Créé en 2014, l’entretien professionnel commence à produire tous ses effets en 2020. En effet, cette année auront lieu les premiers entretiens professionnels « bilan », au cours desquels l’employeur doit faire le point avec chaque salarié sur son parcours professionnel et sur les formations suivies au cours des 6 années écoulées. Problème : les règles ont changé en cours de route. Comment être dans les clous ? Le point à l’orée de cette année 2020.
Créé par la réforme de la formation professionnelle du 5 mars 2014, l’entretien professionnel a été modifié par la loi « Avenir professionnel » du 5 septembre 2018. Ces changements engendraient pour les employeurs un certain nombre d’ « effets pervers », évoqués par Alain Ragot dans Le Monde en décembre dernier. L’ordonnance dite « Coquilles » du 21 août 2019 vise à corriger ces inconvénients, nés de la rétroactivité de la loi. En résumé, les employeurs pourront, tout au long de 2020, continuer à appliquer les règles antérieures à la réforme de 2018 si cela les avantage.
>> En savoir plus sur l’ordonnance « Coquilles »
De quoi s’agit-il ? Rappelons, en préalable, que l’entretien professionnel doit être organisé au minimum tous les 2 ans, pour chaque salarié. Tous les 6 ans, il prend la forme d’un entretien « bilan », qui est l’occasion de réaliser un « état des lieux récapitulatif du parcours professionnel du salarié » (article L. 6315-1 du code du Travail).
L’obligation d’organiser ces entretiens s’impose à toutes les entreprises : en cas de litige du travail, par exemple, l’employeur qui ne peut pas justifier de leur tenue est en faute. Mais dans les entreprises de 50 salariés et plus, il s’ajoute un risque de sanction, qui prend la forme d’un abondement de 3 000€ au compte personnel de formation (CPF) de chaque salarié concerné. Ce sont les critères de déclenchement de ces sanctions qui ont été modifiés par la loi « Avenir professionnel ».
Au cours de cet entretien des 6 ans, qui donne lieu à un compte rendu écrit (tout comme les autres entretiens professionnels), l’employeur doit pouvoir justifier :
C’est la définition de ces actions qui a changé avec la loi Avenir Professionnel.
Le salarié devait avoir bénéficié d’au moins deux types d’action parmi les trois catégories suivantes :
Le salarié doit avoir bénéficié d’au moins une action de formation non obligatoire. La réforme de 2018, en effet, a inscrit dans la loi une définition des formations obligatoires : il s’agit de « toute action de formation qui conditionne l’exercice d’une activité ou d’une fonction, en application d’une convention internationale ou de dispositions légales et réglementaires » (article L. 6321-2 du code du Travail).
>> En savoir plus sur les formations obligatoires
Du fait de ce changement rétroactif, des entreprises d’au moins 50 salariés pourraient en théorie se voir pénalisées alors qu’elles ont bien respecté les règles telles qu’elles existaient entre 2014 et 2018. En effet, dans l’ancien système, on pouvait être en conformité sans avoir nécessairement payé une formation à son salarié, ou en ne lui ayant financé qu’une formation obligatoire. Ce n’est plus le cas dans le nouveau.
L’ordonnance « Coquilles » vient donc corriger en partie ce problème : en 2020, il sera possible de continuer à appliquer les anciennes règles : c’est le « droit d’option ». Dès 2021, en revanche, seules les nouvelles règles auront cours.
Comment un responsable formation qui a été vigilant à ce que tous ses salariés cochent bien les cases de l’ancien système peut-il se retrouver « hors la loi » dans le nouveau ?
Sylvie, embauchée avant 2015, a bénéficié de tous ses entretiens professionnels : un en janvier 2016, un en janvier 2018, auquel s’ajoute un entretien bilan des 6 ans en janvier 2020.
Elle a bénéficié en outre d’une VAE en 2017 et d’une augmentation de salaire en 2018. Dans l’ancien système, son employeur est en règle. Dans le nouveau, il ne l’est pas : Sylvie aurait dû recevoir une formation (non obligatoire).
Jean-Claude, embauché avant 2015, a lui aussi bénéficié de tous ses entretiens professionnels. Il a suivi une formation Caces en 2018 et a été promu en 2019.
Dans l’ancien système, l’entreprise était en conformité. Elle ne l’est plus dans le nouveau : Jean-Claude aurait dû bénéficier d’une formation non-obligatoire. Le Caces ne compte pas.
L’ordonnance Coquilles répond aux problèmes posés dans ces deux cas : l’entreprise peut choisir, lors des entretiens bilans des 6 ans organisés en 2020, de retenir les anciens critères. Elle peut même, a priori, faire un choix différent pour chaque salarié.
Maryama a rejoint l’entreprise en juin 2015. Elle a bien bénéficié de tous ses entretiens professionnels à cette date : un en mars 2017, un en mars 2019. Elle a reçu une formation à l’habilitation électrique en 2017 et une augmentation de salaire en 2018.
Dans l’ancien système, son employeur est dans les clous. Dans le nouveau, il ne l’est pas : Maryama aurait dû suivre une formation non-obligatoire. En 2021, lorsque aura lieu l’entretien bilan des 6 ans, l’employeur ne remplira donc pas les nouveaux critères, et le droit d’option entre l’ancien et le nouveau système, disponible en 2020, ne sera plus ouvert. Il doit donc impérativement organiser une formation non-obligatoire pour cette salariée d’ici là, sous peine de devoir abonder son CPF de 3 000€ en cas de contrôle.
L’entretien professionnel a pour fonction de faire le point régulièrement, avec chaque salarié, sur ses « perspectives d’évolution professionnelle, notamment en termes de qualifications et d’emploi » (article L. 6315-1 du code du Travail). Il ne « porte pas sur l’évaluation du travail du salarié » : il ne doit donc pas être confondu avec l’entretien annuel d’évaluation, qui, lui, n’est pas obligatoire.
L’entretien professionnel est un moment privilégié pour aborder les attentes du salarié en matière de formation et d’évolution professionnelle, et pour les confronter aux projets de l’entreprise et à l’évolution du service. Il peut être utilisé pour recueillir les besoins de formation dans la perspective de l’élaboration du plan de développement des compétences.
Remarque : la loi prévoit également qu’un entretien professionnel soit proposé systématiquement lorsque le salarié réintègre pleinement l’entreprise après :
Nous en savons assez peu, à ce stade, sur la réalité statistique de l’entretien professionnel sur le terrain. Le Céreq a livré des chiffres pour les deux premières années (2015-2016) : à l’époque, seuls un peu plus de la moitié des salariés avaient bien suivi leur premier entretien professionnel. Qu’en est-il aujourd’hui ? Y aura-t-il réellement des contrôles et des sanctions ? L’actualité sociale et juridique de 2020 devrait nous en apprendre davantage sur l’impact réel de cette mesure, et sur son appropriation par les entreprises.
Crédit photo : Shutterstock / fizkes
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