Expert de la formation professionnelle et de l’apprentissage en entreprise, Mathilde Bourdat a rédigé de nombreux ouvrages. Précédemment DRH dans l’industrie et directrice adjointe d’un organisme de formation technique, elle est aujourd’hui responsable des formations inter-entreprises s’adressant aux formateurs et aux responsables formation pour Cegos France. Elle nous offre sa vision de ce nouveau rapport au savoir, en partie dû à l’arrivée du digital pour tous, et à ses impacts sur la fonction Formation.
C’est une révolution. Comme le dit Michel Serres (1) : « La révolution du numérique est la troisième. Il y a eu le passage de l’état oral à l’état écrit, puis de l’état écrit à l’état imprimé, et de l’imprimé au numérique. »
En 2013, j’ai eu un vrai sentiment de rupture dans la façon de penser. On ne peut pas considérer les entreprises différemment de la société, elles ne peuvent être décorrélées trop longtemps. Prenons l’exemple de YouTube et de la vidéo. Ce média est utilisé par les particuliers, il doit être également utilisé dans le cadre de l’entreprise.
Dans notre monde, le numérique est prégnant mais il ne remplacera pas tout. De la même manière que l’arrivée du cinéma n’a pas entraîné la fin du théâtre mais simplement une évolution de son public ; la formation ne sera plus la même avec le numérique mais le présentiel demeurera.
Les innovations sont majeures ; il faut les intégrer dans les modalités d’apprentissage.
Rappelons l’article 7 de la Loi n° 2004-391 du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social :
« L’employeur a l’obligation d’assurer l’adaptation des salariés à leur poste de travail. Il veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations. » Il peut proposer des formations qui participent au développement des compétences.
Comme l’a souligné l’affaire des plongeurs du Concorde Lafayette, l’employeur est bien tenu de veiller au maintien des capacités de ses employés à occuper un emploi.
Maintenir sa capacité à occuper un emploi, c’est apprendre « tout au long de sa vie », et maîtriser non seulement le socle de compétences, des expertises métiers, mais aussi des compétences transversales. Parmi ces compétences transversales, la capacité de sélectionner l’information, de la traiter, de la partager, est cruciale dans la société du savoir d’aujourd’hui. Les compétences digitales font dès à présent partie du socle de compétences.
L’offre de formation de l’entreprise doit donc favoriser le développement de ces compétences digitales et disposer de modalités congruentes : à la fois pour mieux s’adapter au poste et développer ces nouvelles compétences. Le problème ? Nous faisons face à de multiples publics, plus ou moins alertes ou à l’aise avec la technologie ou les usages dits « sociaux ».
Certains utilisent quotidiennement Twitter, Scoop.it ou d’autres médias sociaux. Ces outils font partie de leur vie. Mais cela n’est vrai que pour une minorité.
Les responsables formation et les managers doivent alors évangéliser, accompagner les collaborateurs dans ces nouveaux usages, quel que soit le degré de leur pratique digitale. Comme l’explique Bart Schutte, Directeur digital learning and news technology, Compagnie de Saint-Gobain, « on voit se profiler l’arrivée du social learning, avec des entreprises comme Saint-Gobain où des plateformes collaboratives sont instaurées pour favoriser les échanges et les discussions au sein de l’entreprise. Ces outils jouent un rôle important dans le processus d’apprentissage et l’individu prend vraiment le contrôle. »
Parallèlement, la plateforme « My Learning » déployée par L’Oréal dans 68 pays est un autre exemple de l’apport exceptionnel du digital dans la formation. Elle regroupe plus de 3 000 ressources pédagogiques accessibles en ligne avec bien sûr des modules d’e-learning, des vidéos, des podcasts, des fiches on-the-job, des accès à des lectures/archives…. Cela donne la possibilité à ses collaborateurs de « construire leur propre expérience de formation », ils deviennent ainsi acteurs de leur développement. Citons les chiffres communiqués pour 2012 : 25 000 heures de connexions ont permis de former 15 000 collaborateurs dans le monde. C’est une véritable avancée.
Longtemps, nous avons uniquement réagi face aux besoins de formation. C’était de l’apprentissage « just in time ». Il a atteint ses limites et devient un problème dans notre société en changement perpétuel. Aujourd’hui, la priorité est à l’anticipation. Dans cette optique, le métier de Responsable formation évolue vers celui de Responsable du learning & development. Malheureusement, notre langue française ne possède pas de synonyme de « learning », acception beaucoup plus vaste que formation. Notre cadre juridique nous a habitués à penser la formation dans un cadre formel. Cependant, la question n’est pas « comment former ? » mais « comment apprennent-ils » – et comment fertiliser ces apprentissages.
La loi du 16 juillet 1971 a instauré l’obligation fiscale pour les entreprises de participer au financement de la formation professionnelle, ce qui a eu pour corollaire la définition des critères d’imputabilité des dépenses formation. Donc, depuis plus de quarante ans, le responsable formation adapte ses projets avec cette contrainte. Le nouveau responsable formation doit être un accompagnateur pour développer de nouvelles solutions d’apprentissage intégrant le rôle des pairs, l’accompagnement terrain, les usages du numérique pour apprendre, en s’affranchissant de la notion d’imputabilité qui demeure un frein en France.
Oui, et nous pouvons relever plusieurs changements importants en cours ou à venir :
Le numérique est un grand espoir. Le succès du MOOC Gestion de projet de l’Ecole centrale de Lille en est un exemple flagrant : plus de 10 000 inscrits pour ce premier MOOC certificatif français créé par Rémi Bachelet. C’est une nouvelle dimension pour l’accès à la connaissance mais il faut être vigilant : cette révolution pourrait laisser beaucoup de gens sur le bord de la route. Tout le monde n’est pas prêt. Un grand travail de pédagogie est essentiel.
(1) Petite Poucette, de Michel Serres, collection Manifestes, éditions Le Pommier (mars 2013)
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Crédit photo : Yannick Verkindère
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