Enfin des chiffres ! Le compte personnel de formation (CPF) a eu 5 ans le 1er janvier, mais les informations concernant l’ampleur de son déploiement et de son utilisation restaient fragmentaires et anciennes. Deux études, l’une de la Dares, l’autre de la Caisse des Dépôts et Consignation, sont parues en février et viennent détailler le tableau pour les 4 premières années du CPF (2015-2018), en donnant même quelques indications sur 2019. Nous en avons extrait 5 chiffres qui intéressent plus particulièrement l’entreprise et les responsables formation.
L’étude de la Dares insiste surtout sur la montée en charge du CPF entre 2015 et 2018 : parti de 53 000 formations financées en 2015, le Compte personnel de formation a été mobilisé pour 190 000 dossiers dès 2016, pour atteindre 272 000 dossiers en 2017 et 383 000 en 2018.
Source : Infographie Dares
Cette marche triomphale, cependant, a été interrompue en 2019, même si le chiffre exact n’est pas communiqué. On l’apprend au détour d’une phrase dans cette publication de la Caisse des Dépôts consacrée au CPF et au coût de la formation en 2018 : « Après un nombre et des dépenses de formations plutôt stables en 2019 par rapport à l’année 2018, voire en légère diminution… »
Sans doute faut-il y voir l’effet « année post-réforme », qui affecte souvent les achats de formation dans les mois qui suivent l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi sur la formation professionnelle. D’autant que 2019 a été pour le CPF une année de transition : monétisé au 1er janvier, il n’a été « désintermédié », c’est-à-dire rendu mobilisable directement sur internet ou mobile, que le 21 novembre.
La monétisation seule n’aura donc pas suffi à stimuler la croissance du CPF. La désintermédiation, en revanche, semble bien partie pour relancer la dynamique : le ministère du Travail annonçait le 20 février que 160 000 dossiers de formation avaient déjà été constitués via le CPF depuis le lancement de l’application – soit en moins de trois mois. En conservant ce rythme, l’utilisation du CPF pourrait quasiment doubler en 2020.
Le CPF, on s’en souvient, a pris la suite d’un autre dispositif, le Droit individuel à la formation (Dif). Les heures accumulées avant 2015 sur le Dif pouvaient être converties en heures de CPF, puis en euros depuis 2019, à raison de 15€ par heure. Grâce à l’ordonnance Coquilles, ces heures de Dif converties en euros pourront être utilisées au-delà du 1er janvier 2021. Mais elles devront impérativement être déclarées avant cette date. En effet, le Dif n’était pas un dispositif centralisé comme le CPF : les heures étaient comptabilisées par chaque employeur. Chaque salarié doit donc récupérer l’information sur son solde Dif au 31 décembre 2014 auprès de son entreprise. En principe, le chiffre a été communiqué via un courrier dédié ou sur la fiche de paie de décembre 2014 ou janvier 2015.
Renseigner ses heures de Dif dans son CPF est une procédure très simple. Aucun justificatif n’est demandé sur le moment. A ce jour, cependant, seuls 16% des salariés ont fait la démarche. Or, les sommes en jeu sont considérables : la Caisse des Dépôts a estimé que la moyenne des droits disponibles sur chaque CPF pourrait passer de 1 040€ à près de 2 000€, soit un quasi-doublement.
En 2018, sur 383 000 formations financées par le biais du compte personnel de formation (CPF), un peu plus d’une sur 10 a bénéficié d’un abondement de l’entreprise. C’est ce qui ressort des chiffres donnés par la Dares dans ce tableau :
On constate que près des deux tiers des formations mobilisant le CPF n’ont pas eu besoin d’autres financements. Dans les 36,9% de dossiers pour lesquels un financement complémentaire a été nécessaire, l’employeur est intervenu dans 28,5% des cas. Rapporté à l’ensemble des formations financées par le CPF, cela représente 10,5% des dossiers.
La plupart du temps, le salarié en quête de compléments de financements s’est tourné vers l’Opca ou l’Opacif. Dans 13,6% des cas, il a mis la main à la poche. 9 fois sur 10, le salarié se débrouille donc sans l’employeur. Et 7 fois sur 10, il ne compte que sur lui-même (dossiers 100% CPF + dossiers complétés par le salarié).
Quelle est la part, parmi les dossiers CPF, de ceux pour lesquels le salarié a mobilisé ses droits à la demande de l’entreprise ? Difficile de le savoir. On constate cependant que 11 500 dossiers CPF, soit 3% de l’ensemble, ont servi en 2018 à financer une formation au Caces, le certificat d’aptitude à la conduite en sécurité. Il s’agit d’une formation obligatoire, qui en principe est financée par l’employeur. Ce phénomène des formations Caces financées via le CPF apparaît donc marginal, qu’on le compare aux 383 000 dossiers CPF initiés en 2018 ou aux quelques 660 000 Caces délivrés chaque année. Avec un CPF monétisé et accessible directement sur application, il est probable que ce type de montage sera encore plus difficile à l’avenir.
Le CPF a également financé 7 300 formations de sauveteurs-secouristes du travail (SST), une prestation que l’employeur doit obligatoirement organiser au bénéfice d’un salarié pour chaque atelier « où sont accomplis des travaux dangereux » et pour chaque chantier de plus de 20 personnes et de plus de 15 jours. Avec les formations Caces, on arrive à 5% des dossiers CPF de 2018. D’autres formations obligatoires ont probablement été financées via le CPF, mais elles ne figurent pas parmi le top 10, qui nous est donné par la CDC. Il est probable qu’il faille ajouter quelques points à ce pourcentage.
En savoir plus sur la gestion des formations obligatoires
Pour l’essentiel, le CPF a servi à financer des formations courtes et relativement peu onéreuses : 2 400€ en moyenne. En 2018, 63% des dossiers concernent en effet trois domaines de formation, caractérisés par des durées relativement faibles (autour de 57 heures) :
…et les transports (12%), majoritairement le Caces et le permis de conduire (la moitié des formations du domaine). Le coût moyen est plus faible, à 1 228€.
Le CPF a également été mobilisé pour co-financer des formations plus longues, mais le cas est beaucoup moins fréquent : par exemple, on compte 13 000 formations « échanges et gestion » d’une durée moyenne de 152 heures, à près de 6 000€ par dossier, 7 000 formations commerciales (132 heures, 4 000€ en moyenne), ou encore 5 500 formations aux ressources humaines (244 heures, 7 000€ en moyenne).
L’utilisation du CPF pour des formations longues existe donc, même si elle reste secondaire : seules 13% des formations financées en 2018 étaient diplômantes, c’est-à-dire débouchant sur un diplôme correspondant à l’un des 5 niveaux officiels. Mais ces 13% représentaient tout de même 36% de la masse financière mobilisée !
Quelles conclusions peut-on tirer de ces chiffres en matière de gestion de la formation ? Si l’intérêt des DRH pour le CPF doit se traduire en actes, il existe des mesures simples à prendre. La première consisterait à alerter l’ensemble des salariés des droits à la formation qu’ils s’apprêtent à perdre s’ils omettent de déclarer leurs heures de Dif avant le 1er janvier 2021. Par exemple en signalant le fait lors des entretiens professionnels, et/ou en lançant une campagne auprès des managers.
La communication autour des heures de Dif peut être l’occasion, dans un second temps, de sensibiliser les collaborateurs à l’importance de la formation. En se positionnant comme conseil et partenaire du salarié, le responsable formation optimise ainsi ses chances de co-construire des parcours de formation cofinancés par le CPF et l’abondement de l’entreprise, dans l’intérêt conjoint des deux parties. Un premier pas, peut-être, vers un accord d’entreprise consacré à la question – mais pas nécessairement.
Le CPF ne peut pas être un pilier de la politique de formation des entreprises : il n’est pas fait pour ça. En revanche il peut constituer un apport financier complémentaire et surtout jouer un rôle RH et managérial important dans la relation employeur/salarié autour de l’enjeu de formation.
Crédit illustration : Shutterstock / tadamichi
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