La pénibilité n’est pas seulement un sujet de santé au travail : c’est aussi un sujet pour le responsable formation. Celui-ci a un rôle essentiel à jouer sur la question : en amont pour former les collaborateurs à la prévention/santé, mais aussi en aval pour assurer la reconversion des salariés concernés. A cet égard, le Comte professionnel de prévention (C2P), ou compte pénibilité, qui bénéficiait déjà fin 2021 à 1,9 million de salariés, est un outil de financement précieux et sous-utilisé, complémentaire du Compte personnel de formation (CPF). La réforme des retraites du 14 avril 2023 en a encore simplifié l’accès, et créé une nouvelle « filière » d’utilisation des points de pénibilité pour la reconversion professionnelle.
Mis à jour le 1er septembre 2023
Créé en 2014, modifié en 2017, le « Compte pénibilité » (aujourd’hui C2P, Compte professionnel de prévention) est conçu, au départ, comme un outil « retraite » : il s’agit de permettre au travailleur ayant exercé un ou des métiers pénibles de partir plus tôt à la retraite ou d’aménager sa fin de carrière en travaillant à temps partiel. Mais le C2P est également un outil de formation, qui peut permettre de financer intelligemment une reconversion, en mobilisant les fonds du CPF. Les C2P ayant commencé à être alimentés en 2015, et les droits devant être utilisés prioritairement pour la formation, on devrait assister dans les années qui viennent à un recours accru à cette source de financement.
C’est l’employeur qui déclenche, indirectement, l’ouverture des Comptes professionnels de prévention (dit « compte pénibilité »), en déclarant à la Carsat, via la DSN, la liste des salariés soumis sur leur poste de travail à des contraintes physiques identifiées comme facteurs de pénibilité. Ceux-ci sont au nombre de 6, et associés à des seuils d’intensité précis :
Les seuils sont précisés à l’article D. 4163-2 du code du Travail. Suite à la réforme des retraites, un décret du 10 août 2023 a abaissé ceux qui s’appliquent au travail de nuit (100 nuits par an au lieu de 120) et aux 3/8 (30 nuits par an au lieu de 50). Dès qu’une entreprise déclare l’exposition d’un salarié à l’un de ces facteurs (au-delà des seuils réglementaires), un compte pénibilité est ouvert à son nom. A noter que certaines branches (une vingtaine à ce jour) ont mis en place des référentiels métiers qui permettent de faciliter l’identification des salariés concernés.
4 autres situations de pénibilité sont identifiés par le code du Travail, et doivent être pris en compte par les employeurs dans leur évaluation des risques, leurs mesures de prévention et leur politique d’amélioration des conditions de travail. Ils n’ouvrent toutefois aucun droit au compte pénibilité. Pour rappel, ces critères sont l’exposition aux agents chimiques dangereux, la manutention manuelle de charges lourdes, les postures pénibles et l’exposition aux vibrations mécaniques.
Dès que le C2P est ouvert, le salarié peut le consulter en ligne sur le site compteprofessionnelprevention.fr.
Le C2P d’un salarié concerné est crédité d’1 point par trimestre d’exposition à un risque professionnel (4 points pour 1 an). Avant la réforme des retraites d’avril 2023, le nombre de points était plafonné à 8 par an et 100 sur toute la carrière. Ces plafonds ont disparu. Désormais, un salarié exposé par exemple à 3 facteurs de risque pendant un an a droit à 12 points sur son C2P. Il n’y a pas de limites aux points cumulables au cours de la carrière.
Ces points permettent au salarié :
Ce sont ces deux derniers usages que nous allons détailler.
Les 20 premiers points acquis par un salarié sur son compte pénibilité ne peuvent être utilisés que pour financer de la formation ou une reconversion (les deux usages « formation » du C2P). Cette contrainte ne s’applique pas aux salariés nés avant 1960, et uniquement à hauteur de 10 points pour les salariés nés entre 1960, 1961 ou 1962.
Cette partie s’intéresse uniquement au cas d’usage « formation », tel qu’il existait déjà avant la réforme des retraites de 2023. L’intermédiaire est ici l’interface Mon Compte Formation.
Le C2P peut être utilisé pour la « prise en charge de tout ou partie des frais d’une action de formation professionnelle continue en vue d’accéder à un emploi non exposé ou moins exposé aux facteurs de risques professionnels » (article L. 4163-7 du code du Travail).
Les fonds issus du compte pénibilité étant utilisés en abondement du CPF, on en déduit que la formation doit remplir les conditions pour être éligible à ce dernier dispositif, et donc conduire à une certification (ou à un bloc de compétences afférent) inscrite au RNCP ou au répertoire spécifique.
Elle doit avoir pour but une reconversion professionnelle dans un métier moins risqué. En principe, donc, un salarié exposé à plusieurs facteurs de risques peut se former à un métier qui l’expose à un nombre plus réduit de facteurs.
Les points du compte pénibilité sont convertis en financement de la formation à raison de 500 € par point.
Les points ne peuvent être mobilisés qu’en complément des droits CPF. Toutes les sommes disponibles sur le CPF, auxquelles s’ajoutent éventuellement les abondements automatiques de l’entreprise ou d’un autre financeur, sont décomptées en priorité.
Exemple : un salarié dispose de 2 000 € sur son CPF, abondé automatiquement de 1 000 € par l’entreprise. Il souhaite financer une formation de 5 700 €. Il doit d’abord vider son CPF (2 000 €), ajouter l’abondement de l’entreprise (1 000 €) pour ensuite mobiliser son C2P à hauteur des 2 700 € restants. Soit 2 700 / 500 = 5,4.
6 points de C2P seront donc nécessaires pour compléter le financement (3 000 €). Le solde de 300 € (3 000 – 2 700) sera versé sur le CPF.
Le site du compte professionnel de prévention a mis en ligne une présentation détaillant la procédure à suivre pour mobiliser le C2P. Le document a été actualisé le 24 juin 2021. Attention: il se peut que la procédure ait connu des améliorations depuis, mais à notre connaissance aucune nouvelle version du document n’a été mise à disposition.
Les étapes sont les suivantes :
et recueillir le récépissé de la demande.
Illustrations issues de la présentation « Mise en oeuvre du C2P »réalisée par Mon Compte Formation
On est donc assez loin de la simplicité du CPF désintermédié. L’accompagnement du responsable formation ou du service RH apporte ici une véritable valeur ajoutée.
Le nouveau cas de mobilisation des points du compte pénibilité créé par la réforme des retraites du 14 avril 2023 vise en réalité le même objectif que le dispositif précédent : il s’agit de se former pour aller vers un métier non pénible. Seuls les conditions, le parcours administratif et les acteurs mobilisés changent. Alors que la filière « formation » passe par l’interface « Mon Compte Formation », cette nouvelle filière « reconversion » passe par les associations Transitions Pro, au même titre que le Projet de transition professionnelle (PTP).
Ce nouveau cas d’utilisation des points de compte pénibilité est plus large que le premier, puisqu’il permet de financer aussi bien :
Comme dans le cas d’usage « formation », les points de compte pénibilité sont convertis en euros, à raison de 500 € par point.
Si les points du C2P ne suffisent pas, le financement peut être complété par les associations Transitions Pro et par d’autres financeurs.
Le CPF n’est pas mentionné explicitement dans les textes, mais dans la mesure où l’on mobilise le C2P pour financer un Projet de transition professionnelle, il est probable que les droits CPF sont également mobilisés.
La procédure pour mobiliser les points du compte pénibilité en vue de financer une reconversion n’a pas (encore ?) fait l’objet d’un document récapitulatif. Dans les grandes lignes, il faudra de toute façon suivre ces étapes :
Les chiffres les plus récents sur le C2P remontent à un rapport de la Sécurité sociale paru en 2023, et portent sur la situation à fin 2021.
A cette date :
Dans un document du ministère du travail plus ancien, du 22 octobre 2019, on apprenait qu’à cette date 47 000 établissements étaient concernés et que 1,24 millions de salariés avaient des points de pénibilité, pour un total de 10,6 millions de points, soit 8,5 par salarié. Si on extrapole ce ratio aux 1,64 millions de salariés qui déclarent avoir des points fin 2021, on arrive à près de 14 millions de points. Fin 2021, à 375 € le point, cela représentait 5,2 milliards d’euros. Aujourd’hui, à 500 € le point, cela représente 7 milliards d’euros mobilisables pour le financement de formations de reconversion. Et le stock total de points a dû augmenter entre-temps.
En pratique, cependant, l’essentiel des points utilisés à fin 2021 l’ont été pour obtenir du temps partiel ou de la retraite anticipée. Cela s’explique facilement : en 2015, au lancement du dispositif (alors appelé Compte personnel de prévention de la pénibilité, ou C3P), une période de transition avait été ménagée, pendant laquelle il était possible d’utiliser ses points directement pour la retraite ou le temps partiel. A présent, les utilisateurs potentiels devront tous en passer par la mobilisation des 20 premiers points pour le financement de la formation.
Les sommes en jeux sont potentiellement colossales : 20 points représentent 10 000 € de formation. Si les 1,64 million de salariés potentiellement concernés mobilisaient leurs 20 premiers points (à supposer qu’ils atteignent ce nombre, bien sûr, ce qui n’est pas le cas en moyenne), la dépense dépasserait les 16 milliards d’euros. Or, il est probable que le nombre de salariés exposés est encore sous-déclaré.
Dans le cadre de la promotion actuelle des reconversions professionnelles, on pourrait s’attendre à une publicité accrue autour du C2P. Le financement de celui-ci, assuré par la branche Accidents du travail de la Sécurité sociale, est-il cependant à la hauteur ?
Le C2P ne résume pas à lui tout seul la politique d’amélioration des conditions de travail, ni de lutte contre les maladies professionnelles et les accidents de travail. Il ne doit pas se substituer aux efforts nécessaires pour réduire la pénibilité – et la réforme des retraites a d’ailleurs créé dans ce sens un Fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle. Les questions de protection collective, de préservation de l’espérance de vie en bonne santé, de traitement des effets de l’exposition aux risques et notamment des troubles musculosquelettiques (TMS) sont à traiter aussi bien à l’échelle de l’entreprise et de la branche que plus globalement. Il ne faut pas attendre que l’exposition aux risques laisse des traces durables sur les travailleurs, allant jusqu’à l’incapacité permanente, pour intervenir.
Dans l’ensemble des mesures existantes, le C2P oscille entre deux logiques : la compensation des dommages créés par la pénibilité du travail (aménagements de fin de carrière) et la prévention (via la formation, pour éviter des expositions trop longues aux facteurs de pénibilité). C’est en principe cette deuxième logique qui devrait prédominer. Dans les années à venir, on pourrait en tout cas assister à une mobilisation accrue des points de C2P en faveur de la formation professionnelle. La relative complexité de la procédure et la finalité « reconversion » fixée au dispositif font du C2P un outil intéressant pour le responsable formation d’une entreprise concernée par la pénibilité. C’est un moyen, pour lui, d’amener le salarié à mobiliser son CPF pour un objectif d’intérêt partagé, au besoin en ajoutant un abondement d’entreprise. Une corde de plus à l’arc d’un responsable formation engagé et expert de l’ingénierie pédagogique.
Crédit photo : Shutterstock / Friends Stock
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