Nous vous proposons ci-après l’interview de Patrick Storhaye.
Afin d’en faciliter la lecture nous le diffuserons en deux temps :
1- Les racines du problème et les valeurs comme élément de réponse.
2- Les pratiques RH et de formation à explorer.
Patrick Storhaye : Bonjour. Les critiques des organisations pathogènes font écho au mal-être des salariés. Elles fleurissent en outre sur un terreau sociétal anxiogène. En effet, la perspective offerte aux Européens, et particulièrement aux plus jeunes, n’est pas de nature à les réconforter. Car, si aucun Churchill n’a promis « du sang, de la peine, des larmes et de la sueur », les marchés financiers et la compétition mondiale ont donné le ton. Or, ce désarroi qui ébranle la société civile, cette défiance grandissante, les entreprises y sont confrontées. Et la fracture n’est pas loin !
En la matière, les indignations, si sincères soient-elles, ne constituent pas un moyen de transformer le réel. Certes, même brouillonnes, elles sonnent l’alerte. Mais elles conduisent vite à ce que l’idéologie l’emporte sur l’analyse, surtout lorsque l’émotion trouble le regard d’une opinion en quête de coupables. Or, il ne faut pas investir notre énergie à combattre une réalité qu’on refuse d’admettre mais plutôt travailler à chercher des solutions concrètes susceptibles d’en infléchir le cours. Car, en toute situation, nous disposons forcément de leviers sur lesquels agir.
La gravité du sujet exige mieux que des postures manichéennes d’ordre idéologique : d’un côté, les conséquences des RPS sur les personnes et, de l’autre, un défi de compétitivité. Or, l’ampleur de la fracture que nous évoquons suggère que sa réduction ne puisse se faire sans questionner les frontières habituelles des entreprises, de leur organisation et de ses codes, de leur culture et celle de leurs décideurs.
Dans les faits, les entreprises font face à une délicate équation. Elles sont confrontées à la nécessité de combiner de front un impératif de productivité et une quête d’innovation, alors qu’elles ne disposent pas réellement des modèles d’organisation et de la panoplie RH qui permettent de gérer cette simultanéité. Dans le même temps, elles se heurtent à la démobilisation d’un corps social sans l’engagement duquel toute ambition de cette sorte est caduque. Ce qui est en jeu est bien la capacité des entreprises à être à la fois – et c’est cette simultanéité qui pose problème – économe de leurs ressources tout en étant agiles et innovantes.
Face à cette complexité, comme le rappelait, Samuel Palmisano, PDG d’IBM Corporation, la créativité est essentielle[2] : la complexité est la première préoccupation d’organisations qui ne sont toutefois pas prêtes à l’affronter et la créativité est la réponse primordiale. Or, on peut parier que les mentalités n’y soient pas totalement prêtes !
Mais la créativité ne suffira pas car il faut aussi emporter l’adhésion du corps social. Et les appels incantatoires au sens n’y suffiront pas. Il faudra surtout savoir redonner un cap. En effet, quelle posture convaincante, à défaut d’être rassurante, peut-on adopter face à ce qui s’apparente au chaos et à l’incertitude ? Lorsque la tempête est pressentie, les soutiers plus encore que les vigies, ont besoin d’un cap, celui de l’espérance d’une accalmie ou d’une île à découvrir ! Encore faut-il que cette espérance ne confine pas à l’utopie.
Quand on sait que l’avenir est plus affaire de vision que de prévision, il est nécessaire d’avoir une intention et d’être porté par une envie. Il convient d’être conscient des difficultés qu’il faudra affronter et d’avoir confiance dans ses capacités à les surmonter. On peut comprendre que dans l’incertitude de la tempête, il ne reste que l’envie et les valeurs comme cadre de référence collectif.
Les entreprises, centrées sur l’enjeu de la valeur, ont trop négligé celui des valeurs. Mais quelles valeurs privilégier pour affronter ce monde nouveau ? Quel socle cohérent pourrait mieux favoriser l’émergence d’une culture propice à répondre aux enjeux d’adaptation du business tout en répondant au mieux aux besoins des personnes ?
On l’a vu, la créativité est essentielle car c’est là où le bât blesse le plus souvent dans la capacité d’innovation de nombreuses entreprises. Si elles maîtrisent bien ce qui relève de la « convergence »[3], elles sont moins à l’aise avec la « divergence » – la créativité – avec ce que cela suppose de diversité, de liberté de parole et d’esprit critique.
Mais il y a aussi les valeurs susceptibles de redonner envie et confiance à un corps social désorienté. Qu’avons-nous fait ainsi de la bienveillance, non pas celle qui rime avec une forme de gentillesse naïve, mais celle qui s’inscrit dans un principe de responsabilité à l’égard des Autres ? Qu’avons-nous fait de l’amour du métier, de l’éthique du bien commun et du sens de l’intérêt général ? Pourquoi avons-nous oublié que la bonne humeur ne nuit pas à l’efficacité ? Pourquoi l’esprit critique est-il devenu impertinence alors même qu’il est souvent fécond et parfois salvateur ? Bref, il y a là besoin de réhabiliter des valeurs laissées en jachère au profit d’une hypertrophie de l’utopie de la toute puissance et du tout contrôle. À force de ne reconnaître que la seule performance individuelle du « sur-homme », l’entreprise moderne a fini par oublier de célébrer les valeurs morales de « l’honnête homme », dont la déshérence contribue à alimenter la fracture entre les salariés et l’entreprise.
Vous retrouverez la suite de l’interview de Patrick Storhaye dans 10 jours.
Nous aborderons les pratiques RH et de formation à explorer.
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[1] « Le plaisir d’entreprendre : pour une entreprise humaine et innovante », Editions EMS
[2] IBM Global CEO Study (2010) “Tirer parti de la complexité”.
[3] Guilford, J. P. (1967). “The nature of human intelligence”. McGraw-Hill.
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