Docteur en droit, Philippe Piccoli est juriste au sein de Fromont-Briens, cabinet d’avocats spécialisés en droit social. Il vient de publier sa thèse de doctorat, intitulée L’expansion de la formation professionnelle continue, qui se conclut sur 101 propositions de réformes à l’intention du politique. Il nous parle de son travail, de son utilité pour le responsable formation, et de sa vision du système de formation professionnelle.
Vous venez de publier votre thèse. Quels sont les différents usages qu’un responsable formation pourrait avoir d’un tel ouvrage ?
Cette thèse est d’abord partie d’un projet académique, et ce sont des raisons académiques qui m’ont poussé à aller sur ce terrain de la formation professionnelle continue : il se trouve en effet que le sujet est peu traité par les juristes, et n’avait pas été abordé en doctrine de façon globale. Cela s’est combiné au fait que le cabinet Fromont-Briens créait une activité dédiée aux questions juridiques touchant à la formation professionnelle dans les entreprises. Cela m’a permis de réaliser la thèse en Cifre au sein du cabinet.
Y a-t-il une spécificité du droit en matière de formation professionnelle, avec la place importante qu’y joue le dialogue social ?
La formation professionnelle est le domaine par excellence de la négociation de branche et interprofessionnelle, ce qui n’est pas tellement dans l’air du temps, puisque l’heure est plutôt aux accords d’entreprise. Je pense pour ma part que le rôle de la branche doit être prépondérant, dès lors que l’on est favorable à un système de mutualisation et de redistribution vers les petites entreprises.
À la lecture de certains accords, il arrive que des passages soient peu clairs ou mal rédigés, ce qui peut signifier que les négociateurs n’ont pas vraiment réussi à se mettre d’accord, et ont recherché une formulation de compromis. Parfois, c’est le décret qui vient trancher, avec une analyse qui peut se révéler en contradiction avec des dispositions légales.
Il n’y a pas de place pour la formation professionnelle dans la négociation d’entreprise ?
La réforme de 2014 avait tenté d’inciter les entreprises à aller dans ce sens, notamment avec la gestion interne du Compte personnel de formation (CPF). Mais en pratique peu d’accords ont été conclus. En théorie cependant, le CPF peut être le moyen de développer des accords d’entreprise sur la formation professionnelle, en lien avec la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC). Le contrat et la période de professionnalisation se gèrent plutôt au niveau de la branche. Après, on peut avoir des dispositions plus favorables que la loi sur le Congé individuel de formation (Cif), ou des engagements financiers matérialisés dans un accord. Mais ce n’est pas le domaine dans lequel on a le plus de possibilités.
Une grande entreprise française dans le secteur de l’énergie avait cependant conclu un accord de groupe européen qui comprenait la création d’un fonds de mutualisation interne, permettant d’assurer une péréquation entre les budgets des entreprises du groupe en matière de formation. Mais nous ne voyons pas passer beaucoup d’accords de ce type. Le CICE comporte une dimension incitative dans ce sens, puisqu’il permet l’imputation de dépenses de formation ; mais il ne nécessite aucun accord d’entreprise.
Quelle peut être l’utilité de votre ouvrage pour un responsable formation d’entreprise ?
Je vois trois types d’apports possibles.
D’abord, l’ouvrage adopte une approche résolument technique du sujet, sans grands développements conceptuels, ceux-ci pouvant apparaître dans les notes de bas de page mais pas dans le texte lui-même. Le responsable formation trouvera donc des réponses à des sujets techniques, que j’ai été amené à creuser d’un point de vue juridique, en partant souvent des points de blocage rencontrés dans ma pratique. Le livre contient des réponses assez détaillées sur certains dispositifs, mais aussi des mises en perspective des lois, décrets et circulaires, qui permet de remettre les choses dans leur contexte, de prendre un peu de hauteur, pour revenir à la finalité des textes et finalement résoudre les problèmes.
Ensuite, il y a un apport plus théorique, plus intellectuel : c’est un ouvrage assez complet sur l’ensemble du système français de la formation professionnelle continue. Pour un professionnel, cela peut être intéressant et permettre de mieux comprendre le système dans sa globalité.
Enfin, le responsable formation peut y puiser des idées d’innovation dans sa pratique, en attirant l’attention sur des dispositifs que l’on n’utilise pas forcément au quotidien.
C’est un ouvrage très accessible, avec un index alphabétique complet – et qui m’a demandé beaucoup de travail ! – qui permet de circuler dans le texte et de trouver rapidement les réponses aux questions que l’on se pose sur la formation professionnelle.
Parmi les points concrets sur lesquels un responsable formation pourra trouver une aide précieuse dans le livre, on peut citer par exemple la gestion en interne du Compte personnel de formation. Celle-ci suppose la conclusion d’un accord, dont la rédaction n’est pas simple, en raison notamment de lacunes de la loi. Il y a des points à évoquer, des pièges à éviter, des difficultés techniques…
Un autre exemple est celui de la clause de dédit formation, qui permet à l’entreprise, lorsqu’elle finance une formation onéreuse à un salarié, d’exiger de lui qu’il reste un certain temps dans les effectifs. Le sujet est relativement bien balisé par la jurisprudence, mais pas dans tous ses aspects… Là aussi, un guide technique est utile.
L’ouvrage contient également 101 propositions, dont une moitié porte sur des points de pure technique juridique ; les autres entraînent d’authentiques changements dans le système de formation professionnelle, d’ampleurs très variées.
Ce n’était pas du tout mon objectif au départ de formuler des propositions. Cela s’est imposé en cours de rédaction. Le chiffre 101 est également fortuit… Je me suis rendu compte qu’il y avait un certain nombre de sujets qui pouvaient appeler des corrections. Je souhaitais avoir un regard critique sur le droit positif, ce qui est cohérent avec l’objectif d’une thèse. Au départ, j’ai consigné ces réflexions dans les notes, puis j’ai trouvé dommage de perdre ces informations qui étaient peut-être les plus importantes. Elles synthétisent les conclusions pratiques, opérationnelles de la thèse, de façon pédagogique, avec un système de renvoi vers les parties du texte qui les mettent en lumière.
Les propositions purement rédactionnelles viennent des incohérences et des doublons que l’on découvre quand on confronte les textes, et qui peuvent très facilement nourrir des conflits, par la multiplicité des interprétations possibles.
Les propositions politiques expriment davantage mes convictions. Elles visent à améliorer la sécurité juridique pour les entreprises ; à favoriser l’accès à la formation sans complexités inutiles ; à accroître la stabilité du système. Les acteurs de la formation professionnelle se plaignent beaucoup de l’instabilité : les dispositifs n’ont pas le temps de s’imposer, et les changements, parfois presque exclusivement sémantiques, génèrent régulièrement une chute des entrées en formation. Si une entreprise ne se sent pas sécurisée juridiquement, il y a peu de chance qu’elle finance de la formation. Le salarié comme l’entreprise ont intérêt à ce que les mécanismes juridiques et financiers de la formation professionnelle soient stables et sécurisants.
Que pensez-vous du projet du nouveau président Emmanuel Macron et de son gouvernement ?
Pour le moment, on ne retrouve pas énormément de choses très précises. Il est question de développer la formation professionnelle en général. Sur le Compte personnel de formation, la proposition de le libeller en euros va dans le bon sens, et converge avec mes recherches. La comptabilité en heures est assez artificielle : les bénéficiaires ne savent pas vraiment à quoi ils ont droit, et les logiques d’abondement sont moins lisibles. Il ne faut pas considérer le coût de la formation comme quelque chose d’annexe, d’accessoire : il n’y a pas d’accès à la formation sans financement. C’est une mesure assez pragmatique et qui va plutôt dans le bon sens.
En revanche, je suis moins convaincu par l’idée d’orienter la quasi-totalité du 1% vers le CPF. La logique part des besoins des individus, ce qui est un bon calcul pour une certaine population, mais pas pour tout le monde. Pour que cela fonctionne, il faudrait considérablement améliorer l’accompagnement des bénéficiaires en amont. Il y a eu des progrès de fait sur ce point avec le Conseil en évolution professionnelle (CEP), mais on n’est pas encore prêts à accompagner 20 millions de bénéficiaires du CPF…
La suppression des listes de formations éligibles me paraît plutôt une bonne chose : le système est trop complexe, il faut lever les freins. Le risque est cependant que si on laisse les salariés et les demandeurs d’emploi aller vers tout et n’importe quoi, le résultat ne corresponde pas aux besoins des entreprises, ce qui n’est bon pour personne.
Vous travaillez au sein du cabinet Fromont Briens. Quels services peut apporter aux services formation ce type d’acteurs ?
Notre cabinet est spécialisé en droit social, structuré autour de 3 pôles d’expertise : Droit du travail, Rémunérations (complémentaires, protection sociale, retraite, contrôles Urssaf…) et Formation professionnelle, au sein duquel des avocats dédient leur activité à ce domaine d’expertise. Ce pôle accompagne l’ensemble des acteurs du système, des organismes de formation aux branches professionnelles en passant par les financeurs et les entreprises.
Les missions de ce 3e pôle sont très variées : il peut s’agir d’accompagner des organismes de formation dans des démarches de certification, de réaliser des audits pour contrôler la conformité d’accords ou de conventions, de contrôler des organismes de formation qui font appel aux fonds mutualisés, d’aider à la création d’universités d’entreprise ou de nouvelles activités dans le champ de la formation initiale, , de rédiger des accords d’entreprise ou de branche, des conventionnements pour les contrôles qualité des organismes financeurs ; il y a aussi, comme je disais, la question de la clause de dédit formation.
Nous rencontrons également pas mal de questions de conformité sur l’entretien professionnel : il y a un risque financier énorme, en particulier pour les grandes entreprises.
Il s’agit majoritairement d’une activité de conseil, même si le pôle Formation traite également de contentieux administratifs engagés à la suite de redressements opérés par les agents de la Direccte.
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