Gestion de la formation

Le plan de développement des compétences a-t-il encore un sens ?

Juridiquement, le plan de développement des compétences apparaît davantage comme un vestige d’une époque révolue, celle de l’imputabilité. Sous la forme routinière qu’il revêtait souvent quand il s’appelait « plan de formation », il a sans doute vécu. Mais l’ampleur du défi des compétences au XXIe siècle lui réserve une nouvelle vie, sous une forme plus libre et plus dynamique.

 

Le plan de développement des compétences : de l’obligation à l’invitation

En tant qu’héritier du plan de formation, le plan de développement des compétences a déjà connu plusieurs vies juridiques.

Un véhicule de dialogue social interne

La première mention de l’expression « plan de formation » dans le code du Travail remonte à 1978. Une loi du 17 juillet de cette année-là énonce que « Le comité d’entreprise donne son avis sur le plan de formation du personnel de l’entreprise ». C’est donc par la porte du dialogue social en entreprise que le plan de formation a fait son entrée dans la loi.

Par la suite, la loi Rigoult du 24 février 1984 précise cette obligation et lui donne la forme qu’elle conservera pour l’essentiel jusqu’à la loi Rebsamen du 17 août 2015. Chaque année, l’employeur de 50 salariés ou plus devait, légalement, consulter deux fois le comité d’entreprise sur le plan de formation : une fois lors du bilan du plan de l’année qui s’achevait, une fois lors de l’élaboration du plan de l’année à venir. Un décret de 2008 avait même fixé des dates limites à ces consultations – respectivement le 1er octobre et le 31 décembre. C’est le calendrier qui a régi le rythme saisonnier du plan de formation pendant de longues années.

Le suivi de l’obligation de financement

C’est également la loi Rigoult qui associe pour la première la notion de « plan de formation » à l’obligation de financement :  les employeurs s’acquittaient de cette dernière, parmi d’autres moyens, « en finançant des actions de formation au bénéfice de leurs personnels dans le cadre d’un plan de formation ». Celui-ci devient donc non seulement un sujet de consultation et un document stratégique, mais aussi un support de gestion financière et administrative de la formation.

Un rendez-vous stratégique pour l’investissement formation

Les réformes de 2014 (formation), 2015 (dialogue social) et 2018 (formation) ont largement bouleversé ce cadre.

Celle de 2015 a supprimé les deux consultations obligatoires dédiées à échéances fixes. La formation a été rattachée à deux de trois grandes consultations créées pour remplacer les 17 rendez-vous prescrits auparavant : celle consacrée aux « orientations stratégiques de l’entreprise » (dimension économique et stratégique) et la « consultation annuelle sur la politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi » (dimension sociale et organisationnelle). Ces consultations restent obligatoires, mais elles n’ont plus de date butoir, et une grande liberté est laissée aux entreprises pour leur organisation.

Celle de 2018 a transformé le plan de formation en plan de développement des compétences, en même temps qu’elle redéfinissait l’action de formation. La finalité (le  développement des compétences) remplace les moyens (la formation).

Les deux réformes de la formation de 2014 et 2018 ont enfin mis fin à l’imputabilité de la dépense de formation dans les entreprises en deux temps : dans les entreprises de 300 salariés et plus (2014), puis dans les entreprises de 50 à 300 salariés (2018).

 

Une logique d’investissement stratégique

Chemin faisant, ce qui était une quasi-obligation juridique très encadrée est devenue presque une recommandation, une « bonne pratique ». Dans le même temps, on passait d’une logique de dépense contrainte et d’obligation de moyens à un logique d’investissement et d’obligation de résultat. « Plan de formation » apparaissait 20 fois dans la partie législative du code du Travail de 2008 et 37 fois dans celui de fin 2015. En 2022, « Plan de développement des compétences » n’est mentionné que 8 fois dans le même périmètre.

Délivré de ses strictes contraintes réglementaires, le plan de développement des compétences reste un instrument majeur de la politique de formation des entreprises. La réforme de 2018 a clarifié sa structure, en répartissant clairement les actions de  formation en deux  catégories : obligatoires  et non obligatoires. Deux subdivisions que l’on retrouve, logiquement, dans le plan de développement des compétences. Et qui ont leur importance : en effet, depuis 2018, chaque salarié doit recevoir au moins une formation non obligatoire par période de 6 ans passée dans l’entreprise. C’est lors de l’entretien professionnel-bilan des 6 ans que cette condition est vérifiée, en même temps que l’on s’assure que l’entretien a bien été organisé tous les deux ans. Cette obligation, rappelons-le, est associée à une pénalité en cas de non-respect.

La distinction entre adaptation au poste et développement des compétences perdure dans les textes, même si elle n’est pas toujours facile à appliquer dans un contexte de mutation des métiers. Quand un métier se digitalise, par exemple, se former aux nouveaux outils relève à la fois de l’adaptation et du développement des compétences. Chaque contexte d’entreprise justifie sa propre typologie d’actions de formation.

La clarification de la définition de l’action de formation entraîne celle du champ du plan de développement des compétences. On y retrouvera donc les 4 catégories d’actions :

En incluant les formations en alternance, le plan de développement des compétences déborde ainsi de la problématique « formation » sur la problématique « recrutement ». Et de là, plus généralement, sur la gestion des talents dans son ensemble.  Par ailleurs, la première catégorie, celle des actions de formation « classiques », inclut elle-même explicitement tout ce qui relève de la formation digitale et de la formation en situation de travail. Rien n’empêche par ailleurs de mentionner les moyens alloués à la formation informelle, au tutorat, au mentorat.

Le plan de développement des compétences devient ainsi le document de planification et du suivi global de tout ce qui contribue à entretenir et développer le capital de connaissances et de compétences de l’entreprise.

 

Un plan de développement des compétences à haute teneur en digital

L’élaboration du plan de développement des compétences, depuis le recueil des besoins de formation jusqu’au suivi des indicateurs, fait déjà appel au digital dans nombre d’entreprises depuis longtemps.

Un défi pour le système d’information

Les outils digitaux de gestion de la formation, plus ou moins bien coordonnés avec le SIRH, permettent déjà très souvent de compiler des données, d’allouer des moyens, d’évaluer les résultats. De plus en plus, des recommandations personnalisées émises par l’intelligence artificielle permettront d’enrichir les propositions et le fonctionnement du plan, en se fondant sur les données de profil et de parcours des individus.

La théorie, c’est que les systèmes d’information de la formation (LMS, TMS, LXP…) et des RH se rapprochent et fonctionnent ensemble. A terme, ils permettraient une gestion de bout en bout et une visualisation à la fois globale et segmentée de l’ensemble des actions concourant au développement des compétences.

En pratique, des frontières technologiques et organisationnelles « naturelles » se dressent entre cet objectif et la réalité. Les origines différentes et les rattachements hiérarchiques distincts des systèmes d’information ; les limites de ceux-ci et de leurs interconnexions ; leurs finalités différentes (gestion des flux et des achats, gestion de catalogue, diffusion de contenus, gestion RH des parcours…); les spécificités des systèmes de formation nationaux dans les groupes internationaux ; la différence de nature et de circuits de gestion entre formation à distance et formation en présentiel, entre formations synchrones et asynchrones, formelle et informelle, interne et externe… Sans oublier la considérable complexité de la question et des outils qui y répondent.

L’accélération des années 2020

La crise sanitaire, cependant, a permis aux entreprises de réaliser un véritable saut qualitatif et quantitatif dans la digitalisation de gestion des compétences. La formation à distance, dont le marché s’était développé lentement au cours des années 2010, a connu une brusque accélération. Selon Global Market Insights, le marché mondial du elearning atteignait 190 milliards de dollars en 2018.  En 2022, il devrait représenter le double de cette somme (20% de plus que les 315 milliards de 2021, soit 380 milliards de dollars, selon cette étude). Il dépasserait les 1,1 billions en 2028.

Cette révolution des usages contraint les entreprises à adapter en urgence leurs méthodes de gestion de la formation. La faculté de choisir rapidement les modalités les plus adaptées à chaque collaborateur et à chaque contexte devient un impératif. Et la possibilité d’avoir une vision globale des moyens mis en œuvre devient cruciale.

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Dans un monde de l’entreprise bouleversé par la digitalisation accélérée des usages et des outils, confronté au défi des données et de l’information, le plan de développement des compétences est à la fois le vecteur et le reflet des révolutions en cours. D’outil de planification, il tend à devenir un rendez-vous périodique dans le suivi d’un processus continu d’amélioration des compétences. Il révèle également l’ampleur du défi technologique et organisationnel que pose la gestion de la formation dans l’économie en transformation.

Crédit photo : Shutterstock / Gajus

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