pôle Emploi, on trouve des profils aussi divers que les agents de services à la personne ou d’entretien des locaux, les ingénieurs et cadres en R&D, les aides-soignants, les soudeurs et les commerciaux… Pour attirer les personnes susceptibles de remplir efficacement ces missions, les entreprises sont amenées à travailler leur marque employeur en y intégrant une dimension d’apprenance plus forte. La marque employeur doit envoyer le message suivant : nous vous recrutons, nous vous formons, nous vous portons attention, nous vous confions des tâches qui ont du sens dans un environnement organisationnel et matériel qui vous donnera envie de vous investir et de rester. Dans cet enchaînement, le développement des compétences et plus précisément la formation jouent un rôle clef pour l’attractivité : elle rend crédible la proposition et elle concrétise l’investissement que l’entreprise est prête à consentir dans le parcours de ses collaborateurs.
Tout à fait. C’est la raison pour laquelle l’un des principaux défis de la formation est aujourd’hui l’orientation. Souvent, les personnes en recherche d’emploi ne savent même pas qu’elles peuvent être formées, et ne se font pas une idée précise des métiers qui pourraient leur être accessibles. Les entreprises, de leur côté, cherchent des profils pour lesquels elles ne trouvent pas toujours de formation adaptée. Il y a donc un triple travail d’ingénierie de formation, d’information et d’orientation à assurer. L’institution évolue sur tous ces points, mais les entreprises ne doivent pas attendre d’elle passivement la solution au problème. Les départements RH et formation ont un rôle à jouer dans ce rapprochement, dans cette nouvelle donne : celui de cibler des profils-types – par exemple, soigneux et manuel ; créatif et logique ; sociable et orienté service – pour les amener vers des filières métiers qui leur sont accessibles, auxquels ils ne pensent pas ou dont ils ont une image erronée. Il s’agit de leur donner envie d’avoir envie, la formation étant le moyen de réaliser l’envie.
C’est un élément que l’on retrouve effectivement dans les plates-formes de marque employeur, comme axe d’attractivité et de fidélisation. Environ deux clients sur trois mettent en avant dans leur marque employeur une dynamique de formation importante au sein de l’organisation.
Pour autant, je n’ai pas d’éléments qui permettraient d’affirmer que la formation, par et pour elle-même, fonctionne effectivement comme un levier important d’attractivité employeur. Il y a peu de chances pour qu’un candidat choisisse de rejoindre une entreprise spécifiquement parce que les salariés reçoivent beaucoup de formation ! En revanche, que les candidats constatent que la marque employeur est reconnue, que les collaborateurs témoignent de leur satisfaction et de leur épanouissement professionnel, ce sont là des éléments qui pèseront davantage dans leur motivation. En clair, la formation fait partie des ingrédients essentiels de la marque employeur, mais elle n’apparaît pas comme un facteur direct d’attractivité. Il en va de même pour la fidélisation : on restera rarement dans une entreprise parce qu’elle vous propose des belles formations. Mais dans une entreprise qui se préoccupe d’accompagner votre parcours et votre développement professionnel, si.
Ensuite, il ne faut pas oublier que le meilleur moyen de ne pas avoir de problème de recrutement, c’est encore de ne pas être obligé de recruter… Ce n’est pas toujours possible, bien sûr, mais les talents peuvent également être développés en interne. Des parcours compétences peuvent être définis sur le moyen et long terme. Cela suppose une vraie GPEC, au sens opérationnel et pas juridique. En fluidifiant la mobilité et en réduisant le turnover, la gestion prévisionnelle des compétences et son bras armé, la formation, contribuent donc à résoudre les difficultés de recrutement des entreprises.
La marque employeur est un outil de marketing RH : il faut donc marketer la formation. J’ai coutume de dire qu’il faut développer le potentiel « patate », au sens Pomme-De-Terre, de votre marque employeur : à savoir, vérifier qu’elle soit bien P. D. T., pour Pertinente, Différenciante, Transparente. On peut appliquer cette grille au rôle de la formation dans la marque employeur.
Quand la démarche marketing respecte bien ces trois points, on peut s’attendre à une bonne efficacité du rôle de la formation dans la marque employeur : un besoin bien analysé, des cibles bien identifiées, une communication adaptée produiront des résultats.
La fonction formation, comme la fonction RH, a longtemps été une fonction d’exécution, qui se contentait majoritairement de répondre à des contraintes légales, sans avoir le temps de viser le long terme. La situation actuelle de pénurie de talents n’est pas que le fruit du système : elle découle aussi de cette incapacité des ressources humaines et de la formation, pendant longtemps, à conduire une politique proactive, avec une vision stratégique du business. Encore aujourd’hui, selon le baromètre Parlons RH de l’expérience collaborateur dans son édition 2019, 58% des entreprises n’ont pas encore mis en place de processus interne de gestion des parcours, et 62% ne sont pas équipées d’un outil digital qui permettrait de le faire.
La marque employeur est une opportunité pour la fonction formation, si elle sait la saisir. Ce n’est pas une injonction abstraite. Le marketing, ce n’est pas « strass et paillettes » : c’est répondre à des attentes, faire connaître et donner envie. Or, plus que jamais, la fonction formation affronte ce défi : donner envie de se former. Pour former davantage, mais aussi pour former mieux : on ne retire pas grand-chose d’une formation qu’on n’a pas envie de suivre. Apprendre est comme Aimer, cela se conjugue mal à l’impératif. C’est tout le rôle du responsable formation. Susciter l’appétence pour le développement des compétences, proposer une offre de formation qui réponde à la fois aux aspirations des collaborateurs et à l’intérêt de l’entreprise : tel est son cœur de métier.
Encore faut-il qu’il ait le temps de s’en occuper : si son quotidien est accaparé par la gestion administrative, il ne pourra pas se consacrer à ce qui fait vraiment sa valeur ajoutée. Il dispose, pour l’y aider, de plusieurs outils et atouts. Ainsi, comme pour l’ensemble des processus RH, externaliser les tâches les plus techniques est une solution qui permet de lui dégager du temps. La digitalisation (qui peut aller ou non de pair avec une externalisation) apporte également des réponses dans ce sens. Par ailleurs, il faut noter que la réforme a créé un contexte favorable à la valorisation du rôle du responsable formation : elle simplifie le système et prolonge une évolution qui fait passer de plus en plus la formation d’une logique d’obligation vers une logique d’investissement, dont le responsable formation est le prescripteur.
Celui-ci bénéficie enfin d’une aide précieuse avec la démarche marketing RH. Écouter les attentes, les besoins, les frustrations ; définir ses segments de marché, c’est-à-dire des ensembles d’individus ayant des aspirations homogènes ; identifier les offres adaptées à ces attentes ; évaluer les résultats de la démarche : la méthodologie marketing RH, mise au service du projet RH de l’entreprise, s’adapte parfaitement aux défis du responsable formation d’aujourd’hui.
Pour y parvenir, la fonction formation doit être elle-même dans une démarche de marketing de soi. Elle doit savoir se vendre, faire la démonstration de sa capacité à servir le projet et l’ambition de l’entreprise. C’est ce qui rend le métier de responsable formation à la fois si complexe et si passionnant aujourd’hui !
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